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Une fonction secondaire d’organisation des conditions sanitaires de sécurité

LA SANTÉ PUBLIQUE, COMPOSANTE DE L’ORDRE PUBLIC

L A PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE , CONDITION DU MAINTIEN DE L ’ORDRE PUBLIC

B.- L E DYNAMISME DE L ’ ORDRE PUBLIC SANITAIRE

2) Une fonction secondaire d’organisation des conditions sanitaires de sécurité

84 «Loi de vie»2, l’ordre public n’est pas un ordre de pure conservation qui cristalliserait et figerait le droit autour des exigences d’une société déterminée à une époque déterminée. La notion traduit aussi la quête du bien commun qui anime toute organisation sociale et politique3. De la sorte, l’ordre public est nécessairement un ordre dynamique, s’inscrivant dans un mouvement perpétuel de perfectionnement de la vie sociale4. Se faisant alors «le reflet juridique d’un idéal admis par la collectivité»5, il comporte aussi une fonction positive d’aménagement de l’ordre6. L’action publique prend ici un autre aspect puisqu’il n’est plus seulement question de conservation, mais bien de progression et de construction de l’ordre. Cela suggère une affirmation plus importante de la puissance publique destinée, par l’orientation des libertés publiques, à corriger l’état des choses faisant obstacle à la réalisation du projet social7.

Cette fonction positive de l’ordre public s’exprime dans le domaine sanitaire par la création législative de dispositifs de prévention permettant, grâce à la définition de comportements sanitaires favorables à la santé de tous, d’agir directement sur les sources, les facteurs et les vecteurs de maladies ou d’accidents. Déjà révélée par le programme pastorien qui inspire la loi du 15 février 1902, cette dimension positive de l’ordre public sanitaire correspond à l’idée que «le vrai moyen de protéger la santé publique […] n’est pas de lutter contre les maladies infectieuses, [mais…] de les rendre impossibles»8. Pour

ces deux intentions, protectrice et directrice ; mais, ici, elles se trouvent bien davantage mêlées : la protection de la santé des personnes […], par exemple, peut aussi bien s’inscrire dans le cadre de politiques volontaristes s’efforçant de construire délibérément un nouvel ordre social, et non pas seule-ment de conserver un certain état de la société ou de sauvegarder des droits supposés antérieurs ou originaires».

1J.-M. AUBY, Droits de l’homme et droit de la santé…,op. cit., p. 674.

2M. CLAPS-LIENHART,L’Ordre public. Essai, Th. Droit, Lyon, 1934, Annales de l’Université de Lyon, Fasc. 46, 1934, citée par P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 279.

3Cf.P. BERNARD,ibid., p. 252-281 et F. BATAILLER-DEMICHEL, Les «Beati possidentes» du droit admi-nistratif. (Les actes unilatéraux créateurs de privilèges),R.D.P.1965, p. 1054.

L’ordre [est] du mouvement assimilé, le mouvement, de l’ordre en puissance», écrivait ainsi Georges BURDEAU(L’État, Paris, Seuil, 1970, 182 p., coll. Points. Politique, p. 105).Cf. également, Ph. BRAUD,

La notion de liberté publique en droit français, Paris, L.G.D.J., 1968, p. 422.

5Ph. ARDANT, Bull. d’information bibliographique sur P. BERNARD,La notion d’ordre public en droit administratif, R.D.P.1964, p. 754.

6M. BERNARDperçoit ainsi l’ordre public comme «le fruit d’uneœuvre constructive» (La notion d’ordre public en droit administratif,op. cit., p. 44).

7Sous cet angle, l’ordre public renvoie à une définition dogmatique de la normalité : v.infran° 232.

8Ch. BOURGUIGNON,Des attributions de l’autorité municipale en matière d’hygiène,op. cit., p. 5. Dans le même sens, Henri MONODécrivait : «S’il existe des maladies transmissibles, si les modes de leur

ce faire, il faut empêcher les maladies par la destruction des germes pathogènes, ce que proposent notamment les procédés de désinfection, et rendre les milieux «réfractaires à [leur] reproduction»1: le « milieu » humain d’abord, par la vaccination, le milieu

environnant ensuite, par l’assainissement2. À ceci s’ajoutent des dispositifs de

surveillance et d’évaluation qui visent, le cas échéant, à réorienter et/ou à ajuster les actions mises enœuvre3.

