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LA RÉCEPTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE PAR L’ORDRE PUBLIC

41 En dépit de la présence, si ce n’est de l’omniprésence, de la réglementation et de la

police de santé publique, la notion d’ordre public sanitaire n’est guère envisagée par la doctrine qui en donne par ailleurs des définitions variées. Ces divergences montrent la difficulté à en saisir le sens, ce qui ne surprend guère puisque la notion d’ordre public elle-même est souvent jugée réfractaire à toute définition.

« L’ordre public, écrit ainsi Rolland DRAGO, est une notion qu’on ressent plus qu’on ne peut l’expliquer»1. De nombreux auteurs ont également souligné «les affres de la définition [et] l’obscurité du concept»2. «Le terme d’ordre public, regrettait le doyen VEDEL, est un de ceux que le droit (langue mal faite s’il en fût) emploie dans les acceptations les plus variées»3. La notion revêt en effet une pluralité de sens selon le contexte juridique de son invocation, à tel point que certains évoquent un ordre public «propre à chaque branche du droit»4. Même réduite à la police administrative, la définition de l’ordre public achoppe sur la variabilité de son contenu, auquel n’échappe

1R. DRAGO, Les atteintes à l’ordre public, inL’Ordre public, Actes du colloque tenu à l’Académie des sciences morales et politiques – Fondation Singer-Polignac, Paris, 22 et 23 mars 1995, sous la dir. de R. POLIN, Paris, P.U.F., 1996, coll. Politique d’aujourd’hui, p. 47.

2 F. TERRÉ, Rapport introductif, in L’ordre public à la fin du XXe siècle, op. cit., p. 3. Cf. aussi J. CARBONNIER, Exorde,ibid., p. 2 (L’ordre public est fait «d’une force, d’un rayonnement, d’une éner-gie, qui ne se laisse pas capter en stéréotypes») ; É. PICARD, L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public,op. cit., p. 55 (L’ordre public est une notion «essentiellement protéiforme, équivoque, relative, circonstancielle, contingente, indéterminée et singulièrement contradictoire»). Cer-tains, tel VAREILLES-SOMMIÈRESont même exclu toute possibilité d’une définition en considérant que «nul n’a pu le définir et que nul ne l’a compris et ne le comprendra jamais» (Synthèse du Droit Interna-tional, p. 171, cité par P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 2. A la page suivante, cet auteur reprend quelques unes de plus célèbres considérations sur l’ordre public à cette époque). V. encore J. VINCENT, La procédure civile et l’ordre public, inMélanges en l’honneur de Paul ROUBIER, Paris, Librairies Dalloz et Sirey, 1961, t. 2 : « Droit privé, Popriété industrielle, littéraire et artistique », p. 303.

3 G. VEDEL, Cours de droit administratif, op. cit., p. 19. L’ordre public peut effectivement servir à signaler un état de fait opposé à cet autre état de fait qu’est le désordre. Il peut aussi renvoyer à une action, celle destinée à maintenir cet état ou à y parvenir. Il exprime encore un objectif, le but diri-geant cette action, qui peut être conçu sous un angle négatif comme « l’absence de troubles » ou positif comme « la paix sociale ». L’ordre public peut également faire référence à un ensemble matériel de règles impératives et, à certains égards, prééminentes sur d’autres principes et d’autres normes jugés moins importants ou bien renvoie, dans un sens plus fonctionnel, au principe qui justifie l’adoption et l’application de ces normes.

4 Ch. VIMBERT, L’ordre public dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, op. cit., p. 694 et M.-C. VINCENT-LEGOUX,L’ordre public…,op. cit.

pas son noyau dur formé par « l’ordre public général »1. Du point de vue matériel, les intérêts protégés par l’ordre public paraissent même si divers qu’on a pu reconnaître un ordre public spécifique à chaque objet de droit. Cette parcellisation est très nettement perceptible dans le discours doctrinal qui a progressivement identifié un ordre public économique2, un ordre public moral, un ordre public social, un ordre public biologique3, corporel4, sanitaire, etc.

42 Pour échapper à la controverse, il paraît nécessaire d’aborder le concept d’ordre

public de façon globale, en écartant ses dimensions évolutives pour ne retenir que ses permanences. L’analyse de ses constantes permet en effet de se prononcer en faveur d’une définition unifiée de l’ordre public, combinant ses éléments institutionnels et

fonctionnels. Sous l’angle institutionnel, l’ordre public garantissant «le bon

fonctionnement des institutions indispensables à la collectivité»5, renvoie à «un mécanisme d’État»6, forme politique d’organisation de la société dont il protège les fondements et l’intégrité7. Il s’analyse ainsi comme «un ensemble d’institutions sociales qu’on ne peut transgresser, qui sont nécessaires à la vie en société»8. L’importance de sa sauvegarde pour le groupe social et le groupe politique justifie alors l’exercice de l’imperiumpour la régulation des conflits d’intérêts ou de volontés.

L’ordre public, pour autant, doit être perçu comme un instrument «affecté d’une destination»9, celle-ci reposant sur un consensus social formé autour d’un certain nombre de valeurs10. «Noyau dur du système juridique, l’ordre public est l’ensemble des règles

1 La jurisprudence a attribué à l’ordre public général des contours variables selon les époques. L’esthétique, par exemple, après avoir été inscrite parmi ses composantes (C.E., 2 mars 1924,Sieur Leroux, n° 75.773,Rec.p. 780 ;Sect., 23 oct. 1936,Union parisienne des syndicats de l’imprimerie, n° 41.995, Rec. p. 906 ; Ass., 3 juin 1938, Soc. des usines Renault et autres, nos39.833, 39.864, 39.866, 39.867 et 39.893 à 39.902,Rec. p. 531 ;14 mars 1941,Cie nouvelle des chalets de com-modité, n° 61.649,Rec. p. 44 ;cf.P. DUEZ, Police et esthétique, D. H. 1927, chron. 17) semble au-jourd’hui exclue de son champ (C.E., 21 juill. 1970,Sieur Loubat, n° 74.647,Rec. p. 507 ;Sect., 18 févr. 1972, Chbre synd. des entreprises artisanales de la Haute Garonne, n° 77277, Rec. p. 153,

A.J.D.A.1972, p. 250, chron. LABETOULLEet CABANES;J.C.P.1973, II, 17446, note BOUYSSOU;Gaz. Pal.1973, 2, 761, note MELIN; 11 mars 1983,Cne de Bures-sur-Yvette, n° 20837,Rec. p. 104 ;

Gaz. Pal. 1983, 2, 649, note MELIN; Quot. jur. 16 juin 1983, note M. D.) sans que l’on puisse d’ailleurs savoir si ce rejet est ou non définitif (cf.T.A. Marseille, 7 janv. 1997,Préfet du Vaucluse et M. Thierry Mariani c. Cne d’Orange,Petites affiches 1997, n° 99, p. 14, note G. FEDOU). On notera d’ailleurs que certaines espèces, visant expressément le Code des communes ou le C.G.C.T., insis-tent sur ce que la liste des rubriques qu’elle contient «n’a pas un caractère limitatif» : cf. C.E., 24 oct. 1984,Diabate, n° 24815,D.A.1984, n° 529.

2 V. notamment G. RIPERT, L’ordre économique et la liberté contractuelle, in Mélanges GÉNY, 1934, t. II, p. 347 et R. SAVATIER, L’ordre public économiques,D.1965, chron., p. 37-44.

3V. P. PY, Vers un statut de l’homme biologique. Les lois sur la bioéthique,op. cit., p. 1338-1346.

4S. PRIEUR, La disposition par l’individu de son corps, Th. Droit, 1998, Paris, Les Études hospitaliè-res, 1999, coll. Thèse, Préface de É. LOQUIN, p. 80-100.

5Ph. MALAURIE, L’ordre public et le contrat,op. cit., p. 69.

6J. CARBONNIER,Droit civil, Paris, P.U.F., 1972, coll. Thémis, t. 4, n° 32.

7 Cf.P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 42 : L’ordre public « pro-tège l’intégrité des bases de la société et donc des institutions politiques».

8G. RIPERT,Cours de doctorat, Paris, Les Cours du droit, p. 67.

9V. BLET-PFISTER, L’ordre public (Fragments pour une étude sur l’appareil d’État),op. cit., p. 72.

10L. DUGUIT,L’État, le droit objectif et la loi positive,op. cit., p. 566. L’ordre public, écrivait le doyen DUGUIT«ne peut être que l’intérêt social, quelle que soit d’ailleurs la manière dont on le conçoit».

que la conscience collective juge indispensable au bon fonctionnement de la société»1. C’est cette symbiose entre l’ordre public et l’organisation de la société à une époque déterminée qui, parce qu’elle suggère une adaptation permanente du droit aux valeurs dominantes, en explique les fluctuations2.

Sans doute une telle approche de l’ordre public renforce-t-elle pour partie son ambiguïté. Ne pouvant être défini comme un concept unifié et permanent qu’in abstracto,

l’ordre public ne peut, en même temps, se réaliser qu’in concreto, au gré des

circonstances3, de façon partielle et nécessairement inachevée. C’est pourtant par cette voie que l’on peut espérer opérer une première délimitation de la notion d’ordre public sanitaire, celle-ci renvoyant alors à la dimension sanitaire de l’ordre public (Titre 1). Ce constat donne par ailleurs un premier élément d’explication de la complexité de son droit (Titre 2).

1G. LEBRETON, Ordre public et dignité de la personne humaine : un problème de frontière,op. cit., p. 353.

2Cf. M.-C. VINCENT-LEGOUX,L’Ordre public. Étude de droit comparé interne,op. cit., p. 3.

3Comme l’a bien souligné la C.J.C.E., «les circonstances d’ordre public peuvent varier d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre» comme elles évoluent «en fonction des conditions sociales» : C.J.C.E., 4 déc. 1974,Van Duyn c. Home Office, préc.(att. n° 18) et 26 févr. 1975, Carmelo Angelo Bonsignore, préc.

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