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Des panels citoyens délibératifs sur l’avenir du fédéralisme

I. Les perceptions et les préférences fédérales

2. La perception politique

Cette dimension englobe les perceptions à propos du système fédéral et du fédéralisme eux-mêmes. C’est donc ce à quoi on pense spontanément lorsqu’on parle des opinions et attitudes politiques à propos de cette thématique : la satisfaction et la légitimité à l’égard du système fédéral, la confiance dans les institutions et les acteurs politiques, la nature du fédéralisme (sa ou ses raison(s) d’être) et, d’une manière plus générale, la culture politique fédérale. Pourtant, d’une manière un peu surprenante, l’ensemble de ces thématiques est peu étudié simultanément dans la littérature. Les travaux sur le fédéralisme adressent principalement le volet préférences, comme nous aurons l’occasion de le montrer, ou alors la facette identitaire, voire encore, au sein de ce que nous qualifions de perception politique, des thématiques plus précises comme la culture politique fédérale,

203 Kimmo Elo et Lauri Rapeli, « Determinants of Political Knowledge : The Effects of the Media on

Knowledge and Information », Journal of Elections, Public Opinion & Parties 20, n°1 (2010).

204 Une littérature abondante existe sur ce sujet. Poser des questions de connaissance politique valides et

pertinentes n’est pas chose aisée : Michael X. Delli Carpini et Scott Keeter, « Measuring Political Knowledge : Putting First Things First », American Journal of Political Science 37, n°4 (1993) ; Jeffery J. Mondak, « Reconsidering the Measurement of Political Knowledge », Political Analysis 8, n°1 (1999) ; Jeffery J. Mondak, « Developing Valid Knowledge Scales », American Journal of Political Science 45, n°1 (2001) ; Bernard Fournier et Min Reuchamps, « Quelques mesures de la connaissance politique des jeunes Liégeois », Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège 53, n°3 (2008) ; Patrick Sturgis et al., « An Experiment on the Measurement of Political Knowledge in Surveys », Public Opinion Quarterly 72, n°1 (2008).

nous y reviendrons, ou des problèmes spécifiques – pour ne citer qu’un exemple belge : l’arrondissement de Bruxelles-Hal-Vilvorde.

Néanmoins, étudier la perception politique des citoyens pour mieux comprendre leurs préférences semble pertinent. C’est en tout cas une des hypothèses de cette recherche. Dans le contexte québécois, Andrea PERRELLA et Éric BÉLANGER notent que cette relation n’est guère étudiée205. En Belgique, un constat similaire peut être posé ; les études portent

avant tout sur les préférences des citoyens pour l’avenir de leur pays, comme si intrinsèquement, sans aucune autre forme de procès, le fédéralisme était jugé insatisfaisant et qu’il fallait donc se tourner vers le futur. Cette vision se reflète particulièrement dans les écrits de nombreux chercheurs francophones qui commencent régulièrement leurs travaux par un avertissement à propos de la complexité du sujet206. « C’est exact, rappelle Geoffroy

MATAGNE, [m]ais ce n’est pas propre au fédéralisme… et de nombreux phénomènes loin d’être simples et homogènes ne semblent pas appeler autant de prudence »207. Plus

généralement, les tensions que connaissent ou ont connu les deux pays expliquent probablement ce jugement a priori négatif à l’endroit du fédéralisme belge et canadien. Cependant, seule une étude plus poussée des différentes facettes de la perception du système fédéral peut confirmer ou infirmer cette impression et plus précisément identifier les raisons derrière la perception politique des citoyens.

Pour ce faire, cette analyse se doit d’être la plus large possible en termes d’éléments étudiés. Premièrement, la perception du fonctionnement du système fédéral doit être évaluée. L’indicateur classique se décline sur le mode de la satisfaction. En outre, dans le cadre du fédéralisme belge, la question du partage des ressources et son corollaire, la solidarité, doit également être posée. En effet, la position de chaque citoyen sur cette thématique peut-être en lien avec, d’une part, sa perception de l’autre et, d’autre, sa vision pour l’avenir de son pays, de sa région ou de sa province. Cet indicateur renvoie également à la perception de la nature du fédéralisme. Pourquoi, selon eux, leur pays connaît-il le fédéralisme ? La raison d’être d’un vivre ensemble commun, par exemple, basé sur l’union entre deux groupes nationaux ou à l’inverse sur l’unité d’une seule et unique nation, renvoie donc à des conceptions différentes qu’il est nécessaire d’appréhender dans l’étude des perceptions.

205 Andrea Perrella et Éric Bélanger, « Young sovereignists and attitudes about federalism », in Annual meeting

of the Canadian Political Science Association (Saskatoon : 2007).

