institutionnelle : une approche critique du contrôle de gestion
Section 1 La place des artefacts dans l’analyse du changement institutionnel.
1 La définition des principaux concepts clés mobilisés
1.2 La logique institutionnelle et le changement institutionnel
Dans les développements les plus récents de la théorie, le champ est vu comme un lieu de stabilité mais aussi de changement (Wooten, Hoffman, 2008). En effet, le champ peut être hétérogène, et le lieu de conflits entre des organisations dont les intérêts peuvent diverger. De ces conflits, entre autres, peuvent émerger des changements de normes, règles et représentations. Pour conceptualiser ce changement, la mobilisation du concept de logique institutionnelle est éclairante. Le concept de logique institutionnelle est attribué à Friedland et Alford (1991). Il a été conçu pour ancrer les analyses organisationnelles dans leur contexte sociétal, pour « décrire les pratiques et croyances contradictoires inhérentes aux institutions des sociétés modernes occidentales. » (Thornton, Ocasio, 2008, p. 101). Une logique est « un ensemble de pratiques matérielles et de constructions symboliques » (Friedland, Alford, 1991, p. 248). Les sociétés occidentales modernes sont représentées comme des lieux de juxtaposition d’ordres institutionnels, fondés chacun sur une logique. Les individus et les organisations mobilisent ces logiques institutionnelles comme ressource et cadre pour agir. Pour Friedland et Alford, les principales logiques institutionnelles qui structurent le comportement des individus et des organisations dans les sociétés occidentales modernes sont : le capitalisme, l’Etat, la démocratie, la famille et la religion. « La logique institutionnelle du capitalisme est l’accumulation et la marchandisation de l’activité humaine. Celle de l’Etat est la rationalisation et la régulation de l’activité humaine par des hiérarchies de règles et bureaucratiques. Celle de la famille est la communauté et la motivation de l’activité humaine par une loyauté inconditionnelle à ses membres, