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Des panels citoyens délibératifs sur l’avenir du fédéralisme

B. L’éclosion d’expériences délibératives

1. La délibération dans les institutions formelles

Si la démocratie délibérative a vu le jour en réaction à la démocratie représentative, on trouve pourtant dans les institutions de ce type des mécanismes de délibération formels et informels. En premier lieu, au sein même de l’institution au cœur de la démocratie représentative, le Parlement, la délibération occupe le devant de la scène. Dans un ouvrage séminal comparant les débats parlementaires en Allemagne, aux États-Unis, au Royaume- Uni et en Suisse, Jürg STEINER, André BÄCHTIGER, Markus SPÖRNDLI et Marco R. STEENBERGEN explorent le rôle des discussions et des arguments en politique268. « Talk matters » constitue le cœur de leur démonstration et ils précisent : « the nature of speech acts inside legislatures is a function of institutional rules and mechanisms, and bears an influence on political outcomes that transcends those rules and mechanisms »269. Ce faisant, ils estiment que la recherche empirique peut contribuer à résoudre les grandes controverses traversant la théorie démocratique270. Concrètement leur apport passe par la construction d’un Discourse Quality Index (DQI) qui mesure la qualité de la délibération271. La délibération en soi ne constitue donc pas la solution miracle, elle se doit d’être mesurée qualitativement.

Feddersen, « Deliberation, Preference Uncertainty, and Voting Rules », The American Political Science Review 100, n°2 (2006). Pour d’autres exemples de ce type, voyez Jürg Steiner et al., Deliberative Politics in Action : Analyzing Parliamentary Discourse, Theories of Institutional Design (Cambridge ; New York : Cambridge University Press, 2004), 43-52.

266 Pour des recensions des études empiriques sur la démocratie délibérative, voyez Tali Mendelberg, « The

deliberative citizen : theory and evidence », in Research in Micropolitics : Political Decisionmaking, Deliberation and Participation, Michael X. Delli Carpini et al. (dir.) (Greenwich : JAI Press, 2002) ; Michael X. Delli Carpini et al., « Public Deliberations, Discursive Participation and Citizen Engagement : A Review of the Empirical Literature », Annual Review of Political Science 7, n°1 (2004) ; David M. Ryfe, « Does deliberative democracy work? », Annual Review of Political Science 8, n°1 (2005).

267 Diana C. Mutz, « Is Deliberative Democracy a Falsifiable Theory? », Annual Review of Political Science 11, n°1

(2008) ; Thompson, « Deliberative Democratic Theory and Empirical Political Science ».

268 Steiner et al., Deliberative Politics in Action : Analyzing Parliamentary Discourse. Voyez également un article

poursuivant cette réflexion : André Bächtiger et al., « The Deliberative Dimensions of Legislatures », Acta Politica 40, n°2 (2005) ; André Bächtiger et al., « Deliberation in Legislatures : Antecedents and Outcomes », in Deliberation, Participation and Democracy : Can the People Govern?, Shawn Rosenberg (dir.) (Basingstoke ; New York Palgrave Macmillan, 2007).

269 Steiner et al., Deliberative Politics in Action : Analyzing Parliamentary Discourse, 1. 270 Ibid., 42.

271 Cet index a été révisé et complété, il prend maintenant en compte l’interaction (qui parle à qui et

comment), les formes alternatives de communication (comme le marchandage) et les différents types de discours (par exemple, conventiels, collaboratifs ou encore concurrentiels), en plus des quatre indicateurs

Ce constat vaut également pour d’autres institutions où la délibération est essentielle, notamment les jurys de citoyens. Plus fréquemment dans le monde anglo-saxon, des citoyens sont appelés à délibérer ensemble pour atteindre une décision commune. Ces institutions animées par des citoyens ordinaires permettent de vérifier les prescrits théoriques mis en avant par les philosophes politiques. Néanmoins, les résultats s’avèrent contrastés272. Plusieurs chercheurs se montrent même particulièrement sceptiques. Parmi

eux, John R. HIBBING et Elizabeth THEISS-MORSE, dans leur ouvrage déjà célèbre intitulé Stealth Democracy, livrent un des réquisitoires les plus sévères à l’encontre de la démocratie délibérative dans la vie de tous les jours :

[r]eallife deliberation can fan emotions unproductively, can exacerbate rather than diminish power differentials among those deliberating, can make people feel frustrated with the system that made them deliberate, is ill-suited to many issues and can lead to worse decisions than would have occurred if no deliberation had taken place273.

D’autres critiques s’appuient sur la dynamique de groupes, au cœur de tout mécanisme de délibération, pour rejeter les avantages de celle-ci. Cass R. SUNSTEIN estime qu’une discussion de groupe conduit plus souvent à une radicalisation des opinions plutôt

qu’à leur modération274. Cependant, selon d’autres chercheurs comme John S. D

RYZEK, si les bénéfices de la démocratie délibérative ne sont pas unanimement reconnus, il faut nuancer certaines critiques. Cet auteur remet même en cause les résultats de John R. HIBBING et Elizabeth THEISS-MORSE en avançant qu’ils ignorent des éléments en faveur de la délibération dans leurs propres données275. Shawn W. ROSENBERGen appelle, quant à lui, à une « more collaborative and transformative form of deliberation », c’est-à-dire une approche délibérative qui prenne plus en compte le contexte dans lequel elle est pratiquée

initiaux : la participation, la justification, le respect et ce que les auteurs qualifient de constructive politics ; André Bächtiger et al., « Discourse Quality Index 2 : An updated measurement instrument for deliberative processes », in 5th ECPR General Conference (Potsdam : 2009).

272 Delli Carpini et al., « Public Deliberations, Discursive Participation and Citizen Engagement : A Review of

the Empirical Literature » ; Simone Chambers, « Measuring Publicity’s Effect : Reconciling Empirical Research and Normative Theory », Acta Politica 40, n°2 (2005).

273 John R. Hibbing et Elizabeth Theiss-Morse, Stealth democracy : Americans’ beliefs about how government should

work, Cambridge studies in political psychology and public opinion (Cambridge ; New York : Cambridge University Press, 2002), 191.

274 Sunstein, « Deliberative Trouble : When groups go to extremes » ; Cass R. Sunstein, Republic.com

(Princeton : Princeton University Press, 2001) ; Cass R. Sunstein, « The Law of Group Polarization », Journal of Political Philosophy 10, n°2 (2002).

275 John S. Dryzek, « Theory, Evidence, and the Tasks of Deliberation », in Deliberation, Participation and

Democracy : Can the People Govern?, Shawn W. Rosenberg (dir.) (Basingstoke ; New York : Palgrave Macmillan, 2007).

et qui puisse évoluer276. Les expériences délibératives du deuxième type reposent précisément sur cet élément contextuel puisqu’elles sont instituées, construites dans ce but particulier.

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