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Les perceptions et préférences fédérales des citoyens belges francophones : quatre idéaux types

Les citoyens belges francophones et le fédéralisme en Belgique

C. Les préférences fédérales : synthèse

IV. Les perceptions et préférences fédérales des citoyens belges francophones : quatre idéaux types

Nous voici arrivés au terme du cheminement analytique qui nous a permis d’étudier en profondeur les perceptions et les préférences des participants à de la Rencontre citoyenne sur le fédéralisme qui s’est tenue à Liège en septembre 2007. Chaque dimension de la recherche a été systématiquement analysée en vue de dégager des positions génériques qui transcendent les opinions individuelles. Cette évolution progressive au travers de l’ensemble des données permet, à l’issue de ce chapitre, de construire analytiquement des idéaux types de citoyens belges francophones. Ces profils pourront ensuite être comparés avec les profils des citoyens belges néerlandophones, québécois et canadiens anglophones.

Pour construire les idéaux types, suivant les enseignements de Max WEBER comme

nous l’avons expliqué dans le deuxième chapitre, nous sommes partis des phénomènes individuels, et plus précisément des perceptions et préférences fédérales, afin de dégager, au sein de chacune des variables et dimensions de la recherche, différentes positions génériques. Partant de celles-ci, il est possible de construire des idéaux types qui ne résultent donc pas d’une moyenne arithmétique des différents – 64 au total – profils individuels mais plutôt d’une synthèse abstraite, « utopique » pour reprendre l’expression de Max WEBER444, d’un matériau empirique très concret qui vient d’être exposé. Quatre idéaux types peuvent être construits sur la base des riches données récoltées lors du panel citoyen. Pour ce faire, dans le Tableau 3.17, les différentes positions génériques dégagées au fur et à mesure de l’analyse ont été ordonnées et utilisées dans la construction des quatre profils que sont : l’unitariste, l’unioniste, le fédéraliste et le régionaliste.

Tableau 3.17 Quatre profils de citoyens belges francophones

L’unitariste L’unioniste Le fédéraliste Le régionaliste

Connaissance varie Connaissance varie Connaissance varie Connaissance varie Perception négative du

système fédéral

Perception positive et deux sens négatifs du fédéralisme

Perception positive même si certains défauts

Perception plutôt négative du système fédéral Peu confiance dans les

institutions

Plus confiance dans l’État fédéral

Confiance dans les institutions

Peu confiance dans les institutions Hommes politiques et médias = responsables exclusifs Hommes politiques et médias = responsables principaux Hommes politiques et médias = co-responsables

(avec les citoyens)

Hommes politiques et médias = co-responsables

(avec les citoyens)

Pas de culture fédérale ou culture fédérale contradictoire

Culture fédérale

contradictoire Culture fédérale Culture fédérale Sentiment national belge

prédomine Complémentarité des identités Complémentarité des identités Complémentarité des identités avec éventuellement un attachement particulier à

la région Peu de différences entre

Wallons et Flamands et refus des demandes et affirmations flamandes

Reconnaissance de différences entre Wallons et Flamands mais n’acceptent guère les demandes et affirmations

flamandes

Reconnaissance de différences entre Wallons et Flamands et acceptation des demandes et affirmations flamandes

Reconnaissance de différences entre Wallons et Flamands et acceptation des demandes et affirmations flamandes Nature de la dynamique

fédérale essentiellement politique

Nature de la dynamique à la fois linguistique, politique

et économique Nature de la dynamique fédérale à la fois linguistique, politique et économique Nature de la dynamique fédérale soit à la fois linguistique, politique et

économique soit essentiellement économique Renforcement du

gouvernement fédéral : vision centralisatrice/unitariste (reconnaît toutefois que le retour à l’État unitaire est

impossible)

Renforcement du gouvernement fédéral : vision

"unioniste" (gouvernement fédéral doit maintenir

l’union) Position fédéraliste : combinaison de fédéralisation et de refédéralisation Approfondissement du système fédéral en accordant plus d’autonomie aux entités

fédérées Appels à la sagesse des

hommes politiques

Appels à la sagesse des hommes politiques

Appels à la fois à la sagesse et au réalisme des hommes

politiques

Appels au réalisme des hommes politiques Ces quatre profils et plus particulièrement leur logique dominante se distinguent clairement les uns des autres. Toutefois, ils peuvent partager certaines caractéristiques sans que cela ne soit contradictoire. Dans les prochaines sections, chacun de ces profils sera détaillé afin d’en dégager les caractéristiques principales.

