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Le contexte : Liège, la Belgique francophone et la Wallonie

Les citoyens belges francophones et le fédéralisme en Belgique

A. Le contexte : Liège, la Belgique francophone et la Wallonie

Le 29 septembre 2007, 64 citoyens belges francophones ont été réunis à l’Université de Liège pour une Rencontre citoyenne sur le fédéralisme belge. Le fédéralisme – et plus particulièrement l’avenir de la Belgique – est un thème récurrent dans ce pays depuis de nombreuses années. Pas un jour ne passe sans que les médias n’évoquent les tensions communautaires entre les représentants du nord et du sud du pays. Ce sujet ne manque pas non plus d’animer les discussions de bon nombre de citoyens. Comme nous l’avons souligné d’emblée, rares sont pourtant les avenues où ceux-ci peuvent apprendre et échanger sur ce thème important avec des experts, des responsables politiques et d’autres citoyens. L’objet de la rencontre était de leur proposer une telle opportunité afin de mieux comprendre les relations entre leurs perceptions et leurs préférences fédérales. Avant de

présenter plus en détail les personnes qui ont pris part à ce panel ainsi que son organisation et son déroulement concrets, il est opportun de revenir sur le contexte – du lieu, d’une part, et du moment, d’autre part – dans lequel s’est inscrit ce premier panel.

1. Le fédéralisme en Belgique francophone

En Belgique francophone, c’est-à-dire en Wallonie – sans les cantons germanophones – et à Bruxelles, les citoyens n’ont guère été demandeurs de fédéralisme. Certes, comme nous l’avons rappelé dans le premier chapitre, le mouvement wallon a porté des demandes d’autonomie socio-économique qui ont reçu une réponse par la régionalisation. Depuis lors, la population semble partagée entre différents scénarios. Dans l’enquête post-électorale de 2007371, deux d’entre eux totalisaient ensemble deux tiers des Wallons : le rétablissement de la Belgique unitaire et le renforcement du niveau fédéral372. Deux autres préférences sont également présentes au sein de la population : d’une part, le statu quo fédéral actuel mais qui ne récolte guère de suffrage (12 %) et, d’autre part, une plus grande autonomie pour les Régions et les Communautés (17 %). Enfin, d’après la même enquête, on ne trouve que peu de Wallons souhaitant la scission de la Belgique (4 %). D’une manière générale, cette hiérarchie entre les différents scénarios a été relativement stable dans le temps373 – même si évidemment le poids de chacune de ces préférences peut

varier d’une enquête à l’autre374.

Par ailleurs, si l’on opte plutôt pour une vision dichotomique opposant « la Belgique doit décider » à « la Wallonie doit décider » sur une échelle continue de 0 à 10, on remarque qu’il existe « un écart stable (depuis au moins 1995), de 40 % en faveur des ‘belgicistes’ par rapport aux ‘régionalistes’ »375. Cette situation contraste avec la Flandre où l’écart a toujours

371 Une enquête récente menée en 2009, soit après la Rencontre citoyenne, montre que la situation actuelle

diffère sensiblement de celle de 2007. En effet, les résultats de cette recherche montre que la hiérarchie s’est modifiée puisque dorénavant les Wallons se divise plutôt en trois grands groupes dont le plus important est constitué par ceux qui préfèrent un renforcement des compétences régionales et communautaires (33 %), suivi de ceux qui souhaitent plus de compétences pour l’État fédéral (30 %) et en troisième lieu ceux qui se satisfont du statu quo (22 %), voyez Deschouwer et Sinardet, « Taal, identiteit en stemgedrag ».

372 André-Paul Frognier et al., « Les Wallons et la réforme de l’Etat. Une analyse sur la base de l’enquête post-

électorale de 2007 », in PIOP (Louvain-la-Neuve : Pôle Interuniversitaire sur l’Opinion publique et la Politique, Université catholique de Louvain, 2008).

373 Sinardet, « Futur(s) de la fédération belge : paradoxes fédéraux et paradoxes belges ».

374 Par exemple, entre 2003 et 2007, le rétablissement de la Belgique unitaire est passé de 31 % à 44 %, le

renforcement du niveau fédéral de 20 % à 22 %, et l’augmentation de l’autonomie des Régions et Communautés de 22 % à 12 %, voyez Frognier et al., « Les Wallons et la réforme de l’Etat. Une analyse sur la base de l’enquête post-électorale de 2007 », 12.

