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L’ AXIOLOGIE DE LA NOTION D ’ ORDRE PUBLIC

LA SANTÉ PUBLIQUE, COMPOSANTE DE L’ORDRE PUBLIC

L ’ ORDRE PUBLIC

A.- L’ AXIOLOGIE DE LA NOTION D ’ ORDRE PUBLIC

90 Comme l’a bien montré M. PICARDnotamment, l’ordre public repose sur ce que

l’ordre juridique considéré dans son ensemble tient pour ce qu’il a de plus précieux et de

1Ce constat est d’ailleurs à l’origine immédiate des politiques de sécurité sanitaire qui sont précisé-ment destinées à lutter contre les risques d’accidents liés à l’évolution et au fonctionneprécisé-ment de la société moderne : v.infranos365, 402, 430 et 437.

plus vital1. Le sens et le contenu de la notion sont donc tributaires du sens et du contenu de ces valeurs sociales fondamentales qu’elle a vocation à garantir (1). Dans un ordre juridique qui, comme le nôtre, repose sur un principe libéral, l’ordre public s’impose alors comme une notion consubstantielle à la liberté qu’il est, en toutes hypothèses, destiné à sauvegarder (2).

1) Une notion tributaire des valeurs sociales fondamentales

91 Notion stable à contenu variable2, l’ordre public ne peut se comprendre qu’au

regard de sa fonction, qui lui donne son sens et détermine sa portée. Or, en son fondement, l’ordre public repose sur l’existence même de l’organisation sociale et juridique : sa fonction première est d’assurer la constitution et la protection de l’ordre

social et juridique auquel il se rattache3. C’est ce que soulignent M. MÉNY et

M. DUHAMELen définissant l’ordre public comme «ce qui est si important qu’est mise en question l’essence de la société et de son droit»4. L’ordre public existe parce qu’il est indispensable à la pérennité et à la prospérité de toute société organisée.

Aucun système juridique ne peut se dispenser de se protéger par un moyen ou par un autre contre l’insuffisance éventuelle des règles formelles du droit. Ce moyen, quel que soit le nom qu’il reçoive, est l’ordre public. Celui-ci s’analyse ainsi comme un instrument technique approprié à la protection des valeurs fondamentales du groupe social telles que celui-ci les reconnaît de façon plus ou moins consciente et raisonnée5.

92 L’ordre public, partout nécessaire, n’est donc pas le même selon les données

sociologiques et philosophiques du moment. Puisqu’il se détermine au regard des valeurs parfois subjectives et changeantes qui sont, dans une société déterminée, jugées comme essentielles et fondamentales, son contenu et même sa portée varient selon le contexte de son intervention6. En ce sens, il est généralement admis que l’ordre public objectif se définit lui-même comme l’ensemble des principes et des valeurs qui sont, à un moment et sans garantie de pérennité, considérés comme fondamentaux par l’ordre juridique7. 1É. PICARD, La notion de police administrative,op. cit.; L’influence du droit communautaire sur la notion d’ordre public,op. cit., spéc. p. 58 et La fonction de l’ordre public dans l’ordre juridique,op. cit., p. 17-61, spéc. p. 56-57.

2Cf. P. WEIL, note sous C.E., Sect., 18 déc. 1959,Soc. Les films Lutetia,op. cit., p. 174 : «La défini-tion de l’ordre public […] est l’une de ces définidéfini-tions stables à contenu variable […] qui, tout en résol-vant certains problèmes, laissent la porte ouverte à des évolutions futures».

3Cf. J. RIVERO,Droit administratif, Paris, Dalloz, 11eéd., 1985, coll. Les Précis, n° 435, p. 447.

4O. DUHAMELet Y. MÉNY(dir.),Dictionnaire constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992,verbo« ordre public », p. 683.

5Cf. P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif,op.cit., p. 252 et J.-L. COSTA,Liberté, ordre public et justice en France,op.cit., p. 172-173.

6V. par exemple, J. BARTHÉLÉMY,Répétitions écrites des principes du droit public, Les Cours de droit, 1937, p. 142 : L’ordre public correspond «à une notion essentiellement relative, évolutive, dépendant de l’état politique et moral à un moment donné».

