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Les citoyens belges francophones et le fédéralisme en Belgique

B. Trois tendances fédérales

On peut dégager trois tendances fédérales transversales parmi les participants. En outre, le refus de la scission du pays est omniprésent dans les discussions, quelle que soit la préférence fédérale des citoyens. Au sein du panel, trois groupes sont ainsi distingués et révèlent des caractéristiques propres. Plus généralement, ces différentes positions s’ancrent dans des perceptions du fédéralisme particulières. Ainsi, progressivement les idéaux types se construisent.

Premièrement, il y a les supporters d’un statu quo fédéral – peut-être « amélioré » tel que suggéré par Paul PIRET lors de son intervention. Parmi ceux-ci, on peut distinguer deux sous-groupes. D’une part, ceux qui estiment que ce scénario constitue la meilleure solution qui soit car elle assure la coexistence entre les néerlandophones et les francophones. D’autre part, ceux qui, au contraire, s’y résignent, en se disant que c’est la seule solution. Les citoyens du premier sous-groupe montrent une véritable volonté « fédérale ». S’ils souhaitent le statu quo, ils sont toutefois favorables à son amélioration, c’est-à-dire au renforcement du fédéralisme et donc à la fois des entités fédérées que de l’Autorité fédérale. Le point de vue du participant B1 témoigne de cette vision fédéraliste :

B1 : D’abord, il faut se rendre compte que la Belgique à papa, je crois qu’elle a vécu. Le système actuel a quand même tenu pendant pas mal d’années et il faut apporter les modifications avec l’étape où chacun se mette à la table, je veux dire que le Nord et le Sud sortent du tabou. Il est certain que certaines compétences sont à refédéraliser...

A : Comme ?

B1: À fédéraliser, pardon et d’autres, à replacer au niveau communauté, région, etc. Donc, je vois très bien qu’il y a un chiasme pour certaines compétences qui quittent l’État fédéral pour les régions et communautés et inversement. Donc, c’est que le journaliste a appelé tout à l’heure une refonte. J’ai trouvé cela... la meilleure solution à laquelle je tiens par, un peu, sentimentalisme belge, mais je crois que par pragmatisme, c’est la seule solution pour évoluer et d’envisager un avenir serein, donc qui soit dépourvu de crises ou de crisettes, de réformes et de réformettes, avoir une bonne mouture définitive qui permette une sorte de pacification. Je crois que c’est vers ce but là qu’il faudrait se diriger.

A : Donc, on reste ensemble et on évolue. Donc, il y a aussi un décalage par rapport aux... B1 : On reste ensemble comme des adultes.

A : Monsieur ? Une préférence ?

B3 : Ah ben moi, globalement comme tout le monde. Je pense que le mieux c’est de rester sur notre fédéralisme mais on peut modifier quelques refontes.

A : D’accord, donc dans le même sens. On peut toucher aux matières qui vont dans le giron des compétences régions/communauté, en rendre d’avantage, en reprendre et refédéraliser. D’accord.

B3: Qu’ils mettent des compétences plus vers le niveau fédéral et d’autre vers les régions et communautés mais pas en tout cas ni la scission ni un retour vers l’État unitaire, ça je pense que c’est impossible.

De plus, on trouve chez B3 un refus de la scission et du retour à l’État unitaire. C’est probablement un des grands enseignements de la journée pour nombre de participants : le rétablissement d’une Belgique unitaire est impossible – alors que près de la moitié des citoyens acceptait ce scénario en T1.

À côté de ce premier sous-groupe, on trouve un deuxième sous-groupe composé de citoyens qui acceptent le statu quo fédéral actuel mais par défaut ; si c’est possible, ils souhaiteraient un renforcement de l’Autorité fédérale, sans nécessairement réduire le pouvoir des entités fédérées mais sans l’augmenter non plus. La participante B5 s’inscrit dans cette perspective : elle estime qu’il ne sera pas possible d’abandonner le fédéralisme mais voudrait que l’État fédéral puisse jouer l’arbitre entre les Régions et les Communautés afin de « gérer le conflit ».

B5 : Ben, je ne pense pas qu’on va abandonner le fédéralisme, donc on ne va pas tout remettre...

O : Réunifier.

B5 : Voilà, remettre toutes les compétences à l’État fédéral, on ne va pas y arriver non plus mais peut-être faudrait-il quand même demander que là au-dessus, on gère un petit peu le conflit et si on ne parvient pas à se mettre d’accord entre régions et communautés, ils prennent la décision, ils reprennent la décision...

