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Les citoyens belges francophones et le fédéralisme en Belgique

C. L’organisation et le déroulement

II. Les perceptions fédérales des citoyens belges francophones

5. Une culture fédérale belge francophone ?

Peut-on dire des Belges francophones qu’ils sont animés par une culture – politique – fédérale comme le sont d’autres citoyens d’un pays fédéral tels que les Américains, les Canadiens419 ou les Suisses ? Pour répondre à cette question, qui renvoie à des

considérations théoriques sur le fédéralisme que nous avons rappelées dans le chapitre précédent, trois questions ont été posées aux répondants. Ces questions sont posées depuis de nombreuses années à des répondants provenant des États-Unis, du Canada et du Mexique420. Il s’agit de savoir si un système fédéral est préférable à tout autre forme de gouvernement ; si pour gouverner un pays, il est préférable d’avoir un seul gouvernement plutôt que plusieurs gouvernements ; si un pays où tout le monde parle la même langue et partage la même culture est préférable à un pays où la population parle différentes langues et où plusieurs cultures cohabitent. Il convient de préciser que la réponse à ces questions est « toute relative »421 et surtout qu’il est plus facile d’avoir une culture fédérale lorsqu’on

419 Évidemment, dans les chapitres qui leur seront consacrés, il nous faudra interroger cette notion dans le

contexte canadien et nous y découvrirons que tous les Canadiens ne sont pas nécessairement animés par une culture fédérale. Cela rappelle l’importance d’éviter les généralisations puisque souvent la diversité caractérise les opinions et les attitudes des citoyens.

420 Voyez les références données sur ce sujet dans le deuxième chapitre.

421 En effet, les créateurs de ces questions expliquent qu’une réponse positive à la première question et une

réponse négative aux deux autres indiquent l’existence d’une culture fédérale chez le répondant. Cependant, il faut considérer les réponses à cette question uniquement d’un point de vue analytique et non normatif. Par exemple, il est évidemment « tout relatif » de préférer vivre dans un pays multilingue ; on pourrait tout à fait répondre par la négative à cette question. À cet égard, John Stuart Mill en 1861 écrivait qu’il était « presque impossible » que dans un pays plurilingue les institutions démocratiques puissent fonctionner. Le problème majeur, selon cet auteur, était l’existence d’espaces publiques et médiatiques séparés et le fait que la plupart des citoyens ne lisent les journaux, n’écoutent la radio et ne regardent la télévision que dans leur langue maternelle ; John Stuart Mill, Utilitarianism, On Liberty, Considerations on Representative Government (Londres : J. M. Dent, [1861] 1993 ), 391-397.

vit dans une vieille fédération422, d’une part, et lorsqu’on appartient au groupe qui domine ou qui prône le fédéralisme, d’autre part. Tenant compte de ces précautions, il est utile d’explorer cette thématique dans le contexte belge francophone à des fins comparatives.

En outre, si avec Éric MONTPETIT on peut être « perplexe quant à l’idée qu’un sondage puisse mesurer une culture » puisque « en effet, une culture n’est jamais aussi partagée que ce qu’un sondage nous suggère »423, les résultats du questionnaire ne doivent

pas être vus comme des réponses à un sondage classique. Surtout ils doivent être analysés en termes individuels et au regard des interventions des participants. Trois trajectoires possibles émergent d’une telle analyse. Premièrement, ceux qui montrent une culture fédérale ou ce que les anglophones qualifient de pro-federal culture424 : ils sont d’accord que le

système fédéral est préférable, ainsi que de vivre dans un pays où il y a plusieurs langues et cultures, mais ils s’opposent à avoir un seul gouvernement. Parmi les participants, ils ne sont pas nombreux.

Deuxièmement, ceux qui ont une culture fédérale qui semble a priori contradictoire car ils sont à la fois d’accord que le système fédéral est préférable à toute autre forme de gouvernement et que simultanément avoir un seul gouvernement est préférable pour gouverner un pays. Cette position semble contradictoire ; toutefois, on peut émettre l’hypothèse que les participants répondent à la première question (« système fédéral est préférable ») dans le contexte belge alors qu’ils répondent à la seconde (« avoir un seul gouvernement est préférable ») dans l’absolu. Le croisement du premier indicateur (en T2) et de l’indicateur « Système fédéral belge meilleure solution pour coexistence pacifique » (en T2 également) confirme cette hypothèse (Tableau 3.9). Le tableau croisé de ces deux indicateurs montre qu’ils sont corrélés puisque seules neuf personnes sur un maximum possible de 54 répondent négativement à l’un et positivement à l’autre. Cela renvoie aux deux sens – négatifs – du fédéralisme qui ont été définis ci-dessus et plus particulièrement au premier de ces deux sens. En effet, si le fédéralisme semble la moins mauvaise solution pour la Belgique, dans l’idéal par contre, un système unitaire est préférable car, d’après les participants, moins conflictuel.

422 En Belgique, alors que les jeunes n’ont connu que le fédéralisme, nombre d’entre eux ne montrent pas –

encore – une culture fédérale : Grandjean et al., « Le fédéralisme « incompris » : perceptions et préférences d’un auditoire d’étudiants de l’ULg ».

423 Éric Montpetit, « Les futurs des fédérations belge et canadienne : un dialogue comparatif », in Le fédéralisme

en Belgique et au Canada. Comparaison sociopolitique, Bernard Fournier et Min Reuchamps (dir.), Ouvertures sociologiques (Bruxelles : De Boeck Université, 2009), 255.

424 Cole et al., « Public Opinion on Federalism and Federal Political Culture in Canada, Mexico, and the

Tableau 3.9 Croisement entre Système fédéral est préférable (lignes) et Système fédéral belge meilleure solution pour la coexistence pacifique

(colonnes) (en nombres réels, en T2) Modalité de réponse Tout à fait d’accord Plutôt d’accord Plutôt pas d’accord Pas d’accord du tout Total Tout à fait d’accord 5 4 0 0 9 Plutôt d’accord 4 34 2 0 40 Plutôt pas d’accord 0 6 6 1 13 Pas d’accord du tout 1 0 0 0 1 Total 10 44 8 1 63 Nombre de répondants = 63.

Troisièmement, il y a ceux qui ne montrent pas de culture fédérale et qui préfèrent être gouvernés par un seul gouvernement et vivre dans un pays où il n’y a qu’une seule langue et une seule culture. Néanmoins, ce dernier indicateur n’est pas le plus déterminant parmi les participants belges francophones car plusieurs d’entre eux préfèrent un pays avec un seul gouvernement mais, vu la coexistence historique – dans un État qui fut pendant de nombreuses années unitaire – de deux « grandes » communautés425, souhaitent vivre dans un pays avec plusieurs cultures et langues. En résumé, cette réflexion sur la culture fédérale renvoie avant tout à la dynamique fédérale belge et les différents éléments qui la caractérise au sud de la frontière linguistique. En outre, malgré le caractère relatif de la notion de culture fédérale, il sera intéressant de contraster l’analyse faite en Belgique francophone avec celle qui sera réalisée dans les trois autres terrains.

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