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Des panels citoyens délibératifs sur l’avenir du fédéralisme

B. Les préférences

Comment les citoyens belges néerlandophones, belges francophones, canadiens anglophones et québécois voient-ils l’avenir de leur pays, de leur région, de leur province ? Dans les quatre terrains étudiés, sauf à Kingston, cette question est au cœur de l’actualité, plus ou moins intensément selon les moments. En Flandre, au Québec et en Wallonie, la vision de l’avenir de leur région246, au sein ou non du pays, divise la population. En

Ontario, par contre, on ne trouve pas une dynamique similaire ; certes le fédéralisme canadien n’est pas loué par l’ensemble de la population mais, pour eux, l’avenir du Canada sera fédéral. Cependant, des différences peuvent apparaître quant aux souhaits de voir le système fédéral, notamment au regard des pouvoirs du gouvernement fédéral ou des relations entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral, évoluer dans une direction plutôt qu’une autre. Des études menées dans ces deux pays montrent que des tensions existent au sein de la population à l’endroit de l’avenir de la fédération, de l’avenir du fédéralisme247.

Concrètement, l’analyse des préférences peut se faire à deux niveaux – et doit s’adapter à la réalité de chaque terrain248. D’une part, l’attention peut se concentrer sur les

opinions vis-à-vis de l’évolution du système fédéral, sur l’échelle classique centralisation- décentralisation ou unité-diversité. Évidemment, des visions plus nuancées émergeront des études de terrain. Par exemple, il ne semble pas impossible d’accepter généralement une augmentation des pouvoirs du fédéral, tout en souhaitant sur des points précis une diminution de ses compétences. En outre, il s’agit d’aller au-delà de la seule récolte des réponses à cette question pour comprendre les raisons derrière ces différentes positions. Les discussions en focus groups permettront de faire ressortir les arguments pour ou contre ces évolutions.

246 Le terme est utilisé ici dans un sens générique ; c’est d’ailleurs pourquoi il est écrit avec une minuscule. 247 Deux études récentes ont fait le point sur cette question respectivement au Canada et en Belgique :

Rocher, « L’avenir de la fédération, l’avenir du fédéralisme : deux enjeux distincts au Canada » ; Dave Sinardet, « Futur(s) de la fédération belge : paradoxes fédéraux et paradoxes belges », in Le fédéralisme en Belgique et au Canada. Comparaison sociopolitique, Bernard Fournier et Min Reuchamps (dir.), Ouvertures sociologiques (Bruxelles : De Boeck Université, 2009).

D’autre part, l’analyse doit également considérer les visions de l’avenir hors du cadre fédéral. C’est particulièrement vrai pour une partie de la population québécoise, mais c’est également le cas en Belgique néerlandophone et en Belgique francophone ainsi qu’au Canada anglophone, même si cela pourrait paraître surprenant au premier abord. Toutefois, ces préférences non fédérales ne se traduisent pas de la même façon selon le contexte et surtout ne procèdent pas du même souhait – l’objectif de cette thèse consiste justement à étudier ces deux dimensions. Au Québec, le débat sur l’avenir du Québec met face-à-face deux alternatives dont une consiste à sortir de la fédération canadienne : c’est l’option de la souveraineté assortie ou non d’un partenariat249. En Flandre, on trouve également un mouvement indépendantiste/séparatiste qui prône la séparation de cette région du reste de la Belgique – la définition du reste de la Belgique et plus particulièrement du sort de Bruxelles n’est pas tranchée. Néanmoins, à l’autre extrême, il y a des Belges néerlandophones qui souhaitent le rétablissement de l’État unitaire et donc la disparition du système fédéral mis en place depuis 1970. Ainsi, à côté de préférences fédérales, au sens strict, se côtoient des options non fédérales. En Wallonie, ce schéma existe également, mais pas dans les mêmes proportions250. D’un côté, un petit groupe de Wallons appelle au

rattachement de la Wallonie à la France. De l’autre, un groupe nettement plus important – on parle souvent d’un tiers des Belges francophones – est favorable au retour à une Belgique unitaire. Enfin, au Canada anglophone, et plus particulièrement en Ontario, si on ne trouve ni de séparatistes – ni de rattachistes aux États-Unis251 – ni d’unitaristes au sens belge du terme, il y a cependant une frange de la population qui plaide pour une centralisation tellement forte des compétences au niveau fédéral pour des raisons d’efficacité et d’efficience que cela rendrait l’existence des provinces inutile – même s’ils n’appellent pas à leur disparition formelle.

Les contextes diffèrent donc largement, mais les préférences peuvent s’appréhender dans une perspective similaire. Conceptuellement, une question-phare réunit les deux niveaux de préférences (les préférences fédérales et les préférences non fédérales). Cette question exclusive propose des scénarios pour l’avenir du fédéralisme qui s’inscrivent sur un continuum allant d’un retour à l’ État unitaire, en Belgique, et d’un renforcement des

249 Dans cette section, afin de ne pas l’alourdir inutilement, nous ne renvoyons pas à des références précises ;

mais nous dresserons un inventaire détaillé de la littérature dans les chapitres présentant les études de terrain respectives.

250 On trouvera des chiffres précis, issus de sondages d’opinion, dans la première section du chapitre 3. 251 Dans le chapitre 5, on verra d’ailleurs que l’identité canadienne se définit en partie en opposition aux

pouvoirs du gouvernement fédéral, au Canada, à la séparation de la Belgique et à l’indépendance du Québec. À côté de cet indicateur s’ajoutent des indicateurs complémentaires qui invitent chaque citoyen à se positionner par rapport à chacun des scénarios. Dans la réalité politique, certains scénarios peuvent être jugés idéalistes tandis que d’autres peuvent paraître suffisamment bons mêmes s’ils ne sont pas idéaux. Il est donc judicieux de permettre aux citoyens d’exprimer leurs préférences, qu’elles soient idéalistes, réalistes ou les deux. Dans cette recherche, nous combinons ainsi une analyse à la fois exclusive et complémentaire des préférences afin de saisir le plus précisément possible la vision de l’avenir du fédéralisme portée par chaque participant.

Enfin, ce questionnement en termes de préférences prend d’autant plus de sens que les citoyens interrogés ont l’occasion de s’informer sur les différentes options lors de rencontres avec des experts et des personnalités politiques, d’une part, et d’échanger avec d’autres participants sur ce sujet, d’autre part. L’exercice en devient donc moins artificiel puisque les panels citoyens sont supposés permettre aux citoyens de mieux comprendre, s’ils le jugent nécessaire, les enjeux derrière chacun des scénarios proposés. Le recours à un tel processus informatif et interactif s’inscrit dans la foulée d’expériences délibératives issue d’une réflexion plus générale sur la démocratie délibérative.

II. L’ère de la délibération

Depuis deux décennies, la science politique connaît un double mouvement « délibératif ». D’une part, un mouvement théorique et philosophique, en réaction aux malaises, à certains égards, de la démocratie représentative ; d’autre part, un mouvement empirique tentant d’appliquer, dans le concret, ce premier mouvement en renouvelant les outils et les forums existants et en développant de nouvelles méthodes. Sans chercher à engager le débat avec cette littérature en forte croissance, la présente étude s’est appuyée sur celle-ci afin de développer le dispositif méthodologique permettant de répondre à notre question de recherche. Avant de le présenter dans la prochaine partie, il convient d’esquisser l’état de la littérature sur la délibération, et plus particulièrement, présenter les expériences délibératives qui ont inspiré la nôtre.

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