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L’impossible dessaisissement de la police générale

b) Des pouvoirs d’intervention renforcés par une définition prétorienne extensive de la mesure individuelle de police sanitaire

L’ AFFIRMATION D ’ UN RÉGIME OBLIGÉ DE PUISSANCE PUBLIQUE

A.- L A PERMANENCE DE LA FONCTION ADMINISTRATIVE DU MAINTIEN DE L ’ORDRE

2) L’impossible dessaisissement de la police générale

171 La protection de la santé publique est un domaine très marqué par la multiplication

des polices spéciales. Leur inflation constante a réduit comme peau de chagrin le champ d’intervention de la police générale qui joue surtout aujourd’hui un rôle subsidiaire et complémentaire3. D’un point de vue qualitatif cependant, la police générale conserve toute son importance. Police du maintien de l’ordre par excellence4, elle ne saurait être supprimée et reste, en dépit de la raréfaction de sa mise en œuvre, la clef de voûte du système administratif français du maintien de l’ordre public en général et de l’ordre public sanitaire en particulier.

172 Il est depuis longtemps admis que l’existence et l’exercice d’une police spéciale

n’est pas de nature à supprimer la police générale5. Sous réserve de respecter les

dispositions prises par les autorités supérieures, les dépositaires de la police générale conservent leur pouvoir d’intervention qu’ils peuvent exercer soit pour l’exécution d’une réglementation particulière6, soit de façon concurrente à une police spéciale, soit en substitution de celle-ci lorsque les circonstances l’exigent7. Cette permanence vaut tant

Seine-et-Marne, n° 93020, Rec. tables p. 1314 ; Gaz. Pal.des 25-29 déc. 1992, p. 184 ; ― 31 mars

1995, M. Depailler, n° 123.755, Nouv. Pharma. 1995, n° 348, p. 391 ; R.D.S.S. 1995, p. 734, obs. J.-M. AUBY; Cass. crim., 10 avr. 1997,Mme Pillods, n° 95-86.134,Bull. crim.n° 139, p. 464 ;Nouv. Pharma.1997, n° 357, p. 504.

1 Cette solution a notamment été retenue par un arrêt ancien du Conseil de Préfecture de Lille s’agissant de la police des immeubles menaçant ruine (18 mai 1933,Maire de Mouveaux,D.1933, J., p. 470) dans lequel il est affirmé qu’une transaction amiable négociée entre un maire et un proprié-taire «ne saurait comporter aucune conséquence juridique». Dans le même ordre d’idée, un proprié-taire ne peut se prévaloir de travaux effectués par lui pour mettre fin à une déclaration d’insalubrité totale d’un immeuble : l’autorité de chose décidée qui s’attache à une telle mesure n’est pas suscep-tible d’être négociée : T.A. de Paris, 13 mars 1963,Delle Pliot, préc.

2C.E., 12 déc. 1924,Ville de Dieppe c. Sieur Dufour, n° 73.246,Rec. p. 1006.

3 J. MOREAU, La police de la salubrité publique,Encyclopédie des collectivités locales, op. cit., fasc. 2700-4, n° 12.

4 Cf. F. BÉNOIT, La police municipale,Encyclopédie des collectivités locales, Dalloz, t. 3, fasc. 2205-2223.

5 Cf. pour des exemples anciens : C.E., 5 janv. 1883,Thélolan, n° 56.337,Rec. p. 2, rapport SAINT -PAUL(s’agissant de la combinaison de la police générale municipale, de la police des cours d’eau non

navigables ni flottables, de la police des marais et de la police de l’assainissement) ; ― 28 févr. 1896,

Mandard,Chardin et a., n° 77.126, Rec. p. 188 (concernant la police générale du préfet et la police

des établissements classés) ; ― 7 déc. 1900, Sieurs Dubois et Gros, préc. (à propos de la police géné-rale et de la police spéciale des logements insalubres).