7Cf. notamment, G. CORNU(dir.),Vocabulaire juridique,op. cit., verbo « ordre public » ; G. VEDELet P. DELVOLVÉ,Cours de droit administratif,op. cit., p. 31 ; J.-L. COSTA,Liberté, ordre public et justice en

93 Dans un État de droit, reposant sur une conception démocratique et libérale de l’ordre juridique, ces valeurs essentielles sont déterminées par référence à la liberté, qui constitue à la fois le postulat et la finalité de l’organisation sociale et juridique. De la sorte, si la liberté ne peut, en son contenu, être elle-même considérée comme une norme d’ordre public, celui-ci doit permettre d’imposer le respect de ses conditions essentielles. Quoiqu’il agisse le plus souvent par la limitation et la restriction de l’exercice des libertés, l’ordre public ne peut dès lors être autrement entendu que comme une notion consubstantielle à la liberté.

2) Une notion consubstantielle à la liberté

94 Inspiré par le principe de la puissance publique, l’ordre public emporte des effets

limitatifs voire privatifs de liberté. Pour cette raison, il a souvent été considéré comme «une idée repoussant la liberté»1. Cette thèse, fondée sur l’antagonisme de l’ordre et de la liberté, ne peut toutefois être longtemps soutenue.

95 En premier lieu, l’ordre public n’apparaît pas comme le seul motif de restriction

des libertés. Le juge administratif a notamment admis la possibilité pour l’administration de limiter l’exercice de droits ou de libertés de valeur constitutionnelle sans habilitation législative, ni considération d’ordre public. L’administration gestionnaire du domaine public peut ainsi porter atteinte à la liberté du commerce et de l’industrie pour des motifs tenant à la meilleure exploitation possible de ce domaine2, cette atteinte pouvant aller jusqu’au monopole de fait3. De même, une expropriation, qui est une privation forcée des droits de propriété, peut être légale car considérée d’utilité publique en dehors de tout

France,op.cit., p. 173 ; Ch. EISENMANN,Cours de droit administratif,op. cit., p. 354 ; M.-J. REDOR, Ouverture du colloque de Caen des jeudi 11 et vendredi 12 mai 2000,op.cit., p. 13 ; P. WACHSMANN,

Libertés publiques, Paris, Dalloz, 1996, p. 53 ; F. SUDRE, Existe-t-il un ordre public européen ?, in

Quelle Europe pour les droits de l’homme ?, sous la dir. de P. TAVERNIER, Bruxelles, Bruylant, 1996, p. 50.

1 DEMOGUE, Notions fondamentales de droit privé, p. 146 cité par É. PICARD, La notion de police administrative,op. cit.,t. 2, p. 535. V. également P. BERNARD(La notion d’ordre public en droit admi-nistratif,op. cit., p. 80) qui voit dans l’ordre public «une sorte de‟coin” enfoncé dans le domaine de la liberté» ou encore P. WACHSMANNqui, dans sa note sous la décision du Conseil constitutionnel n° 85-187 DC du 25 janv. 1985 (Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances), es-time que «l’ordre public représente par excellence un principe contraire aux libertés» (A.J.D.A.1985, p. 363).

2 C.E., 29 janv. 1932, Soc. des autobus antibois, n° 99532, Rec. p. 117 ; S. 1932, 3, p. 65, note P. LAROQUE, concl. R. LATOURNERIE;D.1962, III, p. 60.

3 C.E., Sect., 2 juin 1972,Féd. française des synd. professionnels des pilotes maritimes, n° 78.410,

A.J.D.A. 1972, p. 64. Pour une synthèse de la question, v. par exemple A. LAGET-ANNAMAYER, Oc-cupation du domaine public et intérêt général. D’un pouvoir de gestion étendu des autorités doma-niales à une liberté d’action encadrée,A.J.D.A.2003, p. 1201-1208, spéc. p. 1202-1203.

texte législatif1. Or la notion d’utilité publique, qui n’est pas étrangère à des considérations d’ordre privé ou économique2, ne peut être assimilée à l’ordre public.

96 En deuxième lieu, les libertés publiques ayant acquis une valeur constitutionnelle3,

la thèse de l’antagonisme de l’ordre et de la liberté implique que l’on reconnaisse une valeur supra constitutionnelle à l’ordre public qui permet de les limiter. Elle suppose alors que l’on sache précisément reconnaître le contenu de cet ordre public, ainsi que le sens exact et la portée de ses démembrements. Or ni les textes ni les juges n’ont jamais donné une telle définition de l’ordre public qui, par nature évolutif et contingent, est matériellement ouvert.

