• Aucun résultat trouvé

Les prescriptions de la Banque Mondiale, matérialisation de la logique institutionnelle de marché

urbaine ougandais

Section 1 La logique de marché et la mesure de la performance dans le secteur de l’eau urbaine

2 L’émergence de la logique de marché à travers les prescriptions de la Banque Mondiale

2.4 Les prescriptions de la Banque Mondiale, matérialisation de la logique institutionnelle de marché

La Banque Mondiale véhicule sa propre vision de la façon dont les opérateurs d’eau devraient fonctionner pour être performant, selon sa propre définition de ce qu’est la performance.

« Un défi perpétuel quelque soit l’endroit est de transformer des entreprises publiques monolithiques en agences chargées de fournir des services publics

42 Les programmes d’ajustement structurel, portés par le FMI et la Banque Mondiale, proposent de

financer des mesures structurelles pour sortir un pays d’une situation de crise économique. Ces mesures sont d’inspiration néo-libérales, et visent notamment en général la privatisation des services publics.

43 Les opérateurs publics d’eau distingués comme performants sont : le Public Utilities Board

(Singapour), le Phnom Penh Water Supply Authority (Camdodge), Hai Phong Water Company (Vietnam), la SOciété Nationale d’Exploitation et de Distribution des Eaux (Tunisie), Johannesburg

Water (Afrique du Sud), National Water and Sewerage Corporation (Ouganda), Office Nationale de

l’Eau et de l’Assainissement (Burkina Faso), Philadelphia Water Department (Etats-Unis),

plus réactives, pour répondre aux besoins des consommateurs. Les réformes de politiques, de cadre réglementaire et institutionnel, qui créent des incitations pour que les producteurs de services rendent des compte et soient tenus responsables de leurs résultats, adoptent une orientation commerciale, soient solvables et focalisés sur les clients, sont les éléments centraux de la plupart des programmes d’aide dans l’Eau et l’Assainissement. »44 (World Bank, 2003c,

p. 19)

Pour nous, ces prescriptions renseignent sur les pratiques (2.4.1) et la performance (2.4.2) légitimes selon la logique de marché.

2.4.1 Les bonnes pratiques

L’essentiel des pratiques considérées comme légitimes par la Banque Mondiale sont présentées dans trois documents (Baietti et al., 2006 ; World Bank, 2004, 2003c). Les actions prioritaires identifiées par la Banque Mondiale pour améliorer la performance des opérateurs d’eau comprenaient entre autres l’idée d’introduire des régimes incitatifs, une transparence dans la gestion et, de prendre en compte la préférence des consommateurs pour le choix des modes de gestion (World Bank, 2003c, p. 5).

Un opérateur public ne pourrait améliorer sa performance qu’en obtenant une plus grande autonomie de gestion (fixation des tarifs, gestion du personnel), et si la réglementation ne pénalise pas trop son efficience (comme les règles de la passation des marchés publics) (Baietti et al., 2006). Le cadre d’intervention doit également prévoir un contrôle indépendant et compétent (World Bank, 2004). Ainsi, les opérateurs publics performants auraient des objectifs de performance clairs, idéalement contractualisés, et seraient soumis à des contrôles par des auditeurs externes. La Banque Mondiale préconise la mise en place de mécanismes d’incitation pour les managers et le personnel chez les opérateurs pour atteindre les objectifs, et les rendre responsable des résultats (World Bank, 2004), et le renforcement du benchmarking pour stimuler la performance.

La Banque Mondiale retient en outre quatre critères principaux de bonne gestion interne à l’organisation (Baietti et al., 2006) : l’introduction du principe de pilotage par les résultats, l’adoption de pratiques de marketing (développement d’une offre adaptée à la demande, diversification de l’offre, prise en compte de l’avis des clients), un esprit d’entreprise affirmé où l’information circule bien, les objectifs sont clairs, et un personnel formé pour sa mission et incité par ses résultats. Ainsi, ce que la Banque Mondiale retient des modèles de gestion publique dans le secteur de l’eau, c’est leur capacité à imiter le secteur privé.

44 Traduction libre de : « An ongoing challenge across Regions is to transform monolithic state-

owned water companies into more responsive service delivery agencies that address the needs of consumers. Policy, regulatory, and institutional reforms that create incentives for service providers to be more accountable, commercially oriented, creditworthy, and customer focused are central

L’institution financière conditionne l’attribution de prêt au fait que les opérateurs soient engagés dans des démarches visant à améliorer leur performance et leur durabilité financière. La Banque Mondiale promeut essentiellement le financement des services par les tarifs et les transferts, et ne fait pas référence aux impôts (World Bank, 2004, p. 14). La durabilité financière exige a minima que les factures d’eau financent les coûts d’exploitation, de maintenance d’amortissement, et de frais financiers (World Bank, 2004, p. iv).

Ses prescriptions vont jusqu’aux pratiques opérationnelles et aux relations avec les clients.

« Le droit d’un opérateur d’eau de débrancher pour non paiement de la facture est une décision délicate qui doit entièrement revenir aux managers (sans interférence politique). C’est un pouvoir qui doit pouvoir être mis en œuvre sans exception. Sinon, la capacité de générer des recettes du service serait complètement minée. Au fil des ans, les décideurs politiques ont reconnu en effet le fait que les clients qui ne paient pas leur facture d’eau devraient être débranchés. »45 (Baietti et al., 2006, p. 28)

En cohérence avec les principes du NMP, ces préconisations sont les mêmes quelque soit le statut public ou privé des opérateurs d’eau (Baietti et al., 2006). Il s’agit donc de nier les spécificités du secteur public.