6C’est notamment le cas pour l’application du règlement sanitaire qui peut exiger la mise enœuvre par le maire de ses pouvoirs de police générale : C.E., Sect., 29 juill. 1943,Cie des sablières de la Seine, préc. ; C.E., avis, 8 nov. 1988, préc.

pour l’exercice de la police générale locale que pour la police générale nationale1. Ce principe de permanence, affirmé avec force par la jurisprudence, est un principe absolu qui vaut quelle que soit l’intention du législateur lors de la création de la police spéciale. De même que la répartition fonctionnelle des pouvoirs opérée par le constituant ne peut affecter l’existence de la police générale, l’institution par le législateur d’une police spéciale ne saurait dessaisir les autorités de police générale des attributions qui leur sont dévolues pour le maintien du bon ordre. Il n’existe donc pas, selon nous, de police spéciale « exclusive » proprement dite. Sans doute l’existence d’une telle police conduit-elle à réduire le champ d’intervention de la police générale ; conduit-elle ne saurait pour autant la

supprimer et empêcher sa mise en œuvre dès lors que les nécessités de l’ordre public

l’imposent. Comme ont pu le souligner M. PICARD puis M. RICHER, «le principe

d’exclusivité des polices spéciales n’a pas de réalité propre, il ne se justifie que dans la mesure où il coïncide avec le principe de nécessité»2.

173 En premier lieu, la police générale peut, quelle que soit la nature de la police

spéciale concernée, intervenir en complément de celle-ci. Cette intervention doit bien entendu être justifiée par une nécessité d’ordre public qui détermine l’habilitation à agir des autorités de police générale. Pour savoir si une mesure de police générale empiète ou non sur une police spéciale, le juge administratif procède dès lors à un examen complet et circonstancié de l’espèce en insistant spécialement sur les motifs de la mesure. Ni la police spéciale ni la police générale ne sauraient s’affranchir de leur habilitation à agir : l’autorité de police spéciale ne peut dépasser le cadre de ses compétences défini par la loi3; réciproquement, l’exercice de la police générale s’inscrit obligatoirement dans les limites de l’ordre public4. La reconnaissance d’une situation de concours entre police générale et police spéciale dont dépend la légalité de l’intervention de la police générale repose dès lors sur un raisonnement en deux temps. Elle s’apprécie tout d’abord de manière positive, par référence aux éléments matériels de l’ordre public tels qu’ils apparaissent dans le domaine de la police générale. En matière sanitaire, les hypothèses possibles de concours entre police spéciale et police générale se réduisent donc aux cas

1C’est ce qu’il ressort notamment de l’arrêt C.E., 2 mai 1973, Assoc. cultuelle des Israélites nord-africains de Paris, préc., dont le considérant de principe est, à cet égard, sans ambiguïté : «Si la police des abattoirs ressortit, d’une manière générale, à la compétence des maires des communes, il appartient au Premier ministre, en vertu de ses pouvoirs propres, d’édicter des mesures de police appli-cables à l’ensemble du territoire tendant à ce que l’abattage des animaux soit effectué dans des condi-tions conformes à l’ordre public, à la salubrité et au respect des libertés publiques». V. encore C.E., 19 mars 2007,Mme Le Gac et a., préc.

2L. RICHER, obs. sous C.E., 15 janv. 1986,Soc. Pec-Engineering,A.J.D.A.1986, p. 191.Cf. également É. PICARD,La notion de police administrative,op. cit., t. 2, p. 712.

3 C.E., 29 nov. 1999, Féd. française des pompes funèbres, préc. ; T.A. de Paris, 28 mai 2003,

Bernard Brousset, n° 9915863,A.J.D.A.2003, p. 2054 (sur l’exercice de la police des débits de bois-sons).

4Comme l’a notamment rappelé le Conseil d’État dans un arrêt du 9 oct. 1996 (Cne d’Ivry-sur-Seine, n° 121323,Rec. tables p. 749), la police municipale ne peut être exercée dans un but étranger à la sécurité, à la salubrité, à la tranquillité ou à la moralité publiques.

où la salubrité publique est concernée par ces deux polices1. Plus encore, il faut que la situation de fait fasse apparaître un risque ou une menace particulière pour la salubrité publique puisque, dans le cas contraire, la police générale n’est pas fondée à intervenir2.

L’habilitation à agir de la police générale s’apprécie également de manière négative dans le creux des législations existantes. La jurisprudence a en effet défini une règle de priorité d’action qui joue en faveur des polices spéciales. De la sorte, si la concurrence des polices spéciales et de la police générale est toujours possible sur le terrain de l’ordre public, le champ d’intervention de cette dernière est plus ou moins large selon l’étendue de l’habilitation donnée par la loi à l’autorité de police spéciale3. La reconnaissance d’une situation de concours suppose donc, dans un second temps, l’examen de la loi de police spéciale qui, en déterminant l’étendue de l’habilitation de la police spéciale, délimite les contours de la sphère d’intervention de la police générale. Plus les pouvoirs dévolus aux autorités de police spéciale sont larges et étendus, plus est réduit le champ d’intervention de la police générale.