97 En troisième et dernier lieu, cette thèse ignore tout à la fois les fondements, la

fonction et les buts de l’ordre public. Dans une société démocratique, l’ordre public ne peut trouver de justification que dans le principe même de la liberté. On observera d’abord que dans un État de droit tel que le nôtre, l’ordre public sert aussi à limiter la

puissance et l’action de l’État4 en l’assujettissant au respect de ses exigences. En

particulier, la puissance publique ne peut restreindre l’exercice d’une liberté au titre de l’ordre public que si et dans la mesure où celui-ci l’exige effectivement5. Il convient ensuite de souligner que si l’ordre public autorise la restriction des libertés, c’est dans l’objectif constant d’en assurer la pérennité en préservant la société des dangers de l’anarchie6. Quoiqu’essentielle à notre ordre juridique, la liberté n’est jamais absolue7, mais ne peut s’exprimer que dans les limites où son exercice ne nuit pas à autrui.

Notion axiologique, l’ordre public ne possède donc aucune valeur intrinsèque. Il se détermine, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel, comme un objectif, en l’occurrence de valeur constitutionnelle8, se définissant concrètement au regard des droits droits et des libertés : «Il appartient au législateur d’opérer la conciliation nécessaire

1 C.E., Ass., 28 mai 1971,Min. de l’Équipement et du Logement c. Féd. de défense des personnes concernées par le projet actuellement dénommé « Ville Nouvelle Est », n° 78.825,Rec. p. 409, concl. G. BRAIBANT;G.A.J.A.n° 88 ;A.J.D.A.1971, p. 404 et p. 463, chron. D. LABETOULLEet P. CABANESet concl. ; J.C.P. 1971, II, n° 16873, note A. HOMONT; D. 1972, p. 194, note J. LEMASURIER; R.D.P.

1972, p. 454, note M. WALINE;C.J.E.G.1972, p. 38, note VIROLE.

2 C.E., 20 juill. 1971, Ville de Sochaux, n° 80.804, Rec. p. 561 ; A.J.D.A. 1972, p. 227, note A. HOMONT.

3C.C. n° 71-44 DC du 16 juill. 1971 diteLiberté d’association, préc.

4 Sur ce point, cf. notamment J. BREILLAT, Ordre public, ordre social, ordre politique : quelles interactions ?,op.cit., p. 247-283.

5Sur ce point, v.infran° 156.

Une limitation [des libertés] est indispensable pour assurer le maintien de l’ordre public, sans lequel la loi du plus fort remettrait en cause l’exercice même de ces libertés», note ainsi M. MORANGE(Libertés publiques, Paris, P.U.F., 1985, coll. Droit fondamental. Droit politique et théorie, p. 79).

La liberté n’est jamais absolue,remarquait Marcel WALINE. La liberté absolue, sans aucune répres-sion de cette liberté, est une chimère» (Cours de Droit public, Capacité 1èreannée, Paris, Les Cours du droit, 1945-1946, p. 116).

8 C.C. n° 82-141 DC du 27 juill. 1982 (Loi sur la communication audiovisuelle), J.O. du 27 juill., p. 2422 ;Rec. p. 48 ;R.J.C.p. I-126 ;Pouvoirs, 1982 (23), p. 179, note P. AVRILet J. GICQUEL;R.D.P.

1983, p. 333, note L. FAVOREU;Rev. adm. 1983, p. 36, note R. ETIENet 1984, p. 580, note M. DE

entre le respect des libertés et la sauvegarde de l’ordre public sans lequel l’exercice des libertés ne saurait être assuré»1.

98 Il faut dès lors considérer que l’ordre public participe de la définition même de la

liberté davantage qu’il ne s’y oppose. Comme l’a remarqué M. POLIN, il existe tout au plus une dialectique entre les intérêts de l’ordre public et ceux de la liberté, «mais il n’y a pas de contradiction, pas même d’opposition entre ordre et liberté»2. Bien au contraire, l’ordre public est nécessaire à la liberté qui ne peut s’exercer sans lui. «Il lui est à la fois consubstantiel et coextensif, écrit M. PICARD,car il y a toujours de l’ordre public dans la liberté et de la liberté dans l’ordre public tandis que tous deux se déploient dans la même sphère»3.

Ce principe vaut également pour l’ordre public sanitaire qui, expression du volet sanitaire de l’ordre public, est par nature étranger à l’autoritarisme sanitaire.

B.- L

A PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE

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UNE MODALITÉ DU MAINTIEN DE

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