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La protection de la santé publique, charge normale de la vie en société

b) Des pouvoirs d’intervention renforcés par une définition prétorienne extensive de la mesure individuelle de police sanitaire

2) La protection de la santé publique, charge normale de la vie en société

141 En dépit du principe de gratuité de la protection de l’ordre public4, les mesures de

protection de la santé publique sont susceptibles de faire peser sur les particuliers des 1 L. HEUMANN, concl. sur C.E., Sect., 25 avr. 1958,Soc. « Laboratoires Geigey »,op. cit., notamment p. 243-244.

2Ibid., p. 243.

3Cela peut d’ailleurs expliquer en grande partie le formalisme progressivement imposé par le législa-teur en matière de police administrative. De nos jours, une mesure de suspension ou de retrait de visa ou d’autorisation de mise sur le marché est subordonnée au respect de règles de forme et de procédure qui, hors les cas d’urgence, conditionne sa légalité : cf.par exemple C.E., 3 avril 2002,

Soc. Labo’life espana, n° 232628 (Rec. p. 120 ; D. 2002, IR, 1883, Nouv. Pharma. 2003, n° 379, p. 210) ; 30 déc. 2002, Soc. française d’endoscopie digestive, n° 241518, Rec. tables p. 928 ;

A.J.D.A.2003, p. 695 et29 juill. 2002,Soc. Polytech Silimed Europe GmbH, n° 232829,Rec. tables p. 928 ; A.J.D.A. 2002, p. 1395, note D. COSTA s’agissant des décisions de police adoptées par le directeur de l’A.F.S.S.A.P.S. au titre des art. L. 5312-1 et L. 5312-2 C.S.P.

4 Principe encore confirmé par C.E., 25 oct. 2002, Csl. nat. de l’Ordre des médecins, préc., qui s’oppose notamment à ce que l’administration institue des redevances pour service rendu dans ce cadre (cf.les obs. de F. AUBERT, La gratuité de la protection de l’ordre public,A.J.D.A.2002, p. 1153) et11 mars 1997,Soc. Elf Antargaz, n° 135974,Rec. p. 111 (illégalité d’un arrêté préfectoral met-tant les dépenses d’analyses à la charge de l’exploimet-tant d’un dépôt d’hydrocarbures). Cette règle ne vaut cependant que pour l’administration et n’empêche le législateur de décider que certaines dépen-ses afférentes à la protection de l’ordre public soient midépen-ses à la charge des particuliers. Cf. par

charges particulièrement lourdes et partant de poser le problème d’une éventuelle indemnisation financière1. Sur ce point, on ne peut que constater l’extrême rigueur de la jurisprudence qui fait de la protection de la santé publique une charge normale de la vie en société. Le principe veut en effet que, sauf texte contraire, aucun individu ne puisse prétendre à une indemnisation du préjudice subi par lui du fait d’une mesure nécessaire au maintien de l’ordre public sanitaire. C’est ainsi que les servitudes contenues par les règlements sanitaires sont traditionnellement définies comme des servitudes d’utilité publique2 qui, de la sorte, n’ouvrent aucun droit à indemnité3. Dans le même sens, le Conseil d’État a jugé que les maladies infectieuses touchant les animaux sauvages et les mesures que les autorités compétentes sont, dans ce cas, amenées à prendre, et qui peuvent notamment consister en une interdiction de commercialiser le gibier abattu, constituent un aléa que doivent supporter les personnes titulaires du droit de chasse4.

142 La même logique prévaut dans le contentieux de la responsabilité administrative.

On est sans doute loin aujourd’hui du principe d’irresponsabilité des personnes publiques du fait de leurs activités de police, mais les régimes de responsabilité appliqués restent globalement favorables à leur intervention pour la protection de la santé publique.