En outre, dans l’extrait suivant, elle rejette l’octroi de davantage de compétences aux entités fédérées et plus particulièrement à la Région flamande qui, d’après cette participante, ne cesserait de réclamer d’autres compétences. Ainsi, cette position fait écho au deuxième sens négatif du fédéralisme belge : fédéralisme = séparatisme. Ce refus de plus d’autonomie pour les Communautés et les Régions contredit la solution de statu quo amélioré qui demande à la fois refédéralisation et fédéralisation.

A : Et au niveau du fédéralisme belge, qu’est-ce qu’on en fait ? On jette, on garde, on change ?

[…]

B5 : Le parfait n’existe pas, donc on essaie de garder ce qui est positif pour le plus grand nombre en améliorant peut-être, ou en gardant comme objectif non pas le bien de quelques- uns, mais tant pis si les riches doivent devenir plus pauvres.

A : Y compris si ça passe par davantage de compétences aux régions et aux communautés si je comprends bien ?

B5 : Si on donne plus de compétences, dans l’esprit d’aujourd’hui, à la Région flamande, elle va réclamer des allocations, elle va réclamer la gestion de l’emploi, elle va réclamer les plaques… enfin tout entendu... même, je pense que c’était pour rire quand même... je ne sais plus moi, voilà. Mais je me réjouis quand même qu’on revienne peut être à plus de sagesse.

Deuxièmement, il y a les partisans d’une véritable refédéralisation ; que cela soit avec le rétablissement pur et simple de l’État unitaire ou via moins de compétences pour les entités fédérées. En d’autres termes, ils souhaitent le renforcement de l’Autorité fédérale, au détriment des entités fédérées. Par exemple, le participant B2 est favorable dans ses réponses aux questionnaires au rétablissement de l’État belge unitaire et à la diminution des compétences des Régions et des Communautés. En outre, en T2, il rejette le statu quo fédéral actuel. Ce qui ressort de ses interventions en focus groupes, c’est un désir de maintenir l’unité de la Belgique. Pour ce faire, il en appelle à une « meilleure volonté de part et d’autre » et dans cette dynamique l’Autorité fédérale a un grand rôle à jouer.

A : D’accord. Monsieur ?

B2 : J’en reviens à ce que madame dit aussi. Mais seulement peut-être que la fédéralisation peut peut-être s’améliorer mais de part et d’autre. Un peu de meilleure volonté de part et d’autre.

A : D’accord... Mais on continue ensemble... B2 : Oh oui, absolument. Oui, oui, oui.

A : D’accord, donc, de nouveau contre la scission. Moins de compétences pour les entités fédérées, plus de compétences ? Vous avez une préférence ?

B2 : Plus pour l’État fédéral.

A : D’accord, c’est par ordre de préférence.

B5 : Puisque c’est l’État fédéral qui va mettre d’accord les uns et les autres donc si...Voilà ! B2 : Je crois que c’est le bon sens, mais bon...

B6 : Mais ils avaient l’air de dire que ce n’était pas possible de revenir en arrière.

B2 : Ben non, pas possible je ne pense pas. Tout le monde doit y mettre un peu de bonne volonté... B6 : Ah moi je suis d’accord mais...

B2 : Il faut toujours voir de part et d’autre, il n’y a rien à faire...

Au sein de cette position, suite aux discussions de la journée, de nombreux membres de ce groupe – mais pas B2 comme l’indique l’extrait ci-dessus – ont le sentiment qu’un rétablissement de l’État unitaire n’est plus souhaitable et/ou possible ; certains d’entre eux, se tournent alors vers la diminution de compétences à l’endroit des entités fédérées voire même à l’acceptation du statu quo fédéral actuel. C’est le cas de la participante B6 qui exprime d’abord son rejet de la scission avant de déterminer sa préférence fédérale :

A : […] Qu’est-ce que vous préféreriez comme scénario ? […] B6 : Moi je pense que c’est de toute façon pas la scission. A : D’accord.

B6 : Et après, revenir en arrière, refédéraliser comme disait le journaliste, c’est peut-être plus possible vraiment. Ce serait peut-être plus simple mais ce ne serait pas simple d’y repasser. Donc, comme il disait, un statu quo amélioré mais je ne sais pas vraiment qu’est-ce qu’on pourrait vraiment améliorer. Mais c’est sûr que vu la complexité des régimes que l’on a vue le matin, on ne pourrait que améliorer, mais bon, je ne sais pas exactement quoi.

A : D’accord, donc plutôt statu quo amélioré et ce qu’il disait je pense, corrigez-moi si ce n’est pas vrai, c’est que le retour à l’État unitaire était plutôt impensable, que la réfédéralisation on pouvait y penser pour des matières...