A. L’unitariste

Tout d’abord, le nom de ce profil peut induire en erreur. En effet, l’unitariste n’est pas réellement un partisan du retour à l’État unitaire. Plutôt que le rétablissement d’une Belgique unitaire (il sait d’ailleurs que c’est impossible – et ce constat peut être le fruit du processus de délibération), il souhaite l’unité de la Belgique. On comprend dès lors que les profils de citoyens ne reposent pas que sur une variable (par exemple, la préférence pour l’avenir de la Belgique) mais bien sur l’ensemble des dimensions de la recherche.

L’unitariste souhaite donc l’unité de la Belgique qu’il voit d’ailleurs comme un tout indivisible. Ses perceptions concordent à cette vision : un sentiment national belge prédomine, il y a peu de différences entre Wallons et Flamands – ils sont Belges avant tout – et l’unitariste refuse les demandes pour plus d’autonomie et les affirmations identitaires flamandes (mais également wallonnes). Par ailleurs, la perception du système fédéral est négative car ce dernier est complexe et surtout attise les conflits communautaires. Ce sont, en fait, les hommes politiques qui sont particulièrement pointés

du doigt et ils sont considérés comme responsables des tensions entre néerlandophones et francophones (qui sont pourtant, d’après l’unitariste, peu différents et membres d’une même nation belge). Outre les hommes politiques, les médias – des deux côtés de la frontière linguistique – jouent également un rôle négatif dans la dynamique fédérale en colportant des clichés sur l’autre communauté.

Partant de ces perceptions, on ne sera guère surpris de ne pas trouver trace d’une vraie culture fédérale chez l’unitariste. Pour lui, un pays devrait être gouverné par un seul gouvernement plutôt que par plusieurs. Au-delà de cette position plutôt abstraite, l’unitariste ne voit pas dans le fédéralisme la meilleure solution pour assurer la coexistence pacifique entre néerlandophones et francophones en Belgique. La nature du fédéralisme belge est considérée comme essentiellement politique (une construction artificielle des hommes politiques) et ne trouve donc pas de fondements dans la société. Au final, en termes de préférences fédérales, l’unitariste souhaite le renforcement du gouvernement fédéral. Dans l’idéal, il souhaiterait le retour à l’État belge unitaire mais sachant que ce n’est pas possible, il opte alors pour une diminution de l’autonomie des entités fédérées qui semble être le scénario le plus proche de l’idéal. Dans cette perspective, il appelle à la sagesse des hommes politiques.

Enfin, certaines évolutions caractérisent ce profil. L’image négative du système fédéral tend à se renforcer suite au processus de délibération (comme si l’unitariste se rendait compte que cela ne fonctionnait vraiment pas). Par contre, le sentiment national belge prédomine et n’est pas influencé par la participation au panel. Toutefois, la perception des néerlandophones – et singulièrement la vision des différences entre Wallons et Flamands – évolue un peu et devient plus congruente avec la réalité. Finalement, l’élément le plus notoire en termes de changements est la prise de conscience eu égard à l’impossibilité du retour de l’État unitaire qui provoque un repositionnement vers le renforcement du gouvernement fédéral.

B. L’unioniste

Si on comparait l’unioniste445 avec l’unitariste au regard de leur préférence fédérale

uniquement, a priori peu de différences ressortiraient puisque tous deux souhaitent un renforcement du gouvernement fédéral. Mais les raisons et l’intensité de ce renforcement divergent largement entre les deux profils. En effet, l’unioniste souhaite l’union de la Belgique et non pas son unité446. La différence n’est pas uniquement étymologique, elle emporte un ensemble de perceptions particulières. L’unioniste reconnaît l’existence de différences importantes entre les Flamands et les Wallons (ne se limitant pas à la langue) et estime que dans le contexte belge, le système fédéral est la meilleure solution pour la coexistence pacifique entre les néerlandophones et les francophones. Toutefois, le concept des deux sens – négatifs – du fédéralisme belge s’applique particulièrement à l’unioniste. Pour lui, comme l’unitarisme est impossible, le fédéralisme est la moins mauvaise solution pour maintenir l’union de la Belgique (ou plus précisément l’union entre ses deux grandes communautés), mais le fédéralisme pourrait conduire inexorablement au séparatisme. De ce double sens négatif se dégage souvent un sentiment de pessimisme face à l’avenir de la Belgique. Seule la sagesse des hommes politiques pourrait enrayer la spirale négative des conflits communautaires.