85 Les régimes associés à cette fonction constructive de l’ordre public sanitaire

comportent certains particularismes qui soulignent le volontarisme politique les animant. Tout d’abord, les prescriptions du législateur s’imposent tout autant aux particuliers qu’aux responsables sanitaires : les acteurs et professionnels de santé, mais aussi les autorités administratives et, en particulier, les communes. Ces dernières sont en effet les premiers destinataires du commandement de la loi qu’elles exécutent, le plus souvent, sous le contrôle du préfet du département. Au nombre de ces obligations, figurent

notamment celle d’assurer l’application des règlements sanitaires4, celle de la

désinfection pour les communes d’au moins 20 000 habitants5, celle de l’assainissement des agglomérations qui peut être imposée en cas de mortalité excessive6ou encore celles qui résultent du régime d’évacuation des eaux usées7, de l’enlèvement des ordures et des déchets8, de la fourniture d’eau potable9, etc.

Ensuite, la plupart des régimes ainsi créés mêlent la gestion à la régulation, au point d’en faire fréquemment un tout indissociable. C’est notamment le cas du régime

transmission et les moyens de l’empêcher sont connus, c’est un devoir étroit d’employer ces moyens pour empêcher cette transmission. Et si cette transmission est effectivement empêchée, la conséquence dernière de cette destruction des germes nuisibles est la suppression des maladies elles-mêmes. […] Avec CONDORCET, avec ROCHARD, avec PASTEUR, nous croyons que les maladies évitables seront évitées, que poursuivies, traquées par les découvertes de la science et par les pratiques de l’hygiène, elles seront un jour définitivement vaincues» (La santé publique, op. cit., p. 37-38).

1Ibid., p. 36-37.

2Sur ce thème,cf. G. CARVAIS,op. cit., p. 280-330

3Cf. infranos264, 268 et 553.

4Cf. l’art. L. 1422-1 C.S.P. (C.E., Sect., 29 juill. 1943,Cie des sablières de la Seine, n° 70.940,Rec.

p. 213 ; ― 18 mars 1996, M. et Mme d’Haussen, n° 168267, inédit) et les art. L. 2213-30 et L. 2321-2 C.G.C.T. qui inscrivent les dépenses liées à la police de la salubrité et aux services communaux d’hygiène et de santé parmi les dépenses obligatoires des communes. Pour synthèse, voir la circ. du 14 juin 1989 relative aux règles d’hygiène (application des dispositions des articles L. 1, L. 2, L. 48, L. 49 et L. 772 C.S.P.),J.O.du 26 juill, p. 9330. Il s’agit aujourd’hui des articles L. 1, L. 1311-2, L. 1336-1, L. 3116-1, L. 1312-1, L. 3116-1311-2, L. 1421-4 et L. 1422-1 C.S.P.

5Art. L. 3114-1 C.S.P. L’art. L. 2321-2 12° C.G.C.T. inclut les dépenses des services communaux de désinfection.

6 Art. L. 1331-17 C.S.P.Cf. également les art. L. 2224-8 II et L. 2321-2 16° C.G.C.T. qui font des dépenses relatives au système collectif d’assainissement des dépenses obligatoires des communes.

7Art. L. 1331-1 C.S.P. s. (cf. C.A.A. de Bordeaux, 16 avr. 1992,Mme D. Brunet, n° 90BX00586,Rec. tables p. 1163 pour les eaux usées domestiques et C.E., 10 nov. 1971, Soc. civ. particulière du Château-Blanc, n° 79.515,Rec. p. 668 pour les eaux usées non domestiques).

8Art. L. 2224-13 à L. 2224-15 C.G.C.T.

9 Art. L. 1321-1 et L. 1321-5 C.S.P.Cf. Cass. civ. 1ère, 26 oct. 1964,Soc. lyonnaise des eaux et de l’éclairage c. Soc. des ét. Necobas,Bull. civ. I, n° 468, p. 362 ; Cass. crim, 20 oct. 1955, Dury,Bull.

crim. n° 423, p. 748 ; C.E., 4 nov. 1987, Cie des travaux hydrauliques (S.A.D.E.), n° 48007,Rec. p. 346 ;D. 1988, Somm., p. 254, note Ph. TERNEYRE.

relatif à l’évacuation des eaux usées qui associe étroitement les instruments de la police sanitaire – pouvoir d’injonction du maire pour le raccordement des immeubles au réseau, possibilité d’exécution d’office des travaux nécessaires, etc. – à ceux de la gestion – réalisation du réseau public d’évacuation des eaux usées, organisation et gestion du service public d’assainissement1. Ce mélange des genres a d’ailleurs conduit le législateur législateur à des formulations juridiquement très ambiguës car combinant la notion d’obligation de salubrité publique à celle de service rendu. C’est le cas, par exemple, de l’article L. 1331-8 du Code de la santé publique ainsi rédigé : «Tant que le propriétaire ne s’est pas conformé aux obligations [relatives à l’évacuation des eaux usées], il est astreint au paiement d’une somme au moins équivalente à la redevance qu’il aurait payée au service public d’assainissement si son immeuble avait été raccordé au réseau ou équipé d’une installation d’assainissement autonome réglementaire, et qui peut être majorée dans une proportion fixée par le conseil municipal dans la limite de 100 %». Le

