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Des panels citoyens délibératifs sur l’avenir du fédéralisme

B. Les trois outils de collecte de données

3. Les focus groupes

Le troisième outil de collecte de données prend la forme de focus groupes. David L. MORGAN offre une définition classique de cette technique : « un focus groupe est une technique de recherche qui permet la collecte des données grâce à l’interaction de groupe sur un sujet déterminé par le chercheur. Par essence, c’est l’intérêt du chercheur qui fournit le focus, là où les données elles-mêmes émergent de l’interaction de groupe »336. Sébastien BRUNET et Isabelle FUCKS complètent cette définition en mettant en évidence l’absence de volonté d’atteindre un consensus :

[…] la méthode des Focus Groups est une méthode qualitative de recherche en sciences sociales favorisant l’émergence de toutes les opinions. Elle ne poursuit pas la promotion du

336 David L. Morgan, Focus groups as qualitative research, 2ème éd. (Thousand Oaks : Sage Publications, 1997), 6

consensus mais le recueil des perceptions, des attitudes, des croyances, des zones de résistances des groupes cibles. Elle répond aux « pourquoi » et aux « comment »337.

Cette technique qui a trouvé son origine, il y a plus de soixante ans, dans les recherches de l’équipe de Robert K. MERTON sur l’impact des mass communications au travers de « focused interviews »338 fait partie de ce que Sophie D

UCHESNE et Florence HAEGEL qualifient d’ « entretiens collectifs »339. Ceux-ci permettent à des citoyens de participer à une discussion collective sur une thématique précise, d’où le qualificatif de focus. La plupart des sujets peuvent être traités par voie de focus groupes, y compris des sujets sensibles340. L’intérêt de cette méthode, par rapport à des entretiens individuels classiques, réside dans l’interaction entre les différents participants. C’est donc dans ces moments de discussions en petits groupes qu’une délibération peut véritablement prendre place. Par ailleurs, l’objet de notre recherche, le fédéralisme, se prête particulièrement bien à une méthode de groupe car c’est un thème de discussion naturellement collectif puisqu’il touche directement à la question du vivre ensemble.

Les panels citoyens reposent sur deux moments de discussions en focus groupes. Dans notre recherche, chaque groupe composé préalablement compte entre quatre et neuf personnes, ce qui correspond aux recommandations habituelles341. En outre, au sein des

groupes, les participants sont encadrés par un animateur et un observateur. Tous les chercheurs recourant aux focus groupes reconnaissent l’importante majeure du rôle de l’animateur342. L’objet des focus groupes est de permettre, voire de susciter, la discussion

337 Sébastien Brunet et Isabelle Fucks, « Les groupes focalisés - Focus groups », in Les méthodes participatives

(Liège : Université de Liège, 2003), 3.

338 Robert K. Merton et Patricia L. Kendall, « The Focused Interview », The American Journal of Sociology 51, n°6

(1946). Voyez également Robert K. Merton, « The Focussed Interview and Focus Groups : Continuities and Discontinuities », The Public Opinion Quarterly 51, n°4 (1987) ; Robert K. Merton et al., The Focused Interview (New York : The Free Press, 1990).

339 Sophie Duchesne et Florence Haegel, L’enquête et ses méthodes. L’entretien collectif, Sociologie (Paris : Armand

Colin, 2005).

340 Ainsi Elizabeth FRAZER a étudié comment des jeunes filles britanniques parlent de la féminité en

organisant des focus groupes : Elizabeth Frazer, « Teenage girls reading Jackie », Media Culture Society 9, n°4 (1987) ; Elizabeth Frazer, « Teenage Girls Talking about Class », Sociology 22, n°3 (1988) ; Elizabeth Frazer, « Feminist Talk and Talking about Feminism : Teenage Girls’ Discourses of Gender », Oxford Review of Education 15, n°3 (1989). Pour une réflexion plus générale sur ce sujet, voyez Marilyn J. Hoppe et al., « Using Focus Groups to Discuss Sensitive Topics with Children », Evaluation Review 19, n°1 (1995).

341 On évoque souvent la fourchette entre six et neuf participants ; dans certains cas, il est suggéré de réunir

entre neuf et quinze participants, mais un tel nombre nous semble trop élevé pour assurer une discussion laissant la place à tous les participants.

