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La dynamique fédérale : les relations communautaires

Le fédéralisme en Belgique et au Canada

C. La dynamique fédérale : les relations communautaires

Si l’on devait résumer la dynamique fédérale en Belgique, on pourrait proposer la formule suivante : le fédéralisme résulte de la volonté d’atténuer les conflits communautaires149. Cependant, le fédéralisme belge s’est développé par défaut et Kris

DESCHOUWER d’insister :

[…] le choix d’une solution fédérale ne fut pas délibéré. En effet, les premières révisions de la Constitution en 1970 n’avaient pas pour objectif d’être les premières étapes de la création d’un État fédéral. Au contraire, elles visaient à apaiser les conflits liés à l’organisation territoriale – linguistique – en Belgique ; en procédant de la sorte, le fédéralisme pouvait être évité150.

Au cœur du fédéralisme belge se trouvent donc les relations communautaires entre les néerlandophones/Flamands et les francophones/Wallons. Ces relations ont été fortement influencées par une double logique : bipolaire et centrifuge. Or, Ivo D. DUCHACEK prévenait déjà il y a plus de vingt ans que ces deux caractéristiques ne plaident pas en faveur de la survie d’un tel système151 et Jean-Claude S

CHOLSEM de rappeler plus récemment qu’ « un fédéralisme essentiellement dualiste, bipolaire, n’a que très peu de chances de succès. Il souffre en quelque sorte d’un handicap structurel »152. En Belgique, cette bipolarité touche à la fois la vie politique mais également la vie sociale, culturelle et médiatique. En effet, au-delà de la division des partis et de l’absence de partis fédéraux153,

149 André Leton et André Miroir, Les conflits communautaires en Belgique, Perspectives internationales (Paris :

Presses universitaires de France, 1999).

150 Kris Deschouwer, « La dynamique fédérale en Belgique », in Le fédéralisme en Belgique et au Canada.

Comparaison sociopolitique, Bernard Fournier et Min Reuchamps (dir.), Ouvertures sociologiques (Bruxelles : De Boeck Université, 2009), 65.

151 Ivo D. Duchacek, « Dyadic Federations and Confederations », Publius : The Journal of Federalism 18, n°2

(1988).

152 Scholsem, « Le « modèle belge » de pacification communautaire : un produit d’exportation ? » : 286

(italiques dans l’original).

153 Kris Deschouwer, « Une fédération sans fédérations de partis », in La réforme de l’Etat... et après ? L’impact des

on trouve véritablement « deux solitudes » au sein de la société belge, tout comme au Canada, avec leur histoire et leurs mythes, leurs héros et leurs stars – ces bekende Vlamingen différents des francophones célèbres –, leur sphère médiatique, leur vie culturelle et qui se connaissent peu, voire pas du tout154. En résultent une méconnaissance de l’autre et donc une incompréhension de ses attentes ; l’absence de dialogue inter-communautaire renforce cette dynamique doublement unilatérale. « Or, rappelle Kris DESCHOUWER, dans une démocratie, personne ne peut avoir raison d’une manière unilatérale ; ainsi, la frustration s’en trouve encore grandie. Le compromis – nécessaire – en bout de course est alors plus difficile à réaliser et prend beaucoup plus de temps. Il est également plus difficile à accepter, car il faut le trouver sans perdre la face, ce qui ne favorise par la légitimité démocratique du système »155. Dans ce paysage bipolarisé, il existe toutefois, mais

probablement moins qu’au Canada, certaines dynamiques qui ont résisté à la logique centrifuge. Pensons aux syndicats et fédérations patronales, mais également à certaines fédérations sportives, restés nationales.