C’est ici ce qui fait la différence entre les polices spéciales « classiques » et les polices spéciales dites « exclusives ». Par exemple, le droit reconnu au maire de faire usage de ses pouvoirs de police générale pour ordonner la suppression des causes d’insalubrité d’un immeuble s’explique par l’impossibilité pour le préfet d’édicter une telle mesure de salubrité publique au titre de la police spéciale de l’habitat insalubre4. C’est donc la loi qui, en limitant les pouvoirs d’injonction de celui-ci, est à l’origine du partage des compétences sanitaires exercées sur les immeubles. En revanche, un maire ne peut déterminer les travaux à exécuter sur l’immeuble ni interdire son habitation5. De telles décisions, déjà contraires au principe du libre choix des moyens, relèvent selon la loi de la compétence du préfet6. Les mêmes principes gouvernent la combinaison de la 1Cf. C.E., 22 juill. 1910,Sieurs Humbert et a., n° 36.444,Rec. p. 605 (une mesure d’embellissement et non de salubrité publique ne peut être prise en dehors d’une police spéciale) ; C.A.A. de Nancy, 24 oct. 2002,Cne de Hegenheim,J.C.P.A 2003, n° 1038, obs. J. MOREAU.

2Cf. C.E., 21 juill. 1970,Sieur Loubat, préc. ; ― 2 déc. 1983, Ville de Lille c. Ackermann et a., préc. ; T.A. de Nancy, 2 mars 2004, Préfet des Vosges, préc. ; C.A.A. de Bordeaux, 26 juin 2007, Cne de Montgeard, n° 05BX00570, inédit.

3 Cf. C.E., 23 sept. 1991, Cne de Narbonne c. Préfet de l’Aude, n° 117118, Rec. p. 313 ;A.J.D.A.

1992, p. 154, note J. MOREAUet―21 févr. 1997,Min. de l’Environnement c. Synd. des agriculteurs irrigants du Val d’Allier Bourbonnais, n° 139504,Rec. tables p. 971 ;D.A.1997, n° 137, note D. P.

4Cf. C.E., Sect., 21 févr. 1947,Sieur Varlet,préc. ; ― Sect., 21 févr. 1947, Sieur Barsi, préc. ; ― Ass.,

16 mai 1947,Sieur Gourlet, préc.

5 Après que le préfet a déclaré l’interdiction d’habiter un hôtel, le maire est en revanche fondé à ordonner au propriétaire et au gérant de l’hôtel de procéder à la fermeture de toutes les chambres vides ou libérées par leurs occupants : C.A.A. de Paris, 24 oct. 2002, Cne d’Aubervilliers, B.J.C.L.

2003, p. 272, concl. HAÏM.

6 Outre les espèces précitées,cf. Rép. Min. de la construction n° 14164, J.O. Ass. nat.du 11 sept. 1989, p. 4081. V. également s’agissant de la police de l’eau : C.E., 21 févr. 1997, Min. de l’Environnement c. Synd. des agriculteurs irrigants du Val d’Allier Bourbonnais, préc. et C.A.A. de Nancy, 2 août 2007, G.A.E.C. des Varennes et a., n° 05NC01255,A.J.D.A. 2007, p. 1949. Il faut noter ici que le contrôle des moyens employés par la police générale est essentiel pour déterminer l’existence ou l’absence d’empiétement sur la police spéciale. Par exemple, l’autorité de police muni-cipale, qui est compétente pour imposer aux habitants de la commune le respect de règles d’hygiène, y compris dans les établissements scolaires (C.E., 10 mars 1995, Cne de Vesoul, n° 135563, Rec.

police générale et de la police des installations classées, exemple type des « polices exclusives ». Ainsi, un maire ne peut, en l’absence d’un péril imminent, user de ses pouvoirs de police générale pour compléter ou aggraver les prescriptions arrêtées en la matière par le préfet1ou pour faire respecter ces règles par les propriétaires d’installations classées2. Il est, en revanche, habilité à enjoindre aux propriétaires de telles installations de se conformer aux dispositions du règlement sanitaire3. Si dans la première hypothèse, l’intervention de la police générale n’est pas admise, ce n’est pas parce qu’elle a été supprimée par la législation spéciale, mais parce qu’elle n’est pas nécessaire. La police générale n’a simplement pas la place pour agir en complément de la police spéciale qui suffit, sur ce point, à la protection de la salubrité publique4.

