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Les citoyens belges francophones et le fédéralisme en Belgique

C. L’organisation et le déroulement

II. Les perceptions fédérales des citoyens belges francophones

3. La connaissance politique dans les discussions

Afin de faciliter la lecture des analyses menées sur les focus groupes, un des neuf groupes a été sélectionné pour servir de fil conducteur à la démonstration. Plus précisément, le groupe B a été choisi pour une double raison : d’une part, pour son caractère représentatif des discussions qui se sont tenues dans l’ensemble des groupes lors du panel de Liège et, d’autre part, pour la diversité des points de vue que l’on y trouve. Cette présentation d’un seul groupe permettra de « suivre » plus facilement les membres de son groupe et d’ainsi mieux concevoir l’ensemble de leurs perceptions et préférences qui seront les éléments constitutifs des idéaux types. Comme nous l’avons expliqué au chapitre précédent, l’analyse systématique des discussions s’est appuyée sur les logiciels HyperRESEARCHTM et Mosaïqs® via le « marquage », ou pour utiliser un anglicisme le « tagage », du corpus de données avec des marqueurs préalablement définis, en application du cadre d’analyse, et éventuellement réajustés pendant le traitement.

Pour analyser la connaissance politique des participants, trois marqueurs spécifiques

ont été retenus : « connaissancep » (reflétant un élément de connaissance406),

« connaissancen » (indiquant une « non connaissance ») et « complexite » (signalant un élément de complexité relevé par le participant). La complexité transcende la stricte dimension de la connaissance politique et renvoie également à des éléments de perception politique qui seront analysés dans la section suivante. Un aperçu graphique (Figure 3.1) du poids relatif de chacun de ces trois marqueurs dans le corpus (tag cloud) révèle la prédominance de la complexité et de la connaissance « négative ».

Figure 3.1 Nuage des marqueurs de connaissance politique

D’une manière générale, on pourra être surpris du faible poids relatif de la connaissance « positive ». Cela signifierait-il que dans les discussions la connaissance des participants s’est avérée faible ? Non, la réponse est plutôt à trouver dans le processus même de marquage du corpus. En effet, toutes les interventions des participants reposent sur une certaine connaissance de leur part et indéniablement ils connaissent au moins grosso

406 Le « p » de « connaissancep » signifie positif ; les symboles, les espaces et les accents n’étant pas autorisés

modo le système fédéral dans lequel ils vivent (les réponses aux questionnaires l’attestent d’ailleurs et nombre de passages pourraient le confirmer) ; or, il serait inopportun – car beaucoup trop nombreuses – de marquer « connaissancep » chaque intervention reposant sur un minimum de connaissance. Les occurrences « connaissancep » renvoient donc plutôt à des éléments particulièrement notoires de connaissance. Dans cette perspective, ce marqueur a été utilisé à quatre reprises, toutes à la suite de l’intervention du premier expert, Christian BEHRENDT. L’extrait reprend la discussion au début de la deuxième séance en focus groupe407 :

A : […] Alors, pour cela, pour recommencer un peu à froid, qu’est-ce que vous avez pensé de l’intervention de Christian Behrendt, un petit débriefing, est-ce que cela vous a apporté un éclairage particulier, est-ce que c’était trop complexe, pas assez ?

B5: Je trouve que le tableau est hyper clair. C’est la première fois que je comprends, en tous les cas de ce qui était là, pas de l’ensemble.

B9: Je crois qu’il a mis le doigt sur le problème du fédéralisme en Belgique. Il a expliqué que partout les lois fédérales sont dominantes.

B6: J’ai trouvé cela intéressant. Ça m’a permis de comprendre. Je ne connaissais pas vraiment et maintenant ce que je comprends c’est un peu plus compliqué.

B3: Je l’ai trouvé très dynamique. Ce qui m’a marqué, c’est que, sachant qu’il est allemand au départ, on a vraiment l’impression qu’il parlait de notre constitution, de notre fédéralisme, qu’il en rigolait presque en fait. Et donc, c’est le sentiment que j’ai eu, c’est que le monde voit notre Belgique comme cela.

A: On est un exemple risible aux yeux de l’étranger, c’est ça que vous voulez dire... B3: C’est le sentiment que j’ai.

A: C’est peut être cela la fameuse dérision belge, traditionnelle. L’autodérision belge... B1: Comprendre le système ne veut pas dire tout retenir non plus.

B2: Mes explications ont été très bien données. Avec cela, on trouve que la politique qu’on mène est vraiment beaucoup trop compliquée, on devrait pouvoir faire beaucoup plus simple. Toutes les lois, on les complique. Il y a moyen de faire simple mais c’est trop compliqué pour eux. B6: Apparemment, c’est très difficile de les changer aussi.

B2: On adore de tourner en rond et ce n’est pas en tournant en rond qu’on arrange les choses. On fait compliqué là où on pourrait faire simple, absolument.

