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urbaine ougandais

Section 1 La logique de marché et la mesure de la performance dans le secteur de l’eau urbaine

2 L’émergence de la logique de marché à travers les prescriptions de la Banque Mondiale

2.2 La vague de participation du secteur privé des années

Les années 1990 marquèrent un tournant dans le secteur de l’eau urbaine. L’expérience de la privatisation33 des services d’eau anglais en 1989 menée par le Gouvernement

Thatcher au Royaume-Uni a déclenché un engouement pour la participation du secteur privé dans le secteur de l’eau (Franceys, 2008). Avec la privatisation34 des services d’eau,

l’Angleterre a mis en place l’OFWAT, qui est une autorité de régulation du secteur de l’eau urbaine chargée de veiller au best value for money pour les contribuables anglais. Ainsi, dans un contexte de diffusion du néo-libéralisme dans le secteur public avec le Nouveau Management Public (Hood, 1995), est né le partenariat public privé que la Banque Mondiale allait promouvoir pendant plus d’une décennie. Les programmes de privatisation qui touchent les industries en réseaux étaient en cohérence avec les politiques d’ajustement structurel promues dans les années 1980 et 1990 pour redresser la situation des pays en difficulté financière. La politique menée alors par les institutions technocratiques de Washington s’appuyaient sur ce que Williamson a appelé « le consensus de Washington » (Williamson, 1990), désignant dix mesures préconisées par les institutions politiques, technocratiques et financières de Washington35, pour gérer la

dette des pays d’Amérique Latine dans les années 1980 et 1990. Ce consensus prévoyait notamment la privatisation des entreprises publiques, comme moyen d’améliorer la performance de ces organisations en les insérant dans un tissu concurrentiel. Ce qui explique peut-être aussi la diffusion des théories néo-libérales, c’est l’échec des théories économiques alternatives mises en œuvre dans les pays en développement, ainsi que la chute du bloc communiste. Une autre preuve de ce basculement vers le néo-libéralisme dans le secteur fut la reconnaissance de la valeur économique de l’eau lors de l’assemblée des Nations Unis de Dublin (Irlande) de 1992. Le modèle marchand, présent

33 La privatisation des services d’eau menée par le gouvernement Thatcher est la forme de

privatisation la plus radicale (divestiture en anglais) : la vente de tous les actifs liés à l’eau à des entreprises privées qui deviennent propriétaires et gestionnaires des réseaux d’eau.

34 Le terme privatisation est vague et recouvre différentes réalités. Il renvoie à la participation du

secteur privé à des degrés variables, depuis un contrat de management où le service reste public et où des managers du privé sont embauchés pour introduire des nouvelles méthodes de management, jusqu’au modèle de la privatisation totale qui implique la vente des actifs et l’exploitation du service par une entité privée.

35 Washington étant le siège de nombreuses institutions très influentes sur le plan politique,

économique et financier, il désigne dans l’expression de Williamson : Le Congrès et les hauts fonctionnaires de l’administration des Etats-Unis, et les institutions financières internationales Banque Mondiale et Fonds Monétaire International, des agences économiques du gouvernement, de la Federal Reserve Board et les groupes de réflexions comme l’Institute for International

dans de nombreux pays depuis la création des réseaux d’eau, fut officiellement reconnu au niveau international. Dans les années 1990, le secteur privé apparaissait comme l’acteur clé qui pourrait contribuer aux besoins d’investissements et améliorer la qualité des services d’eau par son savoir-faire. La défaillance du secteur était attribuée à l’incapacité du secteur public à être performant, relation établie dans la théorie économique du Public Choice (Buchanan, 1987 ; Niskanen, 1998). Ainsi, la Banque Mondiale promut pendant cette période la participation des entreprises privées, engagées dans des partenariats public privé (PPP), comme remède aux problèmes de financement et de gestion opérationnelle (World Bank, 1993).

De nombreux débats et de controverses, parfois violentes, ont porté sur le principe même de la participation d’entreprises privées, souvent des multinationales. Cette politique a connu un succès mesuré. Environ 200 PPP ont été signés entre 1990 et 2001 (World Bank, 2003c). De nombreux bilans mettent ainsi en exergue le relatif échec du PPP, caractérisé par un engouement de courte durée pour le secteur privé, et des gains de performance décevants (Budds, McGranahan, 2003 ; Estache et al., 2005 ; Hall et al., 2005 ; Marin, 2009 ; Baietti et al., 2006). L’enquête menée par la Banque Mondiale montre qu’en 2004, c’est dans les pays d’Afrique sub-saharienne et d’Asie du sud-est, où l’accès à l’eau est le moins développé, que la participation du secteur privé a été la plus faible.

Plusieurs raisons expliquent ce relatif échec. En premier lieu, beaucoup de pays du Sud n'attirent pas suffisamment de capitaux étrangers. D’après la Banque Mondiale, seulement 5% des investissements dans le secteur de l’eau entre 1991 et 2003 sont venus de fonds privés (Baietti et al., 2006). Ensuite, l'intervention de multinationales étrangères dans un domaine où la sensibilité locale est à fleur de peau a rendu de nombreux projets caducs (Hall et al., 2005 ; Mayaux, 2012). Le départ anticipé de l’opérateur français Suez de Buenos Aires en 2005 illustre le phénomène (Botton, 2007). Enfin, de nombreuses autorités organisatrices se sont montrées incapables de jouer leur rôle et de mettre en place une régulation efficace. Du fait du caractère monopolistique du marché de l’eau, la problématique de la régulation est devenue un thème central de débat et de recherche (Nakhla, 2013 ; Nickson, Franceys, 2003 ; Pérard, 2007). De nombreux économistes ont recherché les arrangements contractuels et institutionnels les plus adaptés pour rendre le partenariat public privé performant (Ménard, Saussier, 2000). Suite à ces difficultés, le nombre de contrats de PPP a diminué, et la presse relate régulièrement des cas de retour à une gestion publique.

Les citations ci-après rapportent le discours d’experts de la Banque Mondiale sur le modèle de la participation du secteur privé, jugé a posteriori comme décevant :

« Il y a seulement quelques années, la privatisation était promue comme un élixir qui pourrait rajeunir les industries léthargiques et gaspilleuses, et revitaliser les économies stagnantes. Mais aujourd’hui, la privatisation est vue différemment – et souvent d’un œil critique. Le scepticisme et l’hostilité envers la privatisation ne sont pas réservés à quelques opposants radicaux. »36 (Briceno-Garmendia et al.,

2004, p. 6)

« Mais comme pour tout élixir économique, la privatisation était trop simpliste, trop promue, et finalement décevante – fournissant moins que ce qui était promis. Récemment, les défaillances présumées de la privatisation, restructurations inadaptées, et dérégulations trop rapides, ont conduit à des émeutes urbaines, la montée du scepticisme dans la couverture médiatique, et des critiques grandissantes envers les institutions financières internationales. »37

(Briceno-Garmendia et al., 2004, p. 52)

2.3 L’entreprisation dans le secteur de l’eau : le nouveau souffle néo-

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