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Des panels citoyens délibératifs sur l’avenir du fédéralisme

B. L’éclosion d’expériences délibératives

3. La délibération comme moyen

S’inspirant des expériences délibératives recensées dans les deux premières catégories, une troisième catégorie de méthodes peut être distinguée. Cette fois, la délibération est utilisée comme un moyen et plus précisément dans la collecte de données par sondages. En effet, depuis les premiers sondages d’opinions, réalisés par George H. GALLUP, les sondages tentent de fournir un portrait le plus précis possible de l’opinion publique sur une grande variété de sujets mais également de donner une voix à la démocratie et au peuple287. Cependant, bien que ces sondages reposent sur des échantillons statistiquement représentatifs, d’aucuns estiment qu’ils ne peuvent atteindre leur double objectif car ils mesurent des opinions non informées288. En fait, « the most fundamental problem is that not many of the respondents answering any given question have very well considered or informed opinions about the issue »289. Deux difficultés majeures bien

connues de la démocratie moderne sont en cause ici : « rational ignorance »290 et « non- attitudes »291. Tandis que le concept d’ignorance rationnelle a été exposé par Anthony

DOWNS pour expliquer le manque d’incitants pour les citoyens ordinaires de se tenir

286 Pour des exemples concrets de ces différentes expériences délibératives, on pourra utilement consulter :

John Gastil et Peter Levine (dir.), The Deliberative Democracy Handbook : Strategies for Effective Civic Engagement in the 21st Century (San Francisco : Jossey-Bass, 2005) ; Fung, « Minipublics : Deliberative Designs and Their Consequences » ; Sintomer, Le pouvoir au peuple : Jurys citoyens, tirage au sort et démocratie participative.

287 George Horace Gallup, Public opinion in a democracy, The Stafford Little Lectures (Princeton : Princeton

University Extension Service, Herbert L. Baker foundation, 1939) ; George Horace Gallup et Saul Forbes Rae, The pulse of democracy; the public-opinion poll and how it works (New York : Greenwood Press, [1940] 1968).

288 Les sondages d’opinions ont été critiqués à bien des égards. Une des critiques les plus dures, comme nous

le mentionnons dans l’introduction générale, a été formulée par Pierre BOURDIEU pour qui l’opinion publique n’existe tout simplement pas : Bourdieu, « L’opinion publique n’existe pas ».

289 Robert C. Luskin et al., « Considered Opinions : Deliberative Polling in Britain », British Journal of Political

Science 32, n°3 (2002) : 456.

290 Downs, An economic theory of democracy.

291 Philip E. Converse, « The Nature of Belief Systems in Mass Publics », in Ideology and discontent, David Ernest

Apter (dir.) (New York : Free Press, 1964) ; Philip E. Converse, « Attitudes and Non-attitudes : Continuation of a Dialogue », in The Quantitative Analysis of Social Problems, Edward R. Tufte (dir.) (Reading : Addison- Wesley, 1970).

informés, le second concept, suggéré par Philip E. CONVERSE, pose que de nombreuses opinions recueillies dans les sondages n’existent peut-être même pas mais sont induites par le sondage292. Cette double difficulté repose sur un constat plus général : le faible niveau de

connaissance politique dans la population293.

Partant de cette triple observation, certains chercheurs ont développé des outils permettant de capturer des opinions informées plutôt que des opinions prises sur le vif, sans réflexion approfondie de la part du répondant. Parmi les plus connues d’entre elles, il y a le « Choice Questionnaire », développé par Peter NEIJENS294 qui constitue en un sondage classique agrémenté de précisions factuelles sur chacune des modalités de réponse, l’utilisation du « Televote »295 dans une perspective délibérative, initiative étudiée par

Christa Daryl SLATON296, et le « Deliberative Poll® »297 inventé par James S. FISHKIN et Robert C. LUSKIN298. Ce denier, connu en français sous le label de sondage délibératif, constitue l’outil le plus emblématique de cette nouvelle génération de techniques de collecte d’opinions mieux informées. Développé au début des années 1990, le « Deliberative Poll® » rassemble un échantillon représentatif de citoyens préalablement sondés – d’une manière classique – sur une question précise, par exemple la peine de mort ou l’euro, pendant un week-end afin de leur permettre de s’informer, délibérer et finalement répondre à un nouveau sondage sur cette question299. Ces créateurs, ainsi que d’autres chercheurs qui

292 Quelque quarante années plus tard, Philip E. CONVERSE confirme que le constat posé dans les années

1950 et 1960 reste d’actualité même si de nombreuses pistes – notamment délibératives – ont été développées pour résoudre partiellement ce problème : Converse, « Assessing the capacity of mass electorates ».

293 Ce constat a été vérifié dans de nombreux contextes et à plusieurs époques, depuis la Seconde Guerre

mondiale. Pour l’étude la plus systématique en la matière, voyez Michael X. Delli Carpini et Scott Keeter, What Americans Know about Politics and Why it Matters (New Haven : Yale University Press, 1996). Voyez également Vincent Price, « Political Information », in Measures of Political Attitudes, John P. Robinson et al. (dir.) (New York : Academic Press, 1999).

294 Peter Neijens, The Choice Questionnaire : Design and evaluation of an instrument for collecting more informed opinions of

a population (Amsterdam : Free University Press, 1987) ; Peter Neijens et Claes de Vreese, « Helping Citizens Decide in Referendums : The Moderating Effect of Political Sophistication on the Use of the Information and Choice Questionnaire as a Decision Aid », Public Opinion Quarterly 73, n°3 (2009).

295 Le « Televote » permet de voter à distance, soit par téléphone, soit par Internet.

296 Christa Daryl Slaton, Televote : expanding citizen participation in the quantum age (New York : Praeger, 1992). 297 Le « Deliberative Poll® » est une marque déposée de son inventeur principal James S. FISHKIN.

298 Sur les origines, les applications et les évolutions de cette technique, voyez notamment James S. Fishkin,

Democracy and deliberation : new directions for democratic reform (New Haven : Yale University Press, 1991) ; James S. Fishkin, « The Idea of A Deliberative Opinion Poll », Public Perspective 3, n°2 (1992) ; James S. Fishkin, The Voice of the People : Public Opinion and Democracy (New Haven : Yale University Press, 1995) ; James S. Fishkin et Robert C. Luskin, « The Deliberative Poll : A Reply to Our Critics », Public Perspective 7, n°1 (1996) ; James S. Fishkin, « Consulting the public through deliberative polling », Journal of Policy Analysis & Management 22, n°1 (2003) ; Bruce A. Ackerman et James S. Fishkin, Deliberation Day (New Haven : Yale University Press, 2004).

299 La Fondation Roi Baudouin et l’Instituut voor Wetenschappelijk en Technologisch Aspectenonderzoek (viWTA) ont

publié un guide décrivant une dizaine de méthodes participatives et délibératives dont le sondage délibératif : Janice Elliott. « Méthodes participatives. Un guide pour l’utilisateur. Deliberative Polling® » (Bruxelles :

ont suivi leur trace300, montrent que les opinions varient sensiblement après délibération et concluent, malgré les critiques parfois sévères à leur égard venant notamment des « sondeurs » classiques301, que des mécanismes de délibération sont nécessaires afin

d’étudier les préférences politiques des citoyens302.

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