• Aucun résultat trouvé

institutionnelle : une approche critique du contrôle de gestion

Encadré 1 : Méthode employée pour la revue de littérature sur la mobilisation de la SNI dans la discipline du contrôle de gestion.

3 L’émergence de la question du rôle du contrôle de gestion dans les dynamiques institutionnelles.

3.3 Intégrer les systèmes de contrôle de gestion dans une dynamique institutionnelle

Nous terminons ce tour d’horizon des approches intégrant le contrôle de gestion dans un changement institutionnel avec une analyse du cadre proposé par Dillard et al. (2004). Ces auteurs considèrent que la plupart des études mobilisant la SNI étudient les organisations et leurs pratiques comme le résultat à un instant donné de croyances et de valeurs institutionnalisées. Ils ont souhaité proposer une approche processuelle qui mettrait en évidence les dynamiques liées au changement. Les systèmes de contrôle de gestion sont au cœur de leur cadre d’analyse. Leur cadre propose de reconnaître la dimension politique du processus d’institutionnalisation reflétant l’influence des intérêts des acteurs, et ainsi mettre en évidence les dynamiques en jeu dans les processus d’institutionnalisation.

Ils proposent une extension de la SNI en croisant la théorie de la structuration de Giddens (1984) et le concept d’institutions capitalistes de Max Weber. Le but est de comprendre à la fois les changements dans les pratiques comptables et la façon dont ces pratiques influent sur le changement institutionnel et organisationnel. La mobilisation de la théorie de la structuration de Giddens permet d’introduire le rôle de l’agence dans la SNI. Cette approche présente ainsi des similitudes avec le cadre développé par Burns et Scapens (2000). Rappelons qu’il s’agit d’établir une relation dynamique entre agence et structure. Au sein de la structure, les changements résultent de l’action, qui est à la fois rendu possible et contrainte par la structure. Dillard et al. font un rapprochement entre les axes de tensions définis par Weber et les concepts clés de la théorie de la structuration pour caractériser la structure et penser l’action de l’agent. Ils s’intéressent donc aux conditions, relatives au contexte, dans lesquelles les acteurs peuvent agir pour changer les

structures. Dans ce cadre, l’action s’inscrit dans trois types de structure. Le premier type renvoie aux fondements de la légitimité : qu’est ce que la rationalité dans le contexte donné ? Selon Weber, la rationalité évolue selon un axe avec à une extrémité, une rationalité formelle, indépendante des valeurs et fondée sur le calcul et la logique, et à l’autre extrémité, la rationalité substantive, fondée, elle, sur les valeurs, les objectifs, les institutions. Le second type se réfère aux schémas représentationnels, la façon dont la réalité est cadrée ou décrite symboliquement (Dillard et al., 2004, p. 517). La représentation peut être soit subjective (construite socialement) soit objective (suivant la logique). Enfin, le troisième type est la perspective de domination. C’est ce qui est lié au pouvoir, au contrôle. C’est la capacité de contrôler et de mobiliser des ressources. Ainsi, les agents mettent en action ces trois formes de structures. Et c’est dans l’action que les structures se renforcent ou se modifient. « (...) les institutions peuvent être vues comme des manifestations de structures de signification (représentations) et de légitimation (valeurs et normes) qui se renforcent mutuellement. Les institutions reflètent et sont maintenues dans le temps par l’allocation et l’accumulation de ressources associées à leur mise en action par les agents. » (Dillard et al., 2004, p. 521). Le terme de ressources renvoie aux ressources humaines et matérielles. Ainsi, le maintien des institutions est indissociable des structures de domination, ou de la notion de pouvoir selon Weber, c’est- à-dire de la capacité à contrôler et mobiliser des ressources.

Le changement peut soit être progressif, sans rupture, venant d’une évolution des pratiques organisationnelles, des caractéristiques du champ ou de la société. Mais il peut aussi être radical, venant de crises, que les auteurs définissent comme une menace pesant sur l’existence de l’organisation, du champ ou de la société. Pour les auteurs, un changement lié à une crise implique la mise en œuvre de nouvelles pratiques organisationnelles, de nouvelles perspectives pour le champ organisationnel ou de nouvelles configurations sociales. Pour Dillard et al., le capitalisme est dominant dans les sociétés occidentales. Donc la première source de légitimité est l’efficience économique. Le critère d’efficience économique est toujours l’objectif visé et la source de légitimité de tout élément institutionnalisé considéré comme pertinent par une organisation (Dillard et al., 2004, p. 508).

Le modèle est un modèle multi-niveaux des dynamiques de changement institutionnel, qui intègre les facteurs historiques, sociaux et politiques. Il est conçu pour expliquer les processus d’institutionnalisation, transposition et désinstitutionalisation des pratiques. Les trois niveaux d’analyse sont la société (niveau où les normes, et valeurs sont établies, puis disséminées), le champ organisationnel et l’organisation.

