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La multitude et la complémentarité des identités

Les citoyens belges francophones et le fédéralisme en Belgique

C. L’organisation et le déroulement

II. Les perceptions fédérales des citoyens belges francophones

2. La multitude et la complémentarité des identités

Du corpus de données apparaît d’emblée un fort sentiment d’appartenance en tant que francophone, Belge, Européen, et Wallon dans une moindre mesure. On notera, au vu des résultats du questionnaire, l’évolution décroissante entre le T1 et le T2, particulièrement pour le sentiment d’être wallon427 qui peut s’expliquer partiellement par certaines

discussions de la journée dont le contenu a été évoqué dans la section sur la confiance dans la Région wallonne. Notons également la complémentarité dans ce cas des sentiments d’appartenance plutôt que leur exclusivité : on peut se sentir à la fois francophone, belge, européen et, parfois, wallon. Cependant, même lorsqu’il existe une certaine complémentarité entre les identités, une hiérarchisation peut être possible. La participante B6 reflète bien cette réalité et dépeint ses sentiments d’appartenance ainsi :

B6 : Si je dois… Je me sens surtout belge à la base. C’est vrai que je n’ai pas une bonne connaissance du néerlandais mais je ne me sens pas spécialement wallonne pour la cause. Francophone, vu que je parle français, forcément, mais...

A : C’est une identité ou plutôt un état de fait ?

B6 : C’est comme cela, je suis tombée dedans. Mais, j’aime bien me sentir européen. Très européen c’est important car c’est un rassemblement de pays, un essai de s’entendre bien avec tout le monde. Ce serait d’abord la belge puis l’européenne. Et wallon, il faut prendre cela comme... pas que cela n’a pas d’importance, je me sens wallon aussi mais pas... c’est plutôt le fait d’être belge qui est important, l’unité du pays et tout cela.

426 Pour n’épingler que trois références parmi de nombreuses contributions à ce débat, voyez Will Kymlicka,

Politics in the vernacular : nationalism, multiculturalism, and citizenship (Oxford ; New York : Oxford University Press, 2001) ; Daniele Archibugi, « The Language of Democracy : Vernacular or Esperanto? A Comparison between the Multiculturalist and Cosmopolitan Perspectives », Political Studies 53, n°3 (2005) ; Craig Calhoun, « Cosmopolitanism and nationalism », Nations and Nationalism 14, n°3 (2008). On retrouve également ce débat dans les écrits d’Amin MAALOUF : Amin Maalouf, Les identités meurtrières (Paris : Editions Grasset & Fasquelle, 1998) ; Amin Maalouf, Le Dérèglement du monde : Quand nos civilisations s’épuisent (Paris : Editions Grasset & Fasquelle, 2009).

427 De 45 participants qui se sentent souvent ou de temps en temps wallon, ils sont passés à 37 en T2. Pour

les trois autres sentiments (francophone, belge et européen), les résultats sont respectivement (T1 et T2) : 59- 55, 59-58 et 58-54.

Par ailleurs, les identités sont relatives. Plus précisément, l’identification, si l’on reprend le terme préféré par Sophie DUCHESNE et André-Paul FROGNIER, des individus varie selon le contexte et dès lors peut être multiple428. Le participant B3 explique ses

différentes identifications :

Moi évidemment, je me sens un peu de tout. Je suis de tout, européen, belge, wallon et francophone. Maintenant, à dire que je suis fier, ben, oui, quand même car je suis un peu chauvin. J’aime beaucoup le français, pour moi, c’est la plus belle des langues, c’est mon point de vue et puis dans l’histoire, j’aime l’histoire française, peut-être pas belge, mais on a une histoire qui ne remonte à pas loin non plus. Au sinon, je dirais, qu’au point de vue mondial, je me sens européen, au point de vue européen, je me sens belge et au point de vue belge, je me sens wallon. Ça dépend à quel niveau on parle de cela. Je dirais que je me sens belge et francophone. Au niveau sportif, je ne suis pas pour le Standard, autant le dire, j’aime le club de Bruges, qui est en Flandre. Je ne me sens pas wallon à ce niveau là, je me sens belge. Je suis autant fier de Kim Clijsters que de Justine Henin, pour rester dans les sports. Je n’ai pas de fierté à être wallon.