143 En premier lieu, la jurisprudence privilégie une conception étroite de la faute

d’action des autorités de police sanitaire. Le régime de responsabilité pour faute retenu en matière de police administrative n’est certes pas uniforme. En particulier, la nature de la faute exigée varie selon des éléments d’importance variable et notamment de la difficulté de l’activité concernée5. Toutefois, quel que soit le régime adopté, que la responsabilité de la personne publique puisse être engagée sur la base d’une faute lourde ou d’une faute simple, celle-ci est toujours définie restrictivement. Il ne peut déjà y avoir de faute que si

exemple les dispositions résultant de la L. n° 95-101 du 2 févr. 1995 (art. L. 514-8 C. env. et C.E., 11 mars 1997,Soc. Elf Antargaz, préc.).

1D’une manière générale, les moyens tirés des difficultés financières résultant de l’application d’une mesure de police sanitaire pour demander son annulation ou sa suspension sont inopérants.Cf.par exemple T.A. de Lyon, 19 mars 1996,Cne de Vaulx-en-Velin,Dr. Env.1996, n° 37, p. 8 et C.E., ord., 15 mars 2006,Min. de l’Agriculture et de la Pêche c. G.A.E.C. de Beauplat, n° 286648,Rec. tables p. 721 ;A.J.D.A.2006, p. 1063 ;RD.rur. 2006, p. 28 ;Gaz. Pal. des 27-28 sept. 2006, p. 14 (absence d’urgence à suspendre la mesure de police sanitaire).

2C.E., 1erjuill. 1936,Dame Schafer, n° 38.944,Rec. p. 713 ; – Sect., 4 juin 1937,Soc. Henri Perrot et Cie, nos38.083 et 38.084,Rec. p. 553.

3 C.E., Sect., 16 janv. 1970, De Fligue, n° 59145, G.A.D.U., p.241 et références citées ; 4 janv. 1985,S.C.I. Résidence du Port, n° 47.248,Rec. p. 5.

4 C.E., 22 févr. 2002, M. Michel, n° 224809,Rec. p. 52 ; R.F.D.A. 2002, p. 438 ; D.A. juill. 2002, p. 27, note Y. CARIUS Envir.2002, n° 87, p. 18, obs. TROUILLY;R.D. rur. 2002, p. 442 ;R.T.D. com. 2002, p. 455, obs. ORSINI;D.A. 2002, n° 97 et n° 131, obs. CARIUS. V. également C.A.A. de Nancy, 2 déc. 2004,Mathieu,Gaz. Pal. des 29-30 juill. 2005, p. 9 (à propos d’une épidémie de gale ovine ayant affecté un troupeau). Dans un autre contexte, mais toujours dans le même esprit, le Conseil d’État a, dans un arrêt du 8 novembre 1995, considéré que le moyen tiré de ce que les dispositions d’un règlement relatif à la qualification des médecins exerçant la chirurgie esthétique seraient sus-ceptibles d’entraîner un alourdissement des charges financières de la Sécurité sociale est inopé-rant (Synd. nat. des chirurgiens esthétiques – Soc. française de chirurgie esthétique, n° 112264, iné-dit).

l’action sanitaire de l’administration est entachée d’illégalité1. De plus, toute illégalité, même fautive2, n’est pas de nature à engager la responsabilité de l’administration3. Notamment, une mesure illégale mais justifiée au fond n’engage pas la responsabilité de son auteur4. Ainsi, des irrégularités de procédure ne suffisent pas à ouvrir un droit à la réparation des préjudices qui en résultent5. Il en va de même si la mesure, bien que reposant sur un motif illégal, aurait pu légalement être adoptée sur d’autres fondements6. L’intervention de police sanitaire ne peut donc être constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration que si cette intervention, illégale, a porté aux droits des administrés une atteinte non justifiée par les intérêts de la santé publique7. Là encore, on perçoit la volonté du juge d’encourager l’intervention sanitaire de l’administration, impression d’autant plus prégnante qu’à cette définition rigoureuse de la faute d’action s’oppose une conception extensive de la faute d’inaction8.