342 Par exemple, Thomas L. Greenbaum, The handbook for focus group research, 2ème éd. (Thousand Oaks : Sage

Publications, 1998) ; David L. Morgan et al., Focus group kit, 6 vols. (Thousand Oaks : Sage Publications, 1998) ; Jenny Kitzinger et Rosaline S. Barbour, Developing focus group research : politics, theory, and practice (Thousand Oaks : Sage Publications, 1999) ; Richard A. Krueger et Mary Anne Casey, Focus groups : a practical guide for applied research, 3ème éd. (Thousand Oaks : Sage Publications, 2000) ; Michael Bloor, Focus groups in social

entre ses membres. Dans ce cadre, le rôle de l’animateur consiste à structurer les débats notamment en distribuant équitablement la parole à tous les participants et en encourageant les plus silencieux à parler ou en modérant les plus prolixes mais surtout à favoriser les échanges sur les thématiques étudiées, en suivant le protocole de la recherche. Vu cette fonction, Greg MYERS estime que l’animateur peut, par ses commentaires, relances et reformulations, véritablement influencer le groupe343. Cependant, une préparation adéquate

et uniforme des animateurs344, accompagnée d’un protocole pré-établi, constitue une double protection généralement suffisante face à ce danger potentiel345, même si

évidemment chaque focus groupe suivra sa propre dynamique – c’est d’ailleurs une des richesses de cette méthode. En outre, selon James S. FISHKIN, un animateur préparé à sa tâche, ajouté à l’absence d’exigence de consensus final, permet d’éviter qu’une polarisation du groupe ne se révèle au fil du panel346, comme le prédisait Cass R. SUNSTEIN347. Enfin, un observateur, également préparé à sa fonction, assiste aux discussions du groupe. Il est chargé de noter toutes les interventions des participants mais aussi les interactions et les réactions du groupe afin de faciliter l’analyse des données sur base d’informations les plus complètes possibles.

Concrètement, dans la première période de discussions en focus groupes, les participants sont invités, après avoir réalisé et présenté leur carte du fédéralisme, à exprimer leurs perceptions, c’est-à-dire leur connaissance et compréhension du système fédéral, leur perception de celui-ci, leurs identités et sentiments d’appartenance et, enfin, leur perception de l’autre. La deuxième séance aborde directement les préférences fédérales des participants ; en d’autres termes, leur vision pour l’avenir de leur pays, de leur région et de leur province. La dynamique de groupe s’articule autour de tours de table – chaque

groups in research, Continuum research methods series (Londres ; New York : Continuum, 2003) ; Nikki Slocum. « Méthodes participatives. Un guide pour l’utilisateur. Focus groupe ». (Bruxelles : Fondation Roi Baudouin et Vlaams Instituut voor Wetenschappelijk en Technologisch Aspectenonderzoek (viWTA), 2005 ; Rose Barbour, Doing focus groups (Thousand Oaks : Sage Publications, 2007) ; David W. Stewart et al., Focus groups : theory and practice, 2ème éd., Applied social research methods series (Thousand Oaks : Sage Publications,

2007).

343 Greg Myers, « Enabling talk : How the facilitator shapes a focus group », Text & Talk - An Interdisciplinary

Journal of Language Discourse & Communication Studies 27, n°1 (2007).

344 Dans notre cas, nous avons rencontré individuellement chaque animateur et observateur pour évoquer leur

rôle respectif. En outre, le matin de chaque panel, ils ont tous été réunis pour un passage en revue de l’ensemble du protocole.

345 Thomas L. Greenbaum, Moderating focus groups : a practical guide for group facilitation (Thousand Oaks : Sage

Publications, 2000).

346 Fishkin, « Consulting the public through deliberative polling ».

347 Sunstein, « Deliberative Trouble : When groups go to extremes » ; Sunstein, « The Law of Group

participant prend la parole à son tour – et d’échanges sur des éléments précis soulevés dans la discussion. Cette combinaison de deux techniques d’animation assure que tous les participants puissent s’exprimer, d’une part, et que les sujets les plus importants, aux yeux des membres du groupe ou de l’animateur, soient discutés plus en profondeur. D’une manière générale, la plupart des groupes ont connu une certaine convivialité et une atmosphère d’échanges constructifs, malgré les tensions qui pouvaient naître de certaines prises de position.

Après avoir présenté l’organisation et les trois outils de collecte de données, le traitement et l’analyse de celles-ci doivent être précisés afin d’indiquer sur quelles bases les résultats des panels citoyens vont être exploités et ainsi servir à la thèse.

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