Figure 5 : Schéma représentant les dynamiques institutionnelles (Source : Dillard et al., 2004, p. 512)

Au niveau de la société, les critères qui structurent les institutions dépendent du politique et de l’économique et sont influencés par les groupes les plus puissants. Au niveau du champ, les critères structurants pour évaluer la légitimité d’une action sont fonction des critères de la société. Les pratiques qui paraissent légitimes dans le champ dépendent des critères du champ. Au niveau organisationnel, sont distingués dans la littérature institutionnelle les innovateurs (ceux qui développent de nouvelle pratiques organisationnelles au sein du champ) et les adoptants tardifs qui adoptent la nouvelle pratique de l’innovateur. Les pratiques des innovateurs dépendent des pratiques du champ et / ou des critères du champ. Les pratiques des adoptants tardifs dépendent des pratiques des innovateurs et / ou des critères du champ. Les nouvelles pratiques développées par les organisations peuvent contribuer à faire évoluer les pratiques légitimes au niveau du champ, et les critères du champ. Ces évolutions peuvent contribuer à un changement plus large du contexte institutionnel au niveau sociétal, remettant en question une redistribution des pouvoirs. Ces changements peuvent être évolutionnistes (graduels, incrémentaux) ou révolutionnaires (changements brutaux et significatifs). Les nouveaux critères pouvant heurter les anciens, ces zones de frictions peuvent également engendrer des changements. Le principe de récursivité est présenté par Dillard et al. comme l’élément clé d’analyse des processus d’institutionnalisation, car ils considèrent que ce qui est pris pour acquis peut continuellement être remis en question aux trois niveaux par les acteurs. Ainsi, aux trois niveaux, se succèdent des phases d’incrustation et de désinstitutionnalisation de critères et de pratiques.

pressions institutionnelles, du fait d’influences externes (société/champ) et internes à l’organisation. Les facteurs internes influençant la réponse d’une organisation aux pressions institutionnelles sont pour ces auteurs : les structures de signification, légitimation et domination dans l’organisation, le niveau d’institutionnalisation des pratiques dans l’organisation et le fait que les actions produisent ou non les effets attendus (Dillard et al., 2004, p. 528). L’impact de la réponse organisationnelle dans le champ est incertain. Le champ peut évoluer par isomorphisme mais pas seulement. L’évolution va dépendre de la position des organisations dans le champ, de leur légitimité, de leurs ressources et de leurs chances de survie.

Pour Dillard et al., l’émergence de pratiques organisationnelles innovantes est la conséquence, au niveau de l’organisation, de l’action d’agents qui, tout en étant conditionnés par les critères des niveaux supérieurs, ont une capacité de prise de recul et disposent de connaissances qui leur permettent d’agir. Les nouvelles pratiques, plus efficientes et considérées comme meilleures sont institutionnalisées lorsque dans le champ leur mise en œuvre est attendue.

Dillard et al. appliquent leur cadre d’analyse au cas de la mise en œuvre d’un nouveau système de comptabilité des coûts accompagnant le développement du capitalisme dans la société américaine, au sein de General Motors dans les années 1920. A partir d’une étude longitudinale, ils montrent comment le système de contrôle de gestion mis en place, basé sur une stratégie de décentralisation, a contribué aux dynamiques institutionnelles. Dans un premier mouvement, le système de contrôle de gestion a contribué à introduire dans l’organisation les critères et les pratiques, qui, associés au capitalisme, s’imposaient à la société et aux organisations. Le capitalisme favorise la rationalité formelle (basée sur le calcul) et donc un principe de mesure objective de la réalité. Ce principe a été mis en œuvre dans l’organisation avec le développement d’un système de contrôle de gestion, associé à une structure organisationnelle, avec centres de profit et contrôle hiérarchique. Ces nouvelles pratiques organisationnelles (système de contrôle de gestion et la structure organisationnelle associée) ont été considérées comme meilleures que les pratiques institutionnalisées, associées à une logique technique portée par les ingénieurs, et elles ont de ce fait influencé les pratiques du champ organisationnel. Avec le temps, c’est la logique financière qui a peu à peu remplacé la logique de l’ingénieur dans le secteur de l’automobile, renforçant ainsi les institutions politiques et économiques capitalistes. Pour Dillard et al., l’histoire de General Motors montre que « les actions organisationnelles influencent non seulement le niveau symbolique mais aussi les changements matériels à tous les niveaux de l’organisation sociale.» (Dillard et al., 2004, p. 533)

Qu’apporte ce modèle développé en contrôle de gestion au modèle de changement institutionnel de Greenwood et al. (2002) pour saisir le rôle des systèmes de contrôle de gestion dans ce processus ? Nous relevons deux principaux apports de ce modèle.