375 Lieven De Winter, « Les identités territoriales : 25 ans d’évolution », in Élections : le reflux ? Comportements et

été plus faible376 et, d’après les résultats de l’enquête de 2007, le rapport s’est inversé en faveur des « régionalistes »377. Ainsi, et c’est l’élément important de cette description du

contexte fédéral francophone, le centre de gravité du débat autour de l’avenir du fédéralisme dans une perspective belge francophone se situe du côté de « la Belgique décide » plutôt que de « la Wallonie décide ». En d’autres termes, une part importante des citoyens francophones estime qu’il faut renforcer le niveau fédéral et une autre estime qu’il faudrait même revenir à un système unitaire.

Toutefois, cette vision de la Belgique reflète que le fédéralisme est « incompris »378

par nombre de francophones, puisque, compte tenu des positions minimales néerlandophones pour un renforcement des compétences des entités fédérées, une re- fédéralisation d’un large paquet de compétences est irréaliste et le rétablissement de l’État unitaire en Belgique irait tout simplement à l’encontre de la dynamique fédérale belge379. Pour expliquer cette attitude, reprenant le concept développé par Pierre BOURDIEU d’« hystérésis de l’habitus »380, André-Paul F

ROGNIER, Lieven DE WINTER et Pierre BAUDEWYNS avancent que cette attitude d’un grand nombre de Belges francophones témoignerait « d’un phénomène d’ ‘hystérésis’ (persistance d’une attitude du passé même lorsque les conditions changent), accompagnée d’une survalorisation de ce qui est peut-être appelé à disparaître et qui n’en prend dès lors que plus de prix »381. Comme le souligne

Jean-Claude SCHOLSEM, « [le] monde francophone […] semble parfois comme en état de veuvage psychologique, ayant perdu « son » État, peu capable d’en forger un autre »382. Face à ce constat, c’est l’un des objets de cette étude que de comprendre cette perception au regard de la dynamique fédérale belge actuelle et d’analyser si un processus d’information et

376 Voyez, par exemple, pour les deux dernières enquêtes post-électorales : Swyngedouw et al. (dir.), De Kiezer

Onderzocht. De verkiezingen van 2003 en 2004 in Vlaanderen ; Marc Swyngedouw et Nathalie Rink, « Hoe Vlaams- Belgischgezind zijn de Vlamingen? Een analyse op basis van het postelectorale verkiezingsonderzoek 2007 », in Onderzoeksverslag Centrum voor Sociologisch Onderzoek (CeSO) (Louvain : Instituut voor Sociaal en Politiek Opinieonderzoek (ISPO), 2008).

377 De Winter, « Les identités territoriales : 25 ans d’évolution », 153.

378 Geoffrey Grandjean et al., « Le fédéralisme « incompris » : perceptions et préférences d’un auditoire

d’étudiants de l’ULg », Revue de la Faculté de droit de l’Université de Liège 54, n°3 (2009).

379 Sur ce sujet, on consultera utilement Deschouwer, « Kingdom of Belgium » ; Piret, « Une Belgique en

pointillés » ; Min Reuchamps et François Onclin, « La fédération belge », in Le fédéralisme en Belgique et au Canada. Comparaison sociopolitique, Bernard Fournier et Min Reuchamps (dir.), Ouvertures sociologiques (Bruxelles : De Boeck Université, 2009).

380 Pierre Bourdieu, Le Bal des célibataires : Crise de la société paysanne en Béarn, Points Essais (Paris : Seuil, 2002). 381 Frognier et al., « Les Wallons et la réforme de l’Etat. Une analyse sur la base de l’enquête post-électorale de

2007 », 12.

de délibération peut avoir un impact sur cette préférence partagée par de nombreux citoyens francophones.