174 En second lieu, il est admis que la police générale puisse empiéter sur une police

spéciale lorsque son intervention s’impose pour le maintien de l’ordre public. Là encore, la nécessité d’ordre public fonde l’habilitation à agir de l’autorité de police générale, nonobstant la nature de la police spéciale concernée et l’intention réelle ou supposée du législateur d’exclure l’exercice de la police générale. Même en cas de « police exclusive », un maire ou un préfet peut donc intervenir par des mesures provisoires pour conjurer un trouble à l’ordre public5. La mise enœuvre de ce droit doit toutefois répondre

p. 126), empiète sur les pouvoirs spéciaux des Recteurs dès lors qu’elle édicte un règlement perma-nent s’appliquant spécialement aux écoles (C.E., 5 mai 1899,Sieur Claudon, préc. ; ― 26 mars 1920,

Barré et a., préc. ; ― 23 juin 1926, Cté de défense de l’enseignement libre de Grenoble, préc.).

1C.E., 15 janv. 1986,Soc. Pec-Engineering, n° 47836,Rec. tables p. 626 ;A.J.D.A.1986, p. 191, note RICHER; D.A.1986, n° 117 ; ― 18 nov. 1998, Jaeger, n° 161612, Rec. tables p. 1063 ; D.A. 1999, n° 9 ;Dr. env. 1999, n° 97, p. 6, note FONTBONNE;B.D.E.I.1999, p. 16, note COURTINconfirmant T.A. de Strasbourg, 16 juin 1997, R.J.E1995, p. 507, obs. SCHNEIDER;― 29 sept. 2003, Houillères du bassin de Lorraine, n° 218217,A.J.D.A.2003, p. 1797, obs. Y. J. et p. 2164, concl. T. OLSON;J.C.P.

A 2003, n° 2109, note BRILLET;Coll. terr. 2003, n° 233, obs. J. MOREAU;R.D. imm. 2004, p. 82, obs. Y. J. ;Dr. env. 2004, n° 116, p. 35, obs. ROMI.

2C.E., 14 déc. 1981, Cne de Montmorot, n° 16.229, Rec. tables p. 639 ; D. 1982, IR, p. 375, obs. F. MODERNEet P. BON.

3C.E., 21 déc. 1938,Soc. française des pétroles, n° 58.187,Rec. p. 966 («il appartient au maire, en vertu (de ses pouvoirs de police générale) de mettre le propriétaire d’un établissement classé […] en demeure d’observer les règlements sanitaires ») ; ― Sect., 22 janv. 1965, Cts Alix, nos56.871 à 56.873,

Rec. p. 44 ; ― 14 déc. 1981, Cne de Montmorot, préc. ; T.A. de Versailles, 14 juin 1985,Soc. de nivel-lement du Val d’Oise,Rec. tables p. 522 et p. 707 ;C.J.E.G.1986, p. 138, note D. DELPIROU.Cf. éga-lement C.E., 28 févr. 1896,Mandard,Chardin et a., préc. Ces principes ont été rappelés par le mi-nistre de l’Intérieur en réponse au député Denis JACQUAT(J.O. Ass. nat. Q., 13 janv. 2003, p. 207 ;

A.J.D.A.2003, p. 160).

4Sur cette question et en ce sens,cf. notamment P.-H. TEITGEN,La police municipale,op. cit., p. 225 et p. 227 ; D. DELPIROU, note sous T.A. de Versailles, 14 juin 1985,Soc. de nivellement du Val d’Oise,

C.J.E.G.1986, p. 138-142 et Ph. PAPIN, La responsabilité de la puissance publique dans le conten-tieux des installations classées,C.J.E.G. 1984, p. 374-375. Il en va de même en matière de police phytopharmaceutique (C.A.A. de Nantes, 24 mai 2005,Cne de Mûrs-Erigné, n° 04NT00628 ;J.C.P.A 2005, n° 1326, chron. R. VANDERMEEREN;A.J.D.A. 2005, p. 1919) et pour la police des cultures transgéniques, confiée au ministre de l’Agriculture par les art. L. 533-3 s. C. envir. (T.A. de Toulouse, 18 janv. 2005,Préfet de la Haute-Garonne c. Cne de Bax, nos 042388 et 042374,D.A.2005, n° 72 ;