Premièrement, alors que le changement institutionnel est décrit au niveau du champ organisationnel dans le modèle de Greenwood et al. (2002), le modèle de Dillard et al. (2004) le relie aux niveaux sociétal et organisationnel. Il permet de comprendre les institutions d’un champ par rapport aux institutions de la société même. Il établit notamment un lien entre le système politique et les institutions d’un champ. Par ailleurs, il révèle que l’évolution des critères et pratiques légitimes au niveau d’un champ organisationnel est potentiellement influencée par les critères et les pratiques légitimes au niveau d’une organisation. Ceci renvoie à l’idée que les institutions du champ sont influencées par les institutions de l’acteur dominant, comme l’a montré le cas de General

Motors dans l’industrie automobile américaine. Ainsi, Dillard et al. relient la montée des

institutions du capitalisme aux Etats-Unis avec l’institutionnalisation de systèmes de contrôle de gestion au sein de General Motors puis au niveau du champ de l’industrie automobile comme des processus liés qui se renforcent. Deuxièmement, Dillard et al. ont apporté l’idée qu’il pourrait y avoir deux types de changement institutionnel : des changements révolutionnaires, c’est-à-dire significatifs et brutaux, de type changement de système politique, et des changements incrémentaux, graduels.

En revanche, malgré l’ambition annoncée par les auteurs de concevoir un cadre pour mieux saisir le rôle du contrôle de gestion dans une dynamique institutionnelle, le cadre proposé semble limité pour ce qui est de la conceptualisation du contrôle de gestion. Le contrôle de gestion y est considéré comme une pratique organisationnelle.

Nous retenons du modèle de Dillard et al. l’idée que le changement institutionnel au niveau d’un champ est relié à deux autres niveaux : le niveau sociétal et le niveau organisationnel. Les critères et pratiques d’un champ organisationnel s’inscrivent dans un système socio-politique. Ils peuvent aussi être influencés par les critères et pratiques légitimes au sein d’organisations influentes du champ.

Conclusion de la partie 3 de la section 2 :

Cette partie a exploré les travaux menés dans la discipline du contrôle de gestion qui associent les systèmes de contrôle de gestion à un changement institutionnel. Nous avons mis en évidence trois types de travaux. Le premier étudie les propriétés de ces outils de gestion qui permettent aux acteurs de conduire un travail institutionnel. Le deuxième analyse la façon dont ces dispositifs contribuent à l’institutionnalisation d’une nouvelle logique institutionnelle, en focalisant l’analyse sur le niveau organisationnel. Le troisième assimile ces outils à des pratiques organisationnelles qui participent à consolider les institutions du capitalisme. Ces travaux mobilisent des cadres d’analyse et des concepts différents. Notre ambition dans cette thèse est de proposer un cadre qui permettrait d’unifier ces approches.

Conclusion de la section 2 :

Cette deuxième section montre d’abord que les outils du contrôle de gestion sont d’une part protéiformes, c’est pourquoi nous les appelons les systèmes de contrôle de gestion, et d’autre part institutionnellement ancrés dans une certaine représentation des rapports sociaux, fondés sur la théorie de l’agence. Les travaux sur cet objet qui ont mobilisés la SNI ont principalement considéré l’adoption des systèmes de contrôle de gestion comme le résultat d’un changement institutionnel. Ces travaux ont étudié le phénomène de découplage associé à cette adoption, la forme des systèmes de contrôle résultant des jeux de pouvoirs et des conflits d’intérêts ainsi que le devenir de ces outils une fois intégrés dans une organisation. Une minorité de travaux, que nous avons classé en trois groupes, porte sur le rôle des systèmes de contrôle de gestion dans un changement institutionnel. Un premier groupe montre en quoi ces outils peuvent être vus comme un support au travail institutionnel, leur ambiguïté offrant des marges de manœuvre pour faire valoir les intérêts de certains acteurs. Un second ensemble conceptualise ces systèmes de contrôle de gestion comme des techniques, selon le cadre d’analyse de Hasselbladh et Kallinikos (2000), contribuant ainsi à préciser les modalités du processus d’institutionnalisation d’une nouvelle logique au sein d’une organisation. Enfin, un article, celui de Dillard et al. (2004) nous a paru particulièrement intéressant pour sa tentative d’intégrer les systèmes de contrôle de gestion dans un changement institutionnel qui dépasse les frontières de l’organisation. En revanche, ce travail ne conceptualise pas les systèmes de contrôle de gestion comme des objets à part entière.

Outline

Documents relatifs