Enfin, le panel belge francophone a été organisé à Liège et plus précisément à l’Université de Liège – pour des raisons pratiques évidentes. Liège constitue la deuxième ville la plus habitée de Wallonie, après Charleroi, et, de tout temps, les Liégeois ont joué un rôle politique important aussi bien au niveau national, lorsque la Belgique était encore unitaire, qu’au niveau fédéral, régional et communautaire depuis sa fédéralisation. En outre, les habitants de la Cité ardente, comme ces derniers aiment la qualifier, ont souvent été vus, par le reste des Belges383, comme animés par un « esprit principautaire », frondeurs et fortement attachés à leur ville et à leur identité liégeoise. Cet élément identitaire émergera peut-être des données récoltées lors de la rencontre citoyenne et devra dès lors être pris en compte dans l’analyse. La description de ces deux éléments contextuels permet de mieux comprendre dans quel environnement politique et identitaire s’est déroulé ce premier panel.

2. La question fédérale exacerbée

Outre le contexte du lieu, un autre aspect contextuel, celui du moment, doit être explicité. Le jour de la Rencontre citoyenne sur le fédéralisme, le 29 septembre 2007, la Belgique vivait son 109ème jour sans véritable gouvernement fédéral384. En effet, suite aux

élections fédérales du 10 juin 2007385, les partis victorieux – le cartel CD&V-N-VA, l’OpenVLD, le MR et le cdH – ne parvenaient pas à se mettre d’accord pour former un gouvernement en raison des positions des partenaires potentiels sur les dossiers communautaires, notamment l’esquisse d’une future réforme de l’État, la circonscription électorale de Bruxelles-Hal-Vilvorde (BHV) ou encore le statut des communes à facilités de la périphérie bruxelloise386.

Les tensions autour de la formation d’un gouvernement fédéral au moment du panel liégeois constituent potentiellement des événements de nature à influencer les opinions et les attitudes des citoyens – dans ce cas, on parle d’un effet possible de « contamination » – et donc de mettre en cause la validité des données récoltées. Un autre

383 Daniel-Louis Seiler, « Commentaires comparatifs sur les institutions de la « Belgique nouvelle » », in La

Belgique : un état fédéral en évolution, André Leton (dir.) (Bruxelles ; Paris : Bruylant ; L.G.D.J., 2001), 202.

384 Juridiquement, il y a toujours un gouvernement ; mais dans certains cas celui-ci peut être uniquement

chargé de gérer les affaires courantes, ce qui était le cas à ce moment-là.

385 Dans une certaine mesure, la campagne électorale portait en germe les tensions communautaires qui ont

suivi les élections ; sur ce sujet, voyez Jean-Benoit Pilet et Emilie van Haute, « The federal elections in Belgium, June 2007 », Electoral Studies 27, n°3 (2008) ; Sinardet, « Belgian Federalism Put to the Test : The 2007 Belgian Federal Elections and their Aftermath ».

386 Bart Brinckman et al., De zestien is voor u. Hoe België wegzakte in een regimecrisis. Het verhaal achter de langste

événement médiatico-politique récent a pu également influencer les perceptions et préférences des citoyens : il s’agit de l’émission Bye-Bye Belgium diffusée sur la RTBF, le 13 décembre 2006, qui annonçait dans un vrai-faux journal télévisé la proclamation de l’indépendance de la Flandre par le Parlement flamand. Cette émission a provoqué d’innombrables prises de position et suscité de nombreuses réactions dans la population – très – négatives comme – très – positives387.

Néanmoins, au-delà de l’impossibilité même de mener une recherche en sciences sociales reposant sur des conditions où « toutes autres choses restent égales », on peut avancer que les perceptions et les préférences des citoyens reposent sur des événements et des expériences qui sont antérieures aux événements de l’actualité récente, même si celle-ci, à son tour, contribue à façonner les attitudes et les opinions politiques de tout un chacun. Depuis de nombreuses années, la Belgique connaît des tensions communautaires qui ont façonné la socialisation politique de plusieurs générations de citoyens ; dans cette perspective, le contexte politique avant la rencontre citoyenne participe à la formation, au développement et au renouvellement des perceptions politiques – tout comme la participation à une telle rencontre constitue un événement pouvant modifier les opinions politiques. Il appartient donc au chercheur de tenter de dégager, lors de l’analyse des données, les facteurs déterminant les comportements politiques et de distinguer éventuellement les causes immédiates des causes profondes. Enfin, l’actualité renouvelée du fédéralisme parmi les citoyens francophones a probablement favorisé le recrutement des participants pour la rencontre citoyenne, comme le laisse entendre un des participants : « le sujet m’intéresse fortement d’autant plus en fonction des circonstances que l’on traverse au niveau national » (B1).

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