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Des panels citoyens délibératifs sur l’avenir du fédéralisme

I. Les perceptions et les préférences fédérales

4. La perception de l’autre

Toute construction identitaire se fonde sur une vision de soi et du « nous », mais également une vision, une perception de l’autre240 qui reste à définir. Cette dernière

dimension des perceptions complète ainsi le triangle identitaire en explorant le « eux ». Dimitrios KARMIS et Jocelyn MACLURE précisent ainsi que la « difference is constitutive of any identity. Otherness is both internal and external to identity »241. Charles TAYLOR ajoute que la quête identitaire est une démarche légitime pour tout être humain et pour tout groupe humain et que ce processus ne peut avoir lieu dans l’isolement ; il doit se réaliser par voie dialogique, c’est-à-dire, dans les rapports avec d’autres242. Dans les sociétés divisées, cette perspective dialogique prend tout son sens puisque l’ « autre » est parfaitement identifiable et les rapports qu’un groupe entretient avec l’autre constituent le moteur de la

239 David Brown, Contemporary Nationalism. Civic, Ethnocultural and Multicultural Politics (Londres : Routledge,

2000). Cet auteur ajoute que le nationalisme ethnique ne peut être vu, nécessairement, comme exclusiviste et violent. En effet, le nationalisme jacobin français qui est un exemple type de nationalisme civique fut à la fois exclusiviste et violent alors que les nationalismes écossais et québécois contemporains, qui sont plutôt de type ethnique, respectent la différence et sont pacifiques.

240 Denise VAN DAM utilise la notion d’ « identité interculturelle » pour traduire les attitudes vis-à-vis de

l’autre région : Van Dam, Flandre, Wallonie : le rêve brisé : Quelles identités culturelles et politiques en Flandre et en Wallonie. La notion de « perception de l’autre » que nous privilégions permet de sortir, d’une part, du strict carcan culturel pour embrasser éventuellement d’autres types de ressemblances ou dissemblances et, d’autre part, d’une logique exclusivement basée sur les rapports entre deux groupes.

241 Dimitrios Karmis et Jocelyn Maclure, « Two escape routes from the paradigm of monistic authenticity :

post-imperialist and federal perspectives on plural and complex identities », Ethnic and Racial Studies 24, n°3 (2001) : 379.

242 Taylor, Rapprocher les solitudes. Écrits sur le fédéralisme canadien ; Charles Taylor et Amy Gutmann (dir.),

dynamique politique. En outre, pour certains, l’autre est source de tous les maux. Les préjugés jouent d’ailleurs un rôle dans les conflits ethniques243.

Cette dimension mérite donc que l’on s’y attarde dans notre étude des perceptions. Il y a tout d’abord l’aspect connaissance de l’autre. Il est souvent écrit que les Québécois ne connaissent pas les Canadiens anglophones et l’inverse semble encore plus vrai244. En

Belgique, un constat similaire peut être posé : une grande enquête conjointe des journaux De Standaard et Le Soir, en mars et avril 2007, a montré, sur base d’un sondage mais également de récits plus « qualitatifs », la méconnaissance réciproque des deux communautés. Autre exemple, les bekende Vlamingen, les Flamands célèbres, sont souvent de parfaits inconnus en Communauté française et vice-versa. Pour étudier la perception de l’autre, il s’agit donc en premier lieu de prendre en compte la connaissance que les citoyens ont de l’autre « communauté » et de ses habitants. En outre, on ne peut réduire l’ « autre » à une seule communauté ; il est probable que d’autres « autres » entrent en ligne de compte. Sans être exhaustif, on pensera aux peuples autochtones au Canada ou aux germanophones en Belgique. Ensuite, la thématique des préjugés, et notamment ceux que les médias peuvent véhiculer, doit être explorée. Ces deux premiers éléments sont, en fait, fort liés. Par exemple, dans le cas belge, Jozef Remi NUTTINa montré que ce sont les personnes qui connaissent le moins les habitants de l’autre communauté qui développent pourtant les stéréotypes et les préjugés les plus forts245. Enfin, cette exploration conduit au cœur de la

perception de l’autre : l’existence ou non de différences. Une réponse positive – qui malgré ce que l’on pourrait croire a priori n’est peut-être pas automatique – à cette première interrogation mène à une double question. D’une part, quelle est la nature de ces différences ? Sont-elles simplement liées à la grandeur et/ou à la diversité du pays ? Sont- elles uniquement d’ordre linguistique ou culturel ? D’autre part, ces différences entraînent-

243 Donald P. Green et Rachel L. Seher, « What role does prejudice play in ethnic conflict? », Annual Review of

Political Science 6, n°1 (2003).

244 Cela transparaît même dans les recherches scientifiques ; par exemple, dans celles sur le fédéralisme

canadien, les auteurs francophones sont bien moins cités, proportionnellement, par les auteurs anglophones que ces derniers par les premiers : Rocher, « The End of the “Two Solitudes”? The Presence (or Absence) of the Work of French-speaking Scholars in Canadian Politics » ; Patrick Fafard et François Rocher, « The Current State of Federalism Studies in Canada (2000-2007) : A Quantitative and Qualitative Review of the Scholarly Literature », in CPRN Research Report (Ottawa : Canadian Policy Research Networks, 2008) ; Patrick Fafard et François Rocher, « The evolution of federalism studies in Canada : From centre to periphery », Canadian Public Administration/Administration publique du Canada 52, n°2 (2009).

245 Jozef Remi Nuttin, « Gezindheid van Vlaamse studenten tegenover de Walen : sociaal-psychologisch

onderzoek naar het verband tussen de gezindheid en het contact » (Katholieke Universiteit Leuven, 1957) ; Joseph Remi Nuttin, Het stereotiep beeld van Walen, Vlamingen en Brusselaars : hun kijk op zichzelf en elkaar : een empirisch onderzoek bij universitairen, Mededelingen van de Koninklijke academie voor wetenschappen, letteren en schone kunsten van België. Klasse der letteren (Brussel : Paleis der Academiën, 1976).

elles des conséquences sur le plan politique ? Justifient-elles l’organisation d’un vivre ensemble politique autonome, voire distinct ou même séparé ? C’est à cette série d’interrogations qu’il faudra tenter de répondre afin de conclure l’analyse des perceptions des citoyens belges et canadiens.

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