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Le contexte : Anvers, la Belgique néerlandophone et la Flandre

Les citoyens belges néerlandophones et le fédéralisme en Belgique

A. Le contexte : Anvers, la Belgique néerlandophone et la Flandre

Le 22 novembre 2008, 23 citoyens belges néerlandophones ont été réunis à l’Universiteit Antwerpen pour le Publiek forum over de toekomst van het Belgische federalisme. Ce panel citoyen s’est donc tenu un an après la rencontre de Liège. Dans cette section, avant de présenter les éléments contextuels, il convient d’évoquer cette distance temporelle et les raisons de celle-ci. Dans la perspective quasi-expérimentale de cette recherche, il était prévu initialement qu’une période de maximum trois mois sépare la tenue des deux panels belges. Celui de Liège devait avoir lieu en septembre 2008 et celui d’Anvers en novembre 2008. Par ailleurs, afin de tester la méthode, un panel-test devait être organisé à Liège en septembre 2007 avant la tenue des panels canadiens. Ce panel-test s’étant bien déroulé et les données récoltées ne montrant aucun problème de validité, il a été décidé de considérer

le panel-test comme le « vrai » panel belge francophone447 ; ce qui explique pourquoi un second panel n’a pas été organisé à Liège en septembre 2008.

Peut-on penser que cette période d’un an entre les deux panels est problématique ? Cette question se pose évidemment en termes de comparabilité des données récoltées à un an d’intervalle. Compte tenu du dispositif particulier de la recherche, une réponse négative semble pouvoir être apportée. En effet, le cœur de l’étude porte sur les perceptions et les préférences des citoyens capturées au travers de discussions ; il ne s’agit donc pas d’une mesure rapide de ces attitudes et opinions – comme c’est, par exemple, le cas dans les sondages. Une telle perspective permet dès lors de dépasser l’influence du contexte immédiat et vise à prendre en compte un vaste ensemble de facteurs qui concourent à la formation des perceptions et des préférences. Par ailleurs, entre septembre 2007 et septembre 2008, il ne semble pas y avoir eu d’événements politiques particulièrement saillants448 qui pourraient contaminer les données au point de rendre celles-ci

incomparables avec les données récoltées 12 mois plus tôt à Liège. Enfin, la logique de cette recherche n’est pas de comparer les opinions au sens strict – ce qui ne serait pas pertinent puisque les données n’ont pas été récoltées dans cette optique – mais plutôt de comparer des profils de citoyens qui sont dégagés sur base de ces différentes opinions.

Avant de présenter plus en détail le déroulement exact du Publiek forum, il est utile d’esquisser le contexte politique dans lequel s’est inscrit ce panel citoyen.

1. Le fédéralisme belge et la Flandre

Nous l’avons vu dans l’introduction, la Belgique s’est largement transformée en réponse aux demandes pour plus d’autonomie venant du nord du pays et plus précisément du mouvement flamand449. À l’heure actuelle, alors que la Belgique est devenue une

fédération – voire pour certains se trouve aux limites d’une confédération450 –, une impression courante, ressortie lors de la Rencontre citoyenne sur le fédéralisme de Liège,

447 Même si celui-ci a réuni 64 participants, c’est-à-dire le double de notre objectif, comme nous l’avons

expliqué à l’entame du troisième chapitre.

448 L’événement politique majeur en 2007 et 2008 fut la longue période sans gouvernement fédéral suite aux

élections fédérales de juin 2007 que nous avons évoquée en présentant la Rencontre citoyenne de Liège ; sur cette période, voyez Pilet et van Haute, « The federal elections in Belgium, June 2007 » ; Benoît Rihoux et al., « Belgium », European Journal of Political Research 47, n°7-8 (2008) ; Sinardet, « Belgian Federalism Put to the Test : The 2007 Belgian Federal Elections and their Aftermath ».

449 Kris Deschouwer, « Comprendre le nationalisme flamand », Fédéralisme Régionalisme 1 (1999-2000).

450 Jean Beaufays et al., « Fédéralisation et structures institutionnelles : la Belgique entre refondation et

liquidation », in La Belgique en mutation. Systèmes politiques et politiques publiques (1968-2008), Jean Beaufays et Geoffroy Matagne (dir.) (Bruxelles : Bruylant, 2009).

voit une dualisation entre les élites flamandes et la population. Avec Kris DESCHOUWER et Theo Marteen JANS, on peut d’ailleurs se demander

si les discours dit identitaires et nationalistes tenus par les leaders politiques flamands correspondent à l’opinion publique en Flandre. Si on se fie aux sondages d’opinion, on peut constater que l’identité flamande est beaucoup moins développée que ce que l’on pourrait croire à première vue. Comment donc expliquer cette différence ? Est-ce que la population flamande est vraiment moins sensible pour les idées nationalistes que les nouvelles élites flamandes ? La réponse doit être nuancée451.

Ces deux auteurs remarquent que dans les décennies 1960, 1970 et 1980 régnait un climat de débat communautaire propice à l’émergence d’un soutien populaire. En effet, puisque les tensions portaient sur l’emploi des langues et plus généralement les questions identitaires, la population pouvait se sentir directement impliquée. Dans toute société, la défense de la langue porte en elle un potentiel de mobilisation populaire important452.

Toutefois, « le mouvement politique et institutionnel flamand d’aujourd’hui s’engage davantage dans des débats plus techniques et constitutionnels. Ce genre de débat n’a plus du tout le même pouvoir de mobilisation ou d’identification que les débats purement linguistiques »453. On assiste ainsi à l’institutionnalisation du mouvement flamand, et progressivement à une distanciation par rapports aux objectifs qui l’ont vu naître – d’autant plus que nombre d’entre eux ont été atteints. De ce fait, le gouvernement et le parlement flamands deviennent les acteurs clés pour la défense de la cause flamande, reléguant au second plan le mouvement flamand culturel et linguistique.

Dans un essai théorisant cette évolution de la nature des revendications autonomistes, Geoffroy MATAGNE montre comment la Belgique est passée d’un conflit aux allures « révolutionnaires » à un conflit « institutionnalisé », cette évolution emportant les changements au niveau des acteurs, du répertoire d’action et du registre argumentaire qui viennent d’être évoqués454. C’est dans ce contexte institutionnel, dominé par les partis

politiques, qu’il faut étudier le fédéralisme belge vu de Flandre et surtout par les citoyens flamands.

2. Le fédéralisme vu de Flandre

Pour explorer cette question, Dave SINARDET, dans un effort de synthèse qui a été évoqué dans le premier chapitre, distingue les opinions politiques – celles des partis – des

451 Deschouwer et Jans, « L’avenir des institutions, vu de Flandre », 217.

452 Michel De Coster, Les enjeux des conflits linguistiques : le français à l’épreuve des modèles belge, suisse et canadien

(Paris : L’Harmattan, 2007).

453 Deschouwer et Jans, « L’avenir des institutions, vu de Flandre », 217.

454 Geoffroy Matagne, « Du conflit « révolutionnaire » au conflit « institutionnalisé » : étude des revendications

opinions publiques – celles des citoyens455. Concentrons-nous principalement sur ces dernières. Si on reprend les différents scénarios – réalistes ou non – généralement envisagés pour le futur du fédéralisme belge, on trouve une grande diversité au sein de l’opinion publique en Flandre. Toutefois, un scénario – davantage de compétences pour les Régions et les Communautés – reçoit le soutien de près de la moitié des Flamands. Dans l’enquête post-électorale de 2007, 46 % des personnes sondées optent pour cette solution456. C’est

aussi « sous ce label que l’on peut classer la plupart des partis flamands mais avec des différences assez importantes entre eux »457. À côté de cette position plutôt médiane, on

trouve des partisans de deux positions opposées. D’un côté, les personnes qui souhaitent la séparation de la Belgique et dont le pourcentage reste stable autour de 10 % depuis une vingtaine d’années. D’un autre côté, il y a autant de Flamands qui souhaitent le rétablissement de l’État unitaire. Les 30 % de la population restant se divise entre le statu quo fédéral (20 %) et plus de compétences pour le gouvernement fédéral (11 %)458.

Par ailleurs, si, comme nous l’avions fait pour la Belgique francophone, on opte pour une vision dichotomique opposant « la Belgique doit décider » à « la Flandre doit décider » sur une échelle continue de 0 à 10, on trouve presque autant de néerlandophones en faveur de la Flandre que de la Belgique – ce qui contraste avec la situation au Sud où les « belgicistes » dominent459. Depuis 1991 et jusqu’en 2003, environ 50 % des citoyens du

nord du pays préféraient la Belgique tandis que 33 % optaient pour la Flandre. L’enquête de 2007 montre une légère inversion de ce rapport avec 42 % en faveur de cette dernière, pour 41 % en faveur de la première. Cependant, ce portrait par trop binaire doit être nuancé puisque derrière celui-ci se cache de nombreux citoyens qui optent pour une position intermédiaire soit pour un renforcement du gouvernement fédéral soit pour davantage d’autonomie pour les entités fédérées, tout en restant dans une structure fédérale.

Ainsi, il existe une grande diversité de préférences fédérales allant du rétablissement de l’État unitaire à la séparation pure et simple. L’objectif de cette recherche consiste dès

455 Sinardet, « Futur(s) de la fédération belge : paradoxes fédéraux et paradoxes belges ».

456 Swyngedouw et Rink, « Hoe Vlaams-Belgischgezind zijn de Vlamingen? Een analyse op basis van het

postelectorale verkiezingsonderzoek 2007 ».

457 Sinardet, « Futur(s) de la fédération belge : paradoxes fédéraux et paradoxes belges », 217.

458 L’enquête électorale de PARTIREP de 2009 montre une répartition similaire, mais avec quelques

différences pour le poids de chaque préférence (surtout pour les deux positions à l’extrémité du continuum) : toutes les compétences pour les Communautés et les Régions (5 %), plus de compétences pour Communautés et les Régions (47 %), le statu quo (24 %), plus de compétences pour l’État fédéral (20 %), toutes les compétences pour l’État fédéral (4 %), Deschouwer et Sinardet, « Taal, identiteit en stemgedrag ».

lors à explorer ces différences et les raisons derrière celles-ci à l’aide du dispositif méthodologique que nous avons développé. Avec une approche plus qualitative, augmentée d’un apport délibératif, il sera possible de mieux caractériser les citoyens belges néerlandophones et plus particulièrement leurs perceptions et préférences fédérales. Avant de présenter les participants au Publiek forum d’Anvers, il est utile d’offrir quelques éléments du contexte local.

Le panel belge néerlandophone a été organisé à Anvers460. Avec près d’un demi million d’habitants, Anvers constitue la plus grande ville de Flandre mais c’est Bruxelles qui a été choisie pour être la capitale de la Communauté flamande. Avec cette dernière et Gand, Anvers forme un triangle important économiquement, mais également démographiquement (le « Vlaamse Ruit »), au cœur de la Flandre461. Par ailleurs, d’après les

habitants de la Métropole, surnom donné à la ville d’Anvers, il existe une identité, voire une fierté, toute particulière d’être un Antwerpenaar, un Anversois. Comme ce fut le cas pour les participants à la Rencontre citoyenne de Liège, c’est un élément identitaire qui émergera peut-être des données récoltées.

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