Malgré cette forte dualité, la pratique du compromis et de la recherche du consensus – héritée de la tradition consociative rappelée ci-dessus – a permis de pacifier les conflits communautaires (le fédéralisme belge constitue avant tout un modèle de pacification, de conflict management) et d’assurer une cohabitation plus ou moins harmonieuse

entre les deux grandes communautés, même si, précise André LETON,

[…] les décisions par consensus ne se révèlent […] pas toujours être les situations presque idylliques que présentent certains auteurs. Nous avons pu faire apparaître que si les compromis peuvent mettre fin au moins provisoirement à un conflit, ils ne se révèlent pas nécessairement une base solide pour de meilleures relations : l’essentiel semble plutôt que chaque partie puisse trouver dans l’accord des éléments de satisfaction permettant de présenter un bilan acceptable par ses partisans. Les compromis n’apportent d’ailleurs pas toujours de véritable solution : ils peuvent dans certains cas se révéler impossible à mettre en œuvre156.

On peut même aller plus loin : les compromis « à la belge », s’ils ont le mérite d’apaiser une tension communautaire particulière, portent souvent en germe les graines de la prochaine discorde. La dynamique fédérale belge se vit ainsi de crise en compromis et de compromis en crise. On peut ainsi contraster le fédéralisme belge au fédéralisme canadien

154 Dave Sinardet et Marc Hooghe (dir.), Is Democracy viable without a unified public opinion? The Swiss experience and

the Belgian case, vol. 3, Re-Bel e-books (Bruxelles : Re-Bel initiative, 2009). Voyez notamment l’introduction de ce livre : Marc Hooghe et Dave Sinardet, « Introduction : Is there a Belgian public opinion? », in Is Democracy viable without a unified public opinion? The Swiss experience and the Belgian case, Dave Sinardet et Marc Hooghe (dir.), Re-Bel e-books (Bruxelles : Re-Bel initiative, 2009).

155 Deschouwer, « La dynamique fédérale en Belgique », 71.

156 André Leton, « Contribution à l’étude des conflits communautaires en Belgique » (Thèse pour le Doctorat

en insistant sur l’immobilisme constitutionnel du second et l’hyper-mobilité constitutionnelle du premier. À la différence du Canada, la Belgique connaît donc une évolution de sa fédération assez remarquable. Et comme, « l’objectif final des réformes constitutionnelles n’a jamais été spécifié […] le futur reste donc ouvert »157. Peu d’observateurs se risquent d’ailleurs à pronostiquer l’avenir du pays bien que tous prévoient une nouvelle réforme de l’État à plus ou moins brève échéance158. Celle-ci semble inévitable

en raison des demandes répétées pour plus d’autonomie venant de certains leaders flamands et la diminution progressive de l’opposition farouche des responsables politiques francophones à toute nouvelle avancée constitutionnelle. Mais simultanément, on assiste depuis quelques années à des appels pour le renforcement de la fédération soit par l’entremise d’une refonte de celle-ci avec des transferts de compétences dans les deux sens (du fédéral vers le fédéré et vice-versa)159 soit via l’adaptation des structures institutionnelles comme, par exemple, l’instauration d’une circonscription fédérale qui couvrirait l’ensemble du territoire et permettrait l’élection de quinze députés par tous les électeurs, qu’ils vivent en Flandre, en Wallonie ou à Bruxelles – ce qui n’est pas possible actuellement160.

D’une manière générale, la fédération belge évolue aussi fortement sous l’impulsion de l’Union européenne et d’autres institutions internationales. Ainsi, comme l’écrivent justement Jan BEYERS et Peter BURSENS, « Europa is geen buitenland »161, l’Europe n’est pas un pays étranger. Y compris dans le débat communautaire, l’argument européen est mobilisé mais en sens divergents et parfois opposés. Tout d’abord, certains estiment que le niveau fédéral est devenu une « coquille vide » entre le niveau européen et le niveau régional – flamand en particulier. C’est, par exemple, l’argument mis en avant par le groupe de réflexions In de Warande qui prône l’indépendance de la Flandre tout en maintenant un

157 Deschouwer, « La dynamique fédérale en Belgique », 65.

158 Dave Sinardet, « Belgian Federalism Put to the Test : The 2007 Belgian Federal Elections and their

Aftermath », West European Politics 31, n°5 (2008) ; Lieven De Winter et Pierre Baudewyns, « Belgium : Towards the Breakdown of a Nation-State in the Heart of Europe? », Nationalism and Ethnic Politics 15, n°3 (2009).