B6 : Oui, si l’on prend depuis le début. Mais si l’on prend la situation où elle en est... il faudrait tout supprimer pour repartir sur de nouvelles bases mais ce n’était pas dans les propositions...

Il ressort également de cet extrait que la participante B6 va un pas plus loin que l’impossible retour à l’État unitaire en expliquant que simplement revenir en arrière – refédéraliser – n’est plus possible non plus. On assiste ainsi à une véritable prise de conscience, suite à la participation à ce panel, d’une citoyenne qui expliquait d’emblée (voyez ci-dessus la section sur la connaissance politique) qu’elle ne connaissait pas bien le système fédéral en Belgique. Enfin, cette participante distingue une vision idéale qui serait de faire tabula rasa, de reprendre tout depuis le début et une vision réaliste qui est d’opter pour un statu quo amélioré, même si elle s’interroge sur ce qui pourrait vraiment être amélioré. Cette position fait clairement écho au premier des deux sens – négatifs – du fédéralisme : le fédéralisme est la moins mauvaise solution.

Troisièmement, on trouve les tenants d’un approfondissement du système fédéral en confiant davantage de compétences aux Régions et aux Communautés. Ceux-ci rejettent tout renforcement du gouvernement fédéral, mais également le statu quo fédéral actuel. En effet, face aux divergences de vue entre Flamands et Wallons, ils estiment que la seule solution est d’accorder une large autonomie aux Régions, tout en conservant un cadre fédéral afin d’assurer la coordination du système et d’effectuer certains arbitrages. Cette position peut sembler surprenante au regard de la réticence au sein du monde politique francophone au sujet des transferts de compétences de l’État fédéral vers les entités fédérées. Cependant les données recueillies à Liège montre l’existence de cette préférence fédérale parmi les participants. Le participant B8 reflète cette troisième grande tendance : l’approfondissement des compétences pour les Régions et les Communautés. Son raisonnement tient en deux étapes : d’abord, considérer les désirs des Flamands, ensuite, partant de cette volonté pour plus d’autonomie, accorder plus de pouvoirs aux entités fédérées. Dans ce système, le niveau fédéral ne devrait plus que veiller à l’équilibre global du système ; pour le reste, la responsabilité incomberait aux différentes parties du pays.

B8 : On est dans une démocratie parlementaire, je nous vois assez mal retomber dans la démocratie directe où l’on fait une révocation chaque fois qu’il y a un petit problème. D’autre part, je pense que toujours dans le même principe de réalisme, que c’est incontournable de ne pas tenir compte du désir de 60 % des gens, c’est-à-dire en clair des Flamands, d’apporter les modifications au système actuel. On ne va pas pouvoir passer à côté. Je pense qu’il faut être simplement les pieds sur terre et dire qu’on ne peut pas passer à côté et que donc on va pouvoir gérer cette question-là. Il faudra bien accepter

de mettre certaines choses sur le tapis. Par contre, je pense que ce qu’il faudrait peut-être, c’est que, le plus d’autonomie dirons-nous, communautaire, ou communautaire et régionale, là je ne prends pas position donc fédérale dirons-nous, le plus d’autonomie va se jouer sur les moyens pour arriver à quelque chose et qu’on va par contre apporter au niveau fédéral les garde-fous sur certains grands résultats et grands équilibres auxquels on ne veut pas, ou on ne peut pas, toucher, sans quoi, on va vraiment mettre la maison par terre. Je pense que le fédéral devrait plus devenir une garantie de quelques grands équilibre et après, on dit aux gens, pour autant qu’on arrive à ça, débrouillez vous chez vous : vous les Flamands, vous avez droit à x % de ceci, les Wallons, à y % de cela et à l’intérieur, débrouillez-vous, faites comme vous voulez, parce que je pense qu’il y a quand même une limite à la fantaisie débridée qui pourrait arriver dans les différentes parties du pays, parce qu’il faut quand même bien se dire que de plus en plus, le droit européen va primer sur les droits nationaux, je vais dire que juridiquement parlant, il prime, il va s’étendre de plus en plus et je crois que ce droit européen-là va quand même un peu limiter les fantaisies les plus aberrantes qui pourraient se faire jour dans une région ou l’autre qui pour tel ou tel particularisme a décidé de jouer d’une manière 100 % différente de ce que font les voisins.

En une phrase, B8 synthétise sa préférence fédérale : « plus d’autonomie aux, je vais dire, aux entités de la fédération mais sous un garde fou général ». Aux yeux de ce participant, cette solution découle d’une vision réaliste – d’un « principe de réalisme » pour reprendre son expression – de la dynamique actuelle du pays.

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