A.J.D.A.2005, p. 1188, concl. M. FABIEN;R.R.J.2005, p. 347, concl. FABIEN;de Rennes, 10 mars 2005,Préfet d’Ille-et-Vilaine c. Cne d’Etrelle etc. Cne de Torcé(2 esp.), n° 0500757 et n° 0500742,

Coll. terr. 2005, n° 121, note ROUCHAUD; C.A.A. de Lyon, 26 août 2005, Cne de Ménat,

n° 03LY00696,A.J.D.A.2006, p. 38, note KOLBERT;Envir. 2005, n° 82 ; ― de Versailles 18 mai 2006,

Cne de Dourdan, n° 05VE00098 ; B.J.C.L. 2006, p. 566, concl. PELISSIER et obs. B. P. ; ― de

Bordeaux, 14 nov. 2006, Cne d’Ardin c. Préfet des Deux-Sèvres, n° 04BX00265, J.C.P. A 2007, n° 2016 (11), obs. L. GARRIDO. V. également T.A. de Toulouse, 19 sept. 2006, Préfet de la Haute-Garonne c. Cne de Bax, n° 0503972,A.J.D.A.2006, p. 2406, concl. TRUILHÉ).

à une nécessité absolue d’ordre public. Elle est dès lors soumise à une double condition. Premièrement, l’action substitutive de la police générale n’est admise que s’il n’existe aucun autre moyen de prévenir ou de faire cesser le trouble à l’ordre public, soit que la police spéciale n’ait pas été mise en œuvre1, soit qu’elle ne puisse être mise enœuvre2, soit que son intervention ne permette pas de garantir une action suffisamment efficace3.

Comme le relèvent MM. DUEZ et DEBEYRE, «la police générale ne peut servir qu’à

combler les insuffisances de la police spéciale»4. Deuxièmement, il faut que les circonstances rendent cet empiétement absolument nécessaire, c’est-à-dire que la situation de trouble soit telle qu’il n’existe pas d’alternative à l’action de la police

générale5. C’est cette idée qui est notamment contenue dans les notions de «péril

imminent»6 ou de «circonstances exceptionnelles»7 auxquelles le juge se réfère la plupart du temps en la matière.

1 C.E., Sect., 19 mars 1969, Sieur Aponte et a., n° 65.025,Rec. p. 161 et 13 juill. 2007, Cne de Taverny, n° 293210,A.J.D.A.2007, p. 2266, note M.-F. DELHOSTEconfirmant C.A.A. de de Versailles, 8 mars 2006, Cne de Taverny, n° 03VE04692 (Envir. 2006, n° 84, obs. D. GILLIG;Coll. terr. 2006, n° 81, note PELISSIER.Cf. également T.A. de Dijon, 23 nov. 1988,Soc. DS Environnement, R.J.E.1991, p. 99 et de Marseille, 9 mars 2004, Soc. Orange France, n° 023527, Envir. 2004, n° 68, note L. BENOIT.

2 Cf. C.A.A. de Bordeaux, 27 juin 2002, Cne de Mauses, n° 00BX02614, inédit, s’agissant d’une situation de paralysie du service public de ramassage et de traitement des ordures ménagères affec-tant une grande partie du département de l’Ariège et ayant pour conséquence le stockage de déchets ménagers sur des sites inadaptés et non autorisés entraînant, entre autres, des risques graves pour la salubrité publique. Aucune disposition de la loi relative aux installations classées ne prévoyait de mesure permettant au préfet de maintenir la salubrité publique dans un tel contexte. Il était donc habilité à intervenir au titre de la police générale.

3 C.E., 15 déc. 1944,Sieur Boucher, n° 75.089, Rec. p. 322 ; T.A. de Marseille, 9 mars 2004, Soc. Orange France, préc. ; C.A.A. de Bordeaux, 17 oct. 2006, M. Philippe X c. Cne de Toulouse, n° 03BX01503, inédit. ; T.A. de Toulouse, 19 sept. 2006,Préfet de la Haute-Garonne c. Cne de Bax, préc.Cf. L. RICHER, obs. sous C.E., 15 janv. 1986,Soc. Pec-Engineering,op. cit., p. 191.

4P. DUEZet G. DEBEYRE, Traité de droit administratif, Paris, Dalloz, 1952, p. 533.