159 Paul Piret, « Une Belgique en pointillés », Etudes 55, n°11 (2006).

160 Dave Sinardet, « De communautaire koorts : Symptomen, diagnose en aanzet tot remedie », Samenleving en

Politiek 10, n°3 (2003) ; Kris Deschouwer et Philippe Van Parijs, « Une circonscription fédérale pour tous les Belges », La revue nouvelle, n°4 (2007) ; Kris Deschouwer et Philippe Van Parijs, « Een federale kieskring voor een gezonde federatie », Samenleving en Politiek 15, n°3 (2008). Frédéric BOUHON se pose, néanmoins, la question de savoir si ce n’est pas un placebo pour un malade incurable, Frédéric Bouhon, « La circonscription fédérale : un placebo administré à un malade incurable ? », (Liège : Université de Liège, 2007).

161 Jan Beyers et Peter Bursens, Europa is geen buitenland. Over de relatie tussen het federale België en de Europese Unie

lien européen fort162. L’Europe justifierait ainsi la disparition de la Belgique. Au contraire, d’autres mettent en avant que l’Europe et surtout ses États membres n’accepteraient pas les velléités d’indépendance de la Flandre pour éviter de créer un précédent qui pourrait être repris par les Basques, les Catalans, les Écossais, voire les Corses ou les Bretons. La Flandre ne serait pas le Kosovo et la balkanisation d’un pays au cœur de l’Europe, de surcroît un membre fondateur, ne serait pas nécessairement accueilli d’un œil favorable par les partenaires européens. Dans ce cas, l’Europe empêcherait la disparition de la Belgique. Enfin, certains chercheurs avancent que l’Europe vient à la rescousse de la Belgique fédérale en montrant que l’intégration européenne, d’une part, encourage la coopération entre les Régions, les Communautés et l’Autorité fédérale et, d’autre part, renforce la centralisation et empêche ainsi la disparition de cet ordre de gouvernement163. Ici, l’Europe

justifierait la survie de la Belgique.

IV. Le fédéralisme en Belgique et au Canada

« Tant le Canada que la Belgique prônent la cohabitation harmonieuse des cultures ainsi que tous deux un juste équilibre entre la solidarité et la subsidiarité »164, estiment le

Canadien, Gérald-A. BEAUDOIN, et les deux Belges, Armand DE DECKER et Francis DELPÉRÉE. Ce constat posé par des hommes politiques165 mérite, cependant, d’être discuté. Nous l’avons déjà écrit, le fédéralisme en Belgique et au Canada n’est pas une solution neutre. Dès lors, il n’est pas inutile de questionner et de comparer cette cohabitation harmonieuse des cultures ainsi que le juste équilibre entre la solidarité – ou la gestion commune et les intérêts communs166 – et la subsidiarité – c’est-à-dire l’autonomie et les intérêts distincts. Cette double interrogation renvoie à deux dimensions du fédéralisme que l’on retrouve dans les deux pays étudiés : son caractère multinational, d’une part, et paradoxal, d’autre part. C’est justement la présence de ces deux dimensions qui justifie la pertinence de comparer la Belgique et le Canada.

162 Denkgreop “In de Warande”, Manifest. Voor een zelfstandig Vlaanderen in Europa (Bruxelles : Denkgreop “In

de Warande”, 2005).

163 Jan Beyers et Peter Bursens, « The European Rescue of the Federal State : How Europeanization Shapes

the Belgian State », West European Politics 29, n°5 (2006).

164 Gérald-A. Beaudoin et al., « Les fédéralismes canadien et belge », Revue parlementaire canadienne 22, n°4

(1999) : 1.

165 Précisons que le premier et le troisième étaient tous deux professeurs de droit à l’université avant d’entrer

en politique. En 1999, Francis DELPÉRÉE n’était d’ailleurs pas encore Sénateur.

166 La traduction anglaise de cet article utilise les notions de common interests et de separate interests qui nous

semblent plus parlant que respectivement la solidarité et la subsidiarité ; Gérald-A. Beaudoin et al., « Canadian and Belgian Federalism », Canadian Parliamentary Review 22, n°4 (1999) : 1.

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