Plus généralement, la peur du nationalisme nourrit ce pessimisme. Partant de cette crainte, l’unioniste n’accepte pas les revendications pour plus d’autonomie pour la Flandre. Par ailleurs, ses sentiments d’appartenance et ses identités sont complémentaires, avec parfois un penchant pour l’attachement à la Belgique et un sentiment francophone, mais pas wallon. Dans ce contexte, le rôle du gouvernement fédéral est d’assurer le maintien de l’union fédérale. Pour ce faire, il semble nécessaire de renforcer ses pouvoirs, soit en

445 Le profil de l’unioniste ne doit pas être confondu, dans le contexte belge, avec l’unionisme qui est un

mouvement politique, qui prônait avant et après la révolution belge de 1830, l’union des catholiques et des libéraux. Avant l’indépendance, cette union s’est organisée pour lutter contre le roi Guillaume Ier des Pays-Bas

et, après 1830, plusieurs gouvernements unionistes ont associés des hommes politiques catholiques et libéraux en vue de fournir un effort commun pour consolider le jeune État belge. Suite à la création en 1846 du parti libéral, ce sont des gouvernements homogènes, soit libéraux soit catholiques, qui se sont succédés. Pour plus de détails sur cette période, on pourra consulter notamment : Charles Terlinden, Histoire de la Belgique contemporaine 1830-1914, vol. II (Bruxelles : Librairie Albert Dewit, 1929) ; Francis Balace, « Les libéraux, les catholiques et l’unionisme (1831-1846) », in Le libéralisme en Belgique. Deux cents ans d’histoire, Hervé Hasquin et Adriaan Verhulst (dir.) (Bruxelles : Centre Paul Hymans, Editions Delta, 1989) ; Mabille, Histoire politique de la Belgique : facteurs et acteurs de changement, 103-146 ; Pascal Delwit, La vie politique en Belgique de 1830 à nos jours, vol. 6, UB lire références (Bruxelles : Editions de l’Université de Bruxelles, 2009).

446 Dans son dernier livre, Charles-Ferdinand NOTHOMB, ancien ministre et président du parti social chrétien

francophone, adopte une position que l’on pourrait largement qualifiée d’unioniste au sens développé ici : Charles-Ferdinand Nothomb, Mon plan de paix pour la Belgique. Entretiens avec Christian Laporte (Bruxelles : Racine, 2009).

maintenant le statu quo actuel soit au détriment de ceux des Régions et des Communautés. C’est donc le souhait d’un gouvernement fédéral fort qui anime l’unioniste.

En termes d’évolution, c’est le profil qui connaît le plus de changements au terme de la journée. Un processus d’apprentissage est souvent identifiable soit que l’unioniste développe sa position soit qu’il l’affine. L’image du système fédéral se clarifie et en ressort la tension traduite par les deux sens – négatifs – du fédéralisme. De même, la perception de l’autre communauté devient plus cohérente avec la réalité, mais également entre les perceptions et les préférences puisqu’il y a une plus grande reconnaissance des différences en T2 et plus de nuances dans le refus des demandes pour plus d’autonomie pour la Flandre. Enfin, suite au panel, la volonté de renforcer le gouvernement fédéral est même nuancée puisque celle-ci semble difficilement réalisable. Cette congruence entre la réalité et les préférences fédérales ressort particulièrement de l’intervention de B6 (en italiques) dans la discussion suivante – qui a été citée ci-dessus – avec B2 (qui peut être considéré comme un unitariste) et B5 (qui peut être considérée comme une unioniste) :

A : D’accord, donc, de nouveau contre la scission. Moins de compétences pour les entités fédérées, plus de compétences ? Vous avez une préférence ?

B2 : Plus pour l’État fédéral.

A : D’accord, c’est par ordre de préférence.

B5 : Puisque c’est l’État fédéral qui va mettre d’accord les uns et les autres donc si...Voilà ! B2 : Je crois que c’est le bon sens, mais bon...

B6 : Mais ils avaient l’air de dire que ce n’était pas possible de revenir en arrière.