À la question de se sentir plus francophone ou plus wallon, ce même participant répond : « je me sens plus francophone que wallon. C’est vraiment parce que francophone, je le suis, de fait, je parle français ; par contre, wallon, c’est quelque chose que nous avons inventé, ici en Belgique, au lieu de dire que la Belgique est un État unitaire, on a créé la Flandre et la Wallonie, c’est pour ça que je me sens plus francophone que wallon » (B3). Un autre participant, B1, se sent plutôt wallon avant d’être francophone bien que, globalement, il place toutes les autres identités sur le même pied :

Je suis un Wallon qui parle français avec son accent wallon. Je me sens belge également et européen. Je n’ai pas d’échelle à ce niveau-là. Je mets tout au même niveau. Francophone oui, mais ce n’est pas vraiment une identité. Je parle couramment le néerlandais... Ce n’est pas tant se fixer sur une identité à ce niveau-là. Pour les autres, je ne vois pas de hiérarchie. Je suis fier d’être belge, fier d’être wallon, fier d’être européen, mais à la limite je peux me demander pourquoi car je pourrais être sénégalais et être fier d’être sénégalais, c’est comme ça.

La question de la hiérarchisation entre une identité francophone et une identité wallonne renvoie à la réalité difficile à mesurer de l’identité franco-wallonne. Cette réalité est pourtant importante à considérer lorsque l’on traite des relations communautaires en Belgique429 : est-ce que les « communautés » en présence sont les francophones et les

néerlandophones ou plutôt les Flamands et les Wallons430, ou encore, comme on l’entend

parfois, les francophones431 et les Flamands432 ? En d’autres termes, qui est le nous ?

428 Duchesne et Frognier, « National and European Identifications : A Dual Relationship ».

429 Aristide R. Zolberg, « Les origines du clivage communautaire en Belgique. Esquisse d’une sociologie

historique », Recherches sociologiques 7, n°2 (1976).

430 Aristide R. Zolberg, « The Making of Flemings and Walloons : Belgium : 1830-1914 », Journal of

Interdisciplinary History 5, n°2 (1974).

431 Avec Théo Hachez, on notera que « le francophone n’a pas droit à la majuscule traditionnellement

Théoriquement, ces quatre identités renvoient à des conceptions différentes (le territoire, voire la culture, pour la notion de « Flamand » et de « Wallon » ; la langue pour la notion de « néerlandophone » et « francophone »)433 mais en pratique elles se recouvrent et se

confondent parfois.

Enfin, à côté des identités « nationales », l’identité locale ressort également fortement des discussions. Certains, comme la participante B5, vont même jusqu’à la placer en premier lieu s’il leur est demandé de hiérarchiser. Pour d’autres, notamment B6, l’identité locale ou plutôt l’appartenance à la communauté locale semble naturelle.

A : On entend autour de la table : je parle français, donc forcément, je suis plus francophone, par contre, le sentiment wallon est plus difficile... a contrario, personne n’a envie de me dire, mais si j’habite à Liège, forcément, je suis wallon.

B5 : C’est d’abord liégeois alors.

A : L’identité liégeoise peut être importante aussi.

B6 : J’habite à Theux et je me sens theutoise et pas wallonne. C’est plus un esprit local. A : La communauté locale a plus d’importance en terme de fierté alors.

B6 : Oui c’est cela.

A : Tout le monde est d’accord ? On se sent plus fier de sa communauté locale ou de l’endroit où l’on habite que la Wallonie en général ?

B6 : Être fier, je ne sais pas mais on a plus d’appartenance à la communauté locale. A : Tout le monde est d’accord, tout le monde partage cela ?

B5 : C’est un retour en arrière. Au début, les gens étaient de leur village et ils ont eu du mal à reconnaître l’État central tellement ils étaient de leur village et on est en train d’y revenir, on fait marche arrière.

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