Des quatre extraits marqués, trois attestent d’une augmentation de connaissance suite à la première séance plénière. Le quatrième passage, « comprendre le système ne veut pas dire tout retenir non plus » (B1), est de nature différente. Face à un système jugé fort complexe, comme les extraits suivants le montreront, le participant B1 dénote d’un certain pragmatisme. Par ailleurs, cette réflexion renvoie à la nature même de la dimension de connaissance politique qui est d’appréhender la compréhension du système plutôt que d’évaluer scolairement la connaissance des participants.

En poids relatif, la connaissance « négative » revient plus souvent que la connaissance « positive ». En fait, plusieurs participants avouent ne pas bien connaître le

système fédéral et le fédéralisme et, expliquent-ils, c’est d’ailleurs une des raisons de leur participation comme en témoignent cette intervention de la participante B6 dans sa présentation : « moi, je m’y connais pas trop en fédéralisme, plutôt pas du tout, mais je me suis dit que cela pourrait toujours être intéressant » (B6). Par ailleurs, l’exercice de la carte du fédéralisme a également permis d’appréhender la connaissance ou non du fédéralisme. Ainsi, dans l’évocation de leur carte du fédéralisme (Figure 3.2 et Figure 3.3), les participants B3 et B6 expliquent qu’ils ne sont pas vraiment sûrs de leur vision du fédéralisme, alors que leurs propos touchent, en fait, le cœur de la définition du fédéralisme en Belgique.

Figure 3.2 Carte du fédéralisme de B3

B3 : Ben, je n’ai pas mis grand chose en fait. J’ai mis coexistence et conciliation parce que le fédéralisme, c’est peut-être essayer de faire vivre ensemble des gens différents dans un même État pour ne pas qu’il y ait de séparation. Je ne sais pas trop. En fait, je manquais d’imagination.

Figure 3.3 Carte du fédéralisme de B6

B6 : Donc moi, près de fédéralisme, j’ai noté les mots union, constitution, politique et loi. C’est un peu les mots qui me viennent en tête quand je me dis fédéralisme. Et alors, un peu plus loin, j’ai marqué régions parce que je ne sais pas comment cohabitent la région wallonne et la région flamande avec le fédéralisme etc. Donc, voilà. Moi, comme je l’ai dit, je m’y connais pas trop mais je me dis que le fédéralisme, c’est peut-être ce qui sert à garder l’union de la Belgique. Je trouve que c’est bien mais on verra bien par la suite de la journée ce que l’on conçoit.

Poursuivant l’exploration de la connaissance dite négative, certains citoyens expliquent qu’ils ne comprennent plus le système – alors que leur connaissance politique est élevée. Les deux extraits suivants attestent de ce sentiment :

A : Donc le fédéralisme est un peu une vache à lait ? B1 : Les deux.

B2 : Oui et non peut-être, je ne sais pas. Il faut examiner cela dans les détails. Moi, je ne peux pas donner de réponses à cela.

B8 : C’est un compromis où il a fallu mélanger l’eau et le feu pour essayer de trouver quelque chose et en fait, on a monté un système relativement inexplicable. Alors, le plus grave n’est pas que ce soit compliqué dans le fonctionnement. Mon point de vue, c’est que les gens, je ne me mets pas en dehors des gens, ne comprennent plus rien à rien. On ne sait plus comment ça marche. On sait finalement plus qui décide de quoi. On élit des gens qui, sans que l’on ne le sache, nous représentent à telle assemblée, à telle autre. En fait, on n’en sait plus rien. On a du mal à savoir quelle matière dépend de quelle institution et en définitive, on n’est plus tellement concerné par ce qu’ils décident car on n’arrive plus à comprendre où est le niveau de décision et ça je pense que plus d’un... C’est pas qu’en soit le système n’est pas compliqué. On a

coupé le citoyen du fonctionnement d’une espèce de mécanisme, de machine folle lancée sur elle-même.

A : Quand vous dites « on », vous pensez au citoyen ?

B8 : Moi, je ne me cache pas de dire que, à l’époque, il y a 30 ans, j’avais l’impression de comprendre comment fonctionnait mon pays. Maintenant, je tire l’échelle. Ce truc-là, c’est l’enfer.

Enfin, la complexité semble être l’élément qui ressort le plus de la dimension connaissance politique entendue au sens large. En fait, la complexité du système tient également de la perception politique, du jugement que l’on porte sur le système politique fédéral. Cette discussion à propos de l’immersion linguistique et de la venue d’enseignants néerlandophones en Communauté française reflète cette tension :

B5: C’est lié aux communautés car ce qui relève du fédéral, je suppose que si c’est fédéral, c’est la même chose pour tout le monde mais puisque le fédéral a rejeté des compétences dans les communautés et les régions, là, la complexification est croissante, t’imagine puisque chaque communauté peut décider de ce qu’elle va faire, va poser et chacun fait à sa façon. B8 : On a créé un marché européen et puis maintenant, on nous fait des contraintes. On alterne...

B2 : On ne simplifie pas, on complique.

Dans la prochaine section consacrée à l’étude de la perception politique, il sera utile de creuser la question de la complexité du système. Avant d’aller plus loin, synthétisons ce que nous avons appris de la connaissance politique des citoyens en vue de préparer la construction des types de citoyens à la fin de l’analyse.

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