5C.E., 15 janv. 1986,Soc. Pec-Engineering, préc.Cf.également C.A.A. de Nancy, 5 août 2004,Préfet de la Haute-Saône c. Cne de Saulnot, n° 02NC00779, A.J.D.A. 2004, p. 2039, note J.-M. ADRIEN;

R.F.D.A. 2005, p. 173, note P. LAGRANGE. Sur cet arrêt,cf.également M. FABIEN, concl. sur T.A. de Toulouse, 18 janv. 2005,Préfet de la Haute-Garonne, A.J.D.A.2005, p. 1189. Dès lors, si la police des installations classées donne au préfet le pouvoir de mettre en demeure un exploitant de faire ces-ser des inconvénients graves pour la sécurité ou la salubrité publiques, le maire est en revanche incompétent pour adresser une telle mise en demeure lorsque la situation ne présente pas de carac-tère de gravité suffisant : T.A. de Versailles, 14 juin 1985, Soc. de nivellement du Val d’Oise, préc. Dans de telles circonstances, il appartient au maire d’attirer l’attention du préfet sur la situation : C.E., 29 sept. 2003,Houillères du bassin de Lorraine, préc.

6 C.E., 21 déc. 1938, Soc. française des pétroles, préc. (Rapp. C.E., 5 juill. 1933, Sieur Bertholet, nos19.874 et 20.406,Rec. p. 730) ; ― 14 déc. 1981, Cne de Montmorot, préc. ; ― 15 janv. 1986, Soc. Pec-Engineering, préc. ; C.A.A. de Nantes, 24 mai 2005, Cne de Mûrs-Erigné, préc. (en l’absence de péril imminent de nature à entraîner des conséquences irréversibles sur le plan sanitaire, le maire ne peut s’immiscer dans l’exercice de la police spéciale des produits phytosanitaires). Constitue un péril imminent autorisant l’intervention du maire dans la police des installations classées, l’abandon d’ammoniac d’installations frigorifiques industrielles (C.A.A. de Nantes, 12 avr. 2004, Cne de Montreuil-Bellay, n° 01NT00893,Envir.2005, chron. n° 4, obs. D. DEHARBEet PODREZA;R.J.E.2006, p. 211, obs. A. SCHNEIDER) ou le stockage de farines animales dans des locaux, présentant un ca-ractère vétuste et situés dans un secteur urbanisé à proximité immédiate d’un groupe scolaire et d’une maison de retraite (C.A.A. de Nantes, 30 juin 2000,Soc. française maritime, préc.). N’est pas qualifié comme tel en revanche la pollution atmosphérique causé par le fonctionnement d’une entre-prise de stockage et de traitement de déchets d’origine animale qui ne menace pas gravement la salubrité et la santé des habitants de la commune : C.A.A. de Paris, 29 juin 2004,Préfet de la Seine-Saint-Denis, n° 03PA02867,Envir.2004, n° 94, note D. GILLIGet 2005, chron. n° 6, obs. D. DEHARBE

175 Cette présentation ne serait toutefois pas complète si l’on ne soulignait pas les variations du contrôle opéré par le juge selon que l’action substitutive s’accompagne ou non d’une substitution d’autorité. Ainsi, lorsque la police générale et la police spéciale concernées sont détenues par la même personne publique, la jurisprudence paraît moins exigeante dans l’appréciation du trouble à l’ordre public. Dans cette hypothèse, en effet, le juge se limite le plus souvent à considérer que l’autorité administrative «peut utiliser la police générale si les pouvoirs de police spéciale dont [elle] dispose sont insuffisants pour la satisfaction de l’ordre public»1. À l’inverse, lorsque la substitution d’action intéresse des autorités différentes, le juge insiste davantage sur la qualification du trouble par le recours systématique aux notions d’urgence ou de circonstances exceptionnelles, sans forcément s’attarder sur la condition de l’insuffisance de la police spéciale.

Loin de les remettre en cause, ces variations soulignent l’étroite dépendance des deux conditions de l’action substitutive de la police générale. On peut en effet considérer que dans le cas où il y a substitution d’autorité, la condition de l’insuffisance reste tout simplement sous-entendue parce qu’elle est contenue dans les notions même de péril imminent ou de circonstances exceptionnelles. En soulignant le caractère inhabituel et/ou imprévu de la situation, le juge rend également compte de l’inadéquation des dispositifs

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