144 En second lieu, le juge administratif est extrêmement réticent à l’application d’un

régime de responsabilité sans faute pour la réparation des dommages découlant de la mise

1 Sur les liens unissant faute et illégalité, cf. par exemple C.E., Sect., 1er févr. 1980,Rigal, préc. ; – 21 févr. 1996, Vanderschelden, n° 43265, inédit ; C.A.A. de Lyon, 26 sept. 1991, M et Mme Bessière, n° 90LY00366, inédit ; C.E., 14 janv. 1994,Soc. Spechinor, n° 125195,R.J.E.1995, p. 166.

2 Sur le débat relatif à « l’illégalité fautive », cf. B. DELAUNAY, La faute de l’administration, Paris, L.G.D.J., 2007, 474 p., Bibl. de droit public, t. 252, p. 146 s.

3Ibid., p. 154.

4 Ce qui se situe d’ailleurs dans une ligne jurisprudentielle ancienne et plus large : v. notamment M. DEGUERGUE,Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit de la responsabilité administra-tive, Th. Droit, Paris, L.G.D.J., 1994, t. 171, p. 191-195. Pour un exemple d’application:C.A.A. de Douai, 22 juill. 2003,Min. de l’Emploi et de la Solidarité c. Soc. Cape Socap, n° 01DA00834,A.J.D.A.

2003, p. 2336 (à propos d’un arrêté, annulé pour incompétence, par lequel les ministres du Travail et de l’Agriculture, imposait aux entreprises souhaitant réaliser des travaux de confinement et de retrait d’amiante l’obtention préalable d’un certificat. En dépit de l’illégalité de l’arrêté, la Cour estime qu’il n’y a pas eu de faute de l’État, considérant, notamment, «qu’une telle mesure avait pour objet d’assurer une meilleure protection des travailleurs»).

5Cf. T.A. de Lille, 7 août 1995,Thellier, préc. Déjà dans ce sens : C.E., 4 nov. 1921, Monpillié et a.,

Rec. tables p. 1264 ; 9 mars 1984, Aucouturier, n° 18174, D.A. 1984, n° 192 (l’exploitant sans autorisation d’une porcherie étant en situation irrégulière au regard de la législation sur les éta-blissements classés, et l’annulation pour vice de forme de l’arrêté par lequel le préfet l’a mis en de-meure de fermer son établissement n’ayant pas eu pour effet de régulariser sa situation, il ne saurait se prévaloir de la situation irrégulière dans laquelle il s’est lui-même placé pour demander à être indemnisé). Un exploitant est, en revanche, fondé à demander la réparation du préjudice résultant de la fermeture illégale de l’ensemble de ses installations : C.E., 14 janv. 1994, Soc.Spechinor, préc.

6 Cf. par exemple C.E., 30 sept. 2002, M. Dupuy, n° 230154, Rec. tables p. 921 ; A.J.D.A.2003, p. 445, note N. ALBERT. En ce sens également : C.J.C.E., 4 juill. 2000, Labo. Pharmaceutique Bergaderm S.A. et Jean-Jacques Goupil, aff. C-352/98 P,curia.eu.int, concl. M. FENNELY;Rec. 2000 p. I-5291, point 42 ; T.P.I.C.E., 11 janv. 2002,Biret International c. Csl, aff. T-174/00 etBiret c. Csl, aff. T-210/00,J.O.C.E.du 29 juin 2002, n° C 156, p. 19, n° 35 et n° 36 ;Envir.2000, n° 100, comm. F. MARIOTTE.

7Est, en particulier, tenue pour fautive, l’illégalité imputable à une erreur d’appréciation : C.E., 26 janv. 1973,Driancourt, n° 84768,Rec. p. 77 ;A.J.D.A.1973, p. 245, chron. P. CABANEet D. LÉGER;

Rev. adm.1974, p. 29, note F. MODERNE. Est également constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’État, la décision d’un préfet mettant en demeure un propriétaire de cesser la location de locaux aux fins d’habitation qui est dépourvue de base légale : C.A.A. de Marseille, 6 mai 2003,M. X. c. Min. de la Santé, n° 00MA00611,A.J.D.A.2003, p. 1676. Encore faut-il que le requé-rant justifie d’un préjudice (même arrêt dans lequel le juge considère que vu l’état des locaux et les loyers pratiqués, le requérant ne justifie d’uacun préjudice financier) et qu’il établisse un lien de causalité direct entre celui-ci et la faute reprochée à l’administration. Pour un exemple, à propos de l’indemnisation due à une société en raison de la consignation illégale de bétail : C.E., 12 déc. 2003,

S.C.E.A. Les Bernardents,S.N.C. Maurice Laforêt, n° 236906, inédit.

en œuvre des règles de protection de la santé publique. La plupart des hypothèses dans lesquelles la réparation de plein droit des préjudices subis du fait d’une mesure de protection de la santé publique a été consacrée résultent de la loi1. Les cas jurisprudentiels de responsabilité sans faute de l’État pour la réparation de dommages anormaux et spéciaux subis du fait d’une règle législative ou administrative nouvelle restent en revanche extrêmement rares.

Le juge administratif reconnaît certes que la responsabilité sans faute des autorités publiques puisse être engagée soit sur le fondement du risque2, soit sur celui de la rupture de l’égalité devant les charges publiques3. Le champ d’application de cette jurisprudence est toutefois très limité. Déjà réticent à la mise enœuvre de ces régimes de responsabilité

1 Sur cette question de la socialisation législative des risques collectifs, v. infran° 676. On peut toutefois déjà citer l’exemple du régime législatif de la réparation de plein droit en matière d’accidents de vaccination obligatoire initié par la L. n° 64-643 du 1erjuill. 1964 (J.O.du 2 juill., p. 5762), puis successivement étendu par les L. n° 75-401 du 26 mai 1975 (J.O.du 27 mai, p. 5267) et n° 85-10 du 3 janvier 1985 (J.O.du 4 janv., p. 94). La charge de cette indemnisation repose aujourd’hui sur la solidarité nationale, via l’O.N.I.A.M. (L. n° 2004-806 du 9 août 2004, préc.). Pour des exemples d’application de cette responsabilité de plein droit : C.E., 23 févr. 1972,Min. de la Santé publique et de la Sécurité sociale c. Épx Boghossian, n° 80.560, Rec. p. 166 ; 3 mai 1974, Épx Berrebi, n° 87.908, Rec. p. 266 ; R.D.S.S. 1974, p. 650, note F. MODERNE; – 1er juin 1988, M. et Mme Mohammed Guebli, n° 35.921, inédit. Pour un autre exemple,cf. l’art. L. 221-2 C. rur. s’agissant de l’indemnisation des propriétaires éleveurs dont les animaux sont abattus sur ordre de l’administration, qui a joué un rôle important dans la gestion de la crise de la « vache folle » (sur l’application de cette disposition : C.E., 25 oct. 2004,E.A.R.L. Établissements Riquet, n° 251660,R.D. rur. 2005, inf. 331).

2 Sur le principe de la responsabilité sans faute de l’État-législateur pour la réparation des dom-mages anormaux et spéciaux subis du fait de l’entrée en vigueur de la loi dès lors que l’indemnisation n’a pas été expressément exclue par celle-ci : C.E., Ass., 14 janv. 1938, Soc. des produits laitiers « La Fleurette », n° 51704, Rec. p. 25 ; S. 1938, 3, p. 25, concl. ROUJOU, note P. LAROQUE;R.D.P. 1938, p. 87, note G. JÈZE;D. 1938, 3, p. 41, note L. ROLLAND, précisé, et modi-fié, par C.E., 2 nov. 2005, Soc. coopérative agricole Ax’ion, n° 266564, Rec. p. 468 ; R.D.P. 2006, p. 534, chron. C. GUETTIER, p. 1441, concl. M. GUYOMAR et p. 1427, note C. BROYELLE; R.F.D.A.

2006, p. 349, concl. et note C. GUETTIER;A.J.D.A. 2006, p. 142, chron. C. LANDAISet F. LENICA;Dr. env. 2006, p. 94, note E. NAIM-GESBERT(«le silence d’une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise enœuvre ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer»). V. C. BROYELLE, La responsabilité de l’État du fait des lois, Paris, L.G.D.J., 2003, 454 p., Bibl. de droit public t. 236, Préface de Y. GAUDEMET. Sur la responsabilité sans faute de l’administration-puissance publique : cf. C.E., 24 déc. 1926,Sieur Walther, n° 86.481,Rec. p. 1140 (condamnation de la ville de marseille à réparer le préjudice subi par M. Walther dont l’immeuble a été incendié par accident lors d’une opération de destruction par le feu d’un immeuble voisin contaminé, opération prescrite par le maire afin d’enrayer le développement d’une épidémie). V. également T.A. de Marseille, 22 avr. 1980, Dame Bauchagour et a., Rec. p. 532 : l’administration à titre prophylactique d’un médicament anticholéri-que ne constitue pas une vaccination obligatoire au sens du C.S.P., mais la responsabilité de l’État peut être engagée au titre du risque spécial créé pour les personnes dont l’état pathologique interdi-sent l’ingestion du produit, contre-indiqué. On notera ici que de tels accidents seraient aujourd’hui indemnisés par l’O.N.I.A.M. qui prend en charge la réparation des risques collectifs.

3C.E., Ass., 21 nov. 1947,Soc. Boulenger, n° 71.382,Rec. p. 436. Que celle-ci résulte d’une décision réglementaire (C.E., Sect., 22 févr. 1963,Cne de Gavarnie c. Sieur Benne, n° 50.438,Rec. p. 113 ;

A.J.D.A.1963, p. 208, chron. Y. GENTOTet J. FOURRÉ;R.D.P.1963, p. 1019, note M. WALINE;Sect., 20 juill. 1971,Sieur Mehu et a., n° 75.613,Rec. p. 567 ;A.J.D.A.1972, p. 251, note F. MODERNE) ou individuelle (C.E., 30 nov. 1923,Sieur Basilio Couitéas, nos38.284 et 48.688,Rec. p. 789 ;S.1923, 3, p. 57, note M. HAURIOU, concl. RIVET; D. 1923, 3, p. 59, concl. ; R.D.P. 1924, p. 75 et p. 208, concl., note G. JÈZE: Le refus légal opposé par la police de prêter son appui pour l’exécution d’une décision de justice ouvre un droit à réparation pour rupture d’égalité devant les charges publiques) ;

25 juill. 2007,Leberger, n° 278190,J.C.P.A 2007, act. 786, obs. M.-C. ROUAULT(un arrêté préfec-toral ordonnant la fermeture d’un camping pris en l’application de l’art. L. 2212-2 5° C.G.C.T. peut engager la responsabilité sans faute de l’État lorsque son destinataire a subi un dommage grave et spécial excédant les aléas que comporte nécessairement son exploitation).

sans faute1, le juge administratif l’est encore plus dès lors que les intérêts de la santé publique sont en jeu. Premièrement, le Conseil d’État a maintenu le principe d’irresponsabilité de l’État législateur lorsque la loi vise un intérêt général prééminent, notamment la protection de la santé publique, et/ou empêche la continuation d’une

activité nuisible à la santé publique2. Deuxièmement, s’agissant des interventions

sanitaires de l’administration, le juge n’applique la théorie du risque que de façon très exceptionnelle. En tout état de cause, il refuse d’étendre son application aux actes de

prévention médicale3 et aux mesures d’encadrement et de contrôle du secteur

médico-pharmaceutique4. Les mêmes réserves s’observent, troisièmement, dans l’application de la responsabilité pour rupture d’égalité devant les charges publiques. Ce régime n’est sans doute pas étranger aux activités de police administrative, même réglementaires. Par l’arrêt

Commune de Gavarniedu 22 février 1963, la Section du contentieux du Conseil d’État a en effet reconnu qu’un règlement de police, légalement édicté par un maire au titre de ses pouvoirs en matière de sécurité publique, engage la responsabilité sans faute de la

1Cf. par exemple, C.A.A. de Douai, 12 févr. 2004,Coop. Agricole Ax’ion, n° 02DA00575,Envir.2004, n° 82, obs. GILLIG;R.D. immo.2004, p. 426, obs. JEGOUZO.

2Cette limite, qui, pour certains, a fait de la jurisprudenceLa Fleurette«une vitrine vide» (P. BONet D. DEBÉCHILLON, obs. sous C.E., 21 janv. 1998,Min. de l’Environnement,D.2000, SC, p. 256), est présente dès cet arrêt de principe dans lequel le Conseil d’État précise que le produit dont la société a dû cesser la fabrication ne présentait pas de danger pour la santé publique. Pour la jurisprudence antérieure :cf. C.E., 29 avril 1921,Soc. Édouard Premier et Charles Henry, n° 70.754,Rec. p. 424,

S. 1923, III, p. 41, note M. HAURIOU(interdiction de la fabrication de l’absinthe, boisson alcoolisée dangereuse pour la santé publique). Comp. C.E., 8 avr. 1994, S.A. Ét. Charbonneaux-Brabant,

n° 122652,Rec. p. 187).Cf.également T.A de Paris, 13 mars 1963,Delle Pliot,Rec. p. 694 (non droit à indemnisation du fait de la loi du 4 avr. 1953 interdisant la vente par appartements d’un immeuble déclaré insalubre, cette décision étant motivée par l’absence de caractère spécial et exceptionnel du préjudice subi par la requérante) et C.E., Ass., 8 janv. 1965, Soc. des établissements Aupinel, nos59.604 à 59.612,Rec. p 15 (la responsabilité du fait des lois est exclue dans l’hypothèses d’une loi ayant cherché à lutter contre des activités illicites, dangereuses ou nuisibles à la santé publique).

3V. notamment la jurisprudence du Conseil d’État en matière d’accidents de vaccination obligatoire qui, jusqu’à l’intervention du législateur, a maintenu un régime de responsabilité pour faute (C.E., Ass., 7 mars 1958, Sec. d’État à la Santé c. Déjous, n° 38.230,Rec. p. 153 ;R.D.P.1958, p. 1087, concl. L. JOUVIN;S.1958, 2, p. 182, note F. GOLLÉTY;Ass., 13 juill. 1962, Min. de la Santé publi-que et de la Population c. Sieur Lastrajoli, n° 54.052, Rec. p. 506 ; D. 1962, J., p. 726, note J. LEMASURIER;R.D.P.1962, p. 975, concl. J. MÉRIC;A.J.D.A.1962, p. 553, chron. J.-M. GALABERT

et Y. GENTOT;Gaz. Pal.1962, 2, p 242. ;28 janv. 1983,Mlle Amblard, n° 24.447,Rec. p. 32 ;14 déc. 1984, Mlle Marie-José Gauchon et M. et Mme René Gauchon, n° 37382, Rec. tables p. 735 ;

R.D.S.S.1985, p. 130, obs. J.-S. CAYLA) en dépit d’un avis de sa Section sociale du 30 sept. 1958 qui avait clairement pris position en faveur de l’application de la théorie du risque (C.E., Sect. Soc., avis n° 275.048 du 30 sept. 1958,G.A.C.E.n° 4, note G. FALALA).Cf. infran° 382.

4 Selon les juridictions judiciaires, par la formalité du visa, la loi n’a pas entendu substituer la responsabilité de l’État à celle du producteur, du distributeur ou du fournisseur du produit (déjà en ce sens : Trib. civ. de la Seine, 28 juin 1955, D. 1955, p. 640 confirmé par C.A. de Paris, 30 avr. 1957, D.1957, p. 551 ;J.C.P.1957, 10088, concl. LINDON).Cf.par exemple à propos de la respon-sabilité du fabricant du vaccin contre l’hépatite B ayant entraîné une sclérose en plaque : C.A. de Versailles, 2 mai 2001,Smithkline Beecham,www.legifrance.fr;D.2001, p. 1592 et Cass. civ. 1ère, 23 sept. 2003,Soc. X… c. Mme Armelle Z. et a., n° 01-1306323,Bull. civ. I, n° 188 p. 146 ;R.T.D. Civ. 2004, n° 1, p. 101, note P. JOURDAIN;J.C.P. 2007, I, 101, obs. G. VINEY, notamment confirmé par Cass. civ. 1ère, 27 févr. 2007, n° 06-10063, inédit. Le juge administratif exige quant à lui une faute manifeste et d’une particulière gravité pour engager la responsabilité de l’administration à l’occasion de l’examen de la valeur thérapeutique d’un produit pharmaceutique (C.E., 10 mai 1957, Marbais, n° 4.917,Rec. p. 307 ;D.1958, p. 190, note F. GOLLÉTY.Cf. également, C.E., 28 juin 1968,Soc. mu-tuelle assurances contre les accidents en pharmacie et Soc. des ét. Février-Decoisy-Champion d’assurances mutuelles de la Seine et Seine-et-Oise (2 esp.), n° 67593 et nos 67677 et 67678,Rec. p. 411 et p. 412). Certaines espèces exceptent à ce principe (C.E., Sect., 4 mai 1979,Min. de la Santé c. de Gail, n° 06.014,Rec. p. 190, concl. M. FRANC), mais elles ne sont pas de nature à le remettre en cause.

commune s’il cause un préjudice anormal et spécial1. Mais cette jurisprudence est, à notre connaissance, restée lettre morte en matière sanitaire2. Par ailleurs, le juge administratif maintient pour partie sa position antérieure et écarte son application lorsque l’acte en cause fait légalement application d’une loi3ou d’une décision communautaire4.

145 Le principe veut que l’intervention des autorités publiques pour la sauvegarde de la

santé publique ne peut, sauf exception, ouvrir de droit à réparation que sur le fondement de la faute. Cette position, que le Conseil d’État avait autrefois défendu en matière d’accident de vaccinations obligatoires, a été très fermement rappelée dans son arrêt

Boudin du 30 juillet 1997 à propos des mesures de mise en garde du public contre les risques graves présentés par certains produits alimentaires : «De telles mesures, eu égard à l’objectif de protection de la santé publique qu’elles poursuivent, ne peuvent ouvrir droit à indemnisation que si elles sont constitutives d’une faute»5.

L’idée prévaut ainsi en jurisprudence que les particuliers doivent supporter, sans

indemnisation, les sujétions et dommages inhérents à la mise en œuvre des règles

nécessaires à la protection de la santé publique qui, sorte de tribut apporté à la sécurité collective, est une charge normale de la vie en société6. L’ordre public sanitaire, qui indique la prééminence des intérêts de la santé publique, justifie donc l’application d’un droit particulièrement contraignant pour les administrés. Il apparaît également comme un instrument de régulation des libertés publiques.

1C.E., Sect., 22 févr. 1963,Cne de Gavarnie c. Sieur Benne, préc.Cf. également B. JEANNEAU, Autour de l’arrêtCommune de Gavarnie. La responsabilité du fait des règlements légalement pris, in Mélan-ges SAVATIER, Paris, Dalloz, 1965, p. 375.

2Pour un exemple de rejet, fondé sur l’absence du caractère grave et spécial du préjudice invoqué,

cf.T.A. de Melun, 23 févr. 2006,Soc. Auroy et a., nos05-778/2, 05-780/2, 05-781/2 et 05-782/2,

A.J.D.A.2006, p. 832, note S. DEWAILLY(à propos des mesures de prévention de la « maladie de la

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