B2 : Ben non, pas possible je ne pense pas. Tout le monde doit y mettre un peu de bonne volonté...

B6 : Ah moi je suis d’accord mais...

B2 : Il faut toujours voir de part et d’autre, il n’y a rien à faire...

On sent ainsi l’impact des processus d’information et d’interaction sur cette participante unioniste qui même si elle souhaite le renforcement du gouvernement fédéral comprend et rappelle la difficulté de ce scénario.

C. Le fédéraliste

Ce troisième profil diffère des deux premiers par sa position en faveur du fédéralisme en Belgique. Le fédéraliste estime, en effet, que le système fédéral est la meilleure solution pour la coexistence pacifique entre les deux grandes communautés. Même s’il pointe du doigt certains défauts (notamment sa complexité), il a une image globalement positive de ce système. De plus, il montre une vraie culture fédérale : il estime que le système fédéral est préférable et préfère vivre dans un pays où il y a plusieurs langues et cultures. En outre, les hommes politiques sont co-responsables des tensions

communautaires qui trouvent leurs racines dans la société (et pas uniquement au niveau du monde politique).

Plus généralement, le fédéraliste déploie des identités complémentaires et reconnaît les différences entre Flamands et Wallons ainsi que la Flandre puisse être une nation distincte du reste de la Belgique. Dans cette perspective, il estime qu’il est normal de revendiquer plus d’autonomie pour la Flandre et que l’affirmation d’une identité flamande est compatible avec l’affirmation d’une identité belge. Au cœur du fédéralisme se trouvent donc des raisons à la fois linguistiques, politiques et économiques. La préférence qui se dégage est une position fédéraliste favorisant la combinaison de fédéralisation et de refédéralisation. Le fédéraliste accepte donc certains transferts de compétences en vue d’une plus grande efficacité de tout le système. Il compte ainsi sur la sagesse et sur le réalisme des hommes politiques.

La participation au panel renforce les perceptions et les préférences du fédéraliste qui étaient déjà établies même si certaines évolutions sont observées. Celles-ci permettent d’affiner le jugement et adaptent quelque peu les perceptions aux préférences et à la réalité fédérale. Enfin, les préférences se sont affirmées au fur et à mesure de la journée et le scénario combinant transferts vers l’Autorité fédérale et vers les entités fédérées constitue, pour le fédéraliste, l’unique solution pour assurer l’avenir de la Belgique.

D. Le régionaliste

En Belgique francophone, ce quatrième et dernier profil se construit autour de la perception négative du système fédéral belge qui est vu comme tout simplement inefficace. Par conséquent, la confiance dans les institutions est plutôt faible. De même, les médias sont perçus assez négativement. Comme, par ailleurs, les Flamands et les Wallons sont considérés comme différents et que les revendications de ces premiers sont acceptées, le régionaliste prône l’approfondissement du système fédéral en accordant plus d’autonomie aux Régions et aux Communautés. Dans ce cadre qui resterait fédéral, toutefois, le niveau fédéral jouerait le rôle d’arbitre entre les entités fédérées.

En termes d’identités, le régionaliste s’identifie complémentairement à plusieurs entités avec, ou non, un attachement particulier à sa région. Il a également une culture fédérale puisqu’il préfère le système fédéral à tout autre arrangement gouvernemental – il rejette par conséquent le modèle unitaire – ainsi que vivre dans un pays dont la population est partagée entre plusieurs cultures et plusieurs langues. À cet égard, le régionaliste ne peut être vu comme un nationaliste ; il se déclare souvent être un citoyen du monde ou un

humaniste. Sur le plan politique, son souhait pour une plus grande régionalisation ne repose pas sur une volonté identitaire mais plutôt sur une vision de politique économique, insistant sur l’instauration d’un système politique efficace. C’est pour cela, que le régionaliste appelle au réalisme des hommes politiques.

Finalement, le panel citoyen n’influence guère le régionaliste dont les perceptions et préférences sont déjà bien ancrées. Toutefois, on assiste à quelques ajustements d’intensité (les positions évoluent vers « Plutôt ») qui permettent une meilleure congruence entre les perceptions et les préférences fédérales. Ces dernières ne sortent pas réellement modifiées des discussions ; elles sont même plutôt confirmées. Le régionaliste se veut donc réaliste et aspire à vivre dans un système efficace.

Les citoyens belges néerlandophones et

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