206 Cet avertissement est, par exemple, récurrent chez Francis DELPÉRÉE, un constitutionnaliste belge au fort

écho médiatique : Francis Delpérée, Le fédéralisme en Europe, Que sais-je ? (Paris : PUF, 2000), 124.

Deuxièmement, la confiance dans les institutions et les acteurs peut révéler la perception d’un citoyen à l’égard du système fédéral et de ses composantes208. Les

indicateurs de confiance sont intéressants à plus d’un titre209. D’abord, parce que la

confiance vis-à-vis du système en général offre un bon étalon de la légitimité accordée à celui-ci. Ensuite, au sein de la fédération, les citoyens peuvent montrer une confiance différente entre le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial, par exemple. Cette distinction révèle une perception différente de ces deux ordres de gouvernement qui ne peut être négligée. Enfin, elle renvoie à l’interaction entre les partenaires de la fédération ; celle-ci peut relever d’une « federal trust »210 ou non, qui peut servir à étudier la cohésion de l’ensemble fédéral.

Troisièmement, une mesure plus globale de la perception politique peut provenir, selon certains auteurs, de l’évaluation d’une culture politique fédérale chez les citoyens. Il y a plus de cinquante ans, Gabriel A. ALMOND définissait la culture politique comme le « particular pattern of orientations to political action »211. Les spécialistes du fédéralisme ont

ensuite repris ce concept pour l’appliquer dans les contextes fédéraux. Cependant, les définitions varient. Pour les uns, comme Ivo D. DUCHACEK212 ou Daniel J. ELAZAR213, ils définissent la culture politique fédérale en termes de comment les citoyens voient et apprécient le système fédéral dans leur pays. Pour les autres, comme Michael BURGESS214 ou Aaron WILDAVSKY 215, la culture politique fédérale témoigne de l’acceptation, ou non, de la diversité – qu’elle soit linguistique, ethnique ou religieuse – au sein d’un même pays. En outre, si de nombreux auteurs, à commencer par un des premiers spécialistes du fédéralisme William S. LIVINGSTON216, estiment qu’une culture politique fédérale doit accompagner toute structure fédérale, l’étude empirique de celle-ci constitue une

208 En science politique, la confiance a été beaucoup étudiée sous l’angle interpersonnel et son impact sur la

vie sociale ; voyez Robert D. Putnam, « Bowling Alone : America’s Declining Social Capital », Journal of Democracy 6, n°1 (1995) ; Robert D. Putnam, Bowling alone : The Collapse and Revival of American Community (New York : Simon & Schuster, 2000) ; Alberto Alesina et Eliana La Ferrara, « Who trusts others? », Journal of Public Economics 85, n°2 (2002).

209 Marc J. Hetherington, « The Political Relevance of Political Trust », The American Political Science Review 92,

n°4 (1998).

210 Jan Erk et Alain-G. Gagnon, « Constitutional Ambiguity and Federal Trust : The Codification of

Federalism in Belgium, Canada and Spain », Regional & Federal Studies 10, n°1 (2000).

211 Gabriel A. Almond, « Comparative Political Systems », The Journal of Politics 18, n°3 (1956) : 396. 212 Duchacek, Comparative federalism : The territorial dimension of politics.

213 Elazar, Exploring Federalism.

214 Michael Burgess, The British tradition of federalism, Studies in federalism (Madison ; Londres : Fairleigh

Dickinson University Press ; Leicester University Presses, 1995).

215 Aaron Wildavsky, « Federalism means inequality », Society 22, n°2 (1985).

thématique inexplorée217. Dans une enquête comparative s’étalant sur plusieurs années, Richard L. COLE, John KINCAID et Alejandro RODRIGUEZ ont tenté de synthétiser les deux définitions en opérationnalisant le concept en quelques questions218. Dans notre

recherche, nous reprendrons leurs questions. Cependant, notre but n’est pas seulement de vérifier la présence ou non d’une culture politique fédérale en Belgique et au Canada ou de mesurer son intensité, à la manière de ces trois auteurs, car cet exercice apparaît rapidement limité mais plutôt de partir de ces indicateurs pour explorer, comme le suggèrent certains auteurs219, les différentes conceptions du fédéralisme qui peuvent se trouver derrière une

culture politique fédérale. En outre, il ne faut pas oublier qu’il existe de fortes différences interindividuelles. On doit à cet égard se demander si, pour que le fédéralisme soit « viable », une seule perception du fédéralisme est souhaitable. En d’autres mots, plusieurs visions du fédéralisme peuvent être appréhendées dans cette recherche sans que cela pose problème d’un point de vue fédéral. Finalement, qu’importe l’existence ou non d’une vraie culture fédérale, il semble plus opportun de mettre au jour les différentes cultures, au sens de visions, du fédéralisme dans les quatre terrains étudiés et d’ensuite les comparer.

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