Ces pratiques s’appuient sur la théorie de l’agence, plaçant une relation d’agence entre les autorités organisatrices (agence) et les exploitants (agents). Dans ce modèle, les mécanismes incitatifs (mise en place par l’agence) et le reporting (de l’agent vers l’agence) sont mis en place pour lutter contre l’opportunisme de l’agent et l’asymétrie d’information entre l’agence et l’agent. Les systèmes de contrôle de gestion sont donc au centre des pratiques associées à la logique de marché et ils s’appuient sur une représentation de ce qu’est la performance.

2.4.2 La performance

En 2002, la Banque Mondiale a publié une note présentant un tableau de bord dédié au secteur de l’eau urbaine, qui a été appelée la « Water Scorecard ». Le Tableau 13 ci- après présente les indicateurs qui composent ce tableau de bord (Tynan, Kingdom, 2002). La Banque Mondiale indique pour chaque indicateur des valeurs à atteindre en

45 Traduction libre de : « The utility’s right to disconnect for nonpayment is a critical deci-

sion that needs to be totally left to management discretion [with- out political interference]. It is also a power that should be enforced without exception. Otherwise, the utility’s revenue-gen- erating capacity is completely undermined. Over the years, policy makers have come to acknowledge that indeed customers who do not pay their water bill should be disconnected. » (Baietti et al., 2006, p28)

distinguant le cas des pays développés des pays en voie de développement. Ces valeurs ont été établies en faisant des moyennes pour 123 services de 44 pays en développement, et 123 services de 7 pays développés. Ce tableau de bord est selon nous représentatif ce qui est attendu par la Banque Mondiale d’un bon service d’eau : un service qui fournit de l’eau en continu pour toute la population, à un prix abordable, de la manière la plus efficiente possible, en se finançant par la facture d’eau et des subventions.

Indicateur de performance Moyenne des Pays

développés

Valeur cible pour

les pays en

développement

Taux d’eau non facturée 16% !23%

Nombre d’employés pour 1000 branchements

2,1 ! 5

Rapport entre les dépenses d’exploitation sur les recettes d’exploitation (vente d’eau et subventions)

- !68%

Coût de la main d’œuvre par rapport au coût total d’exploitation

29% !39%

Délai de recouvrement des factures

1,8 mois !3 mois

Taux de couverture du réseau 99% 100%

Coût du branchement d’eau - ! 20% du PIB par

habitant

Prix pour 20 L d’eau 0,036 - 0,12 % du

PIB par habitant

! 0,2% du PIB par habitant Plage horaire de fourniture du

service

- 24 / 24

Tableau 13 : La Water Scorecard de la Banque Mondiale (Source : Tynan, Kingdom, 2002)

A travers l’affichage des indicateurs, qu’elle estime légitimes pour évaluer la performance d’un service, elle révèle sa vision de la performance. Les indicateurs clés d’un plan de redressement de la performance sont pour la Banque Mondiale : le taux d’eau non facturée, le taux de productivité du personnel, le taux de recouvrement des factures, le taux de couverture des dépenses d’exploitation par les recettes de la vente d’eau (World Bank, 2003c). Le taux d’eau non facturée indique la proportion du volume d’eau potable introduit dans le réseau qui ne génère pas de revenu, soit parce que l’eau est perdue sous forme de fuites, utilisée pour l’exploitation, volée, non facturée à cause d’erreur de facturation ou de défaillance des compteurs. Cet indicateur à lui seul résume les objectifs d’efficience associés au NMP. Pour la Banque Mondiale (2003c), les indicateurs de défaillance des fournisseurs d’eau sont : plus de 50% d’eau non facturée, et un taux de recouvrement des factures de moins de 70%.

Curieusement, malgré l’engagement de la communauté internationale pour les Objectifs du Millénaire pour le Développement qui visent à augmenter l’accès à l’eau, l’indicateur de taux de couverture (pourcentage de la population raccordée aux réseaux d’eau urbaine) ne fait pas partie de cette liste. La difficile mesure de cet indicateur dans les pays en développement (pas de recensement à jour, démographie galopante, habitat informel, qu’est ce qu’un accès au réseau ?) explique peut-être cela. De même, la notion de tarif abordable pour la population n’apparaît pas dans ces critères. Plus loin, d’autres dimensions semblent absentes, comme la prise en compte de l’environnement. Ainsi, cette vision de la performance semble réductrice, centrée sur l’efficience et reposant sur le seul modèle marchand.

Conclusion de la partie 2 de la section 1 :

En définitive, la Banque Mondiale semble jouer le rôle d’entrepreneur institutionnel dans la promotion de la logique de marché pour changer les pratiques dans les champs organisationnels nationaux. Ses prescriptions s’inscrivent dans la doctrine néo-libérale du Nouveau Management Public. On y retrouve la question de l’évaluation et de la mesure de la performance, ainsi que le principe d’introduire des mécanismes d’incitation à la performance, c’est-à-dire les systèmes de contrôle de gestion. La partie suivante montre comment ces outils de gestion, diffusés dans le secteur, sont au cœur des tensions entre les différentes logiques institutionnelles.

3 Les outils du contrôle de gestion au cœur des tensions

Outline

Documents relatifs