Tribunal des conflits a précisé que le paiement des sommes, «loin d’être le prix du

service rendu que par le service public industriel et commercial que constitue l’exploitation d’un réseau d’assainissement, a le caractère d’une contribution imposée, dans l’intérêt de la salubrité publique, à quiconque, ayant la possibilité de relier son immeuble à un tel réseau, néglige de le faire»2.

86 Il est clair que, sur ce point, les modalités de la police de la santé publique

s’éloignent des formes traditionnelles du maintien de l’ordre public. Elles ne peuvent pour autant être exclues de son cadre de définition ; bien qu’animés d’une ambition positive, ces mécanismes participent de la même fonction de protection de la santé publique, indispensable à la sécurité collective et à la paix sociale. C’est en réalité l’approche du trouble et du désordre qui diffère. La dimension constructive de la police

sanitaire correspond à l’idée nouvelle au XXe siècle que «la vie sociale n’est pas

naturellement harmonique mais conflictuelle, préjudiciable»3, elle-même porteuse et créatrice de risques. Au-delà des menaces extérieures, des désordres « destructeurs », il existe aussi, et peut-être surtout, des désordres « positifs » de nature anthropique : ceux 1Cf. C.E., 6 janv. 1967,Ville d’Elbœuf, n° 63.433,Rec. p. 1 ;J.C.P.1967, II, 15019, note Y. GALMOT;

A.J.D.A.1967, p. 347, obs. P. LAPORTE.

2T.C., 19 déc. 1988,Pernin et Soc. de distribution d’eau intercommunales (S.D.E.I.), n° 2549 ; R.J.F.

1990, n° 604, p. 375 ;Dr. fisc.1989, n° 1418, p. 944, note F. MODERNE;A.J.D.A.1989, p. 269, note J.-B. AUBY, notamment confirmé par T.C., 13 déc. 2004,Cts Tiberghein c. S.A. des eaux du Nord et de la Communauté de Lille, n° 3424,Rec. tables p. 626 ;J.C.P.A 2005, n° 1065, note J. MOREAU. Par un arrêt du 26 septembre 1991, la Cour administrative d’appel de Paris a étendu cette solution aux « redevances d’assainissement » facturées par une société fermière de la commune à un propriétaire dont l’immeuble n’était pas raccordé (C.A.A. de Paris, 26 sept. 1991,M. Bernard, n° 89PA01158,Rec. tables p. 772 ;A.J.D.A.1992, p. 121, obs. J.-P. JOUGUELETet J.-F. GIPOULON). Sur l’ensemble de la question : F. MODERNE, A propos des taxes dites « redevances d’assainissement » : le désordre des qualifications en droit fiscal, R.J.F. 1976, p. 157-161 et R. TEXIDORE, Nature juridique de la rede-vance : une clarification bienvenue,R.J.F.1988, p. 379-384.

3F. EWALD, Le retour du malin génie…,op. cit., p. 105. Dans le même sens, Mme CLAPS-LIENHART

relève : «On ne peut plus dire :‟que l’État assure l’ordre, l’initiative privée fera le reste”, car, à l’idée d’un ordre social naturel, fruit du libre jeu des forces vives de la société, s’est substituée la nécessité d’un ordre tout entier assumé par l’État» (op. cit., p. 244).

que la société produit elle-même et contre lesquels il faut agir ou réagir1. Dès lors, si les objectifs et le cadre de l’intervention des pouvoirs publics sont ici définis par le législateur lui-même, la nécessité de l’action n’est pas constituée ex nihilo, mais résulte toujours de cet impératif social fondamental de sécurité.

87 Quel que soit l’angle d’approche de la protection de la santé publique, qu’il

s’agisse de la préserver ou de la diriger, la puissance publique, agissant au titre de l’ordre public sanitaire, ne peut donc s’exonérer des impératifs posés par sa fonction du maintien de l’ordre public. C’est bien en effet pour l’assurer qu’existent ces pouvoirs de police sanitaire. Il faut alors percevoir l’ordre public comme une « notion-cadre », à partir de laquelle il est possible de définir celle d’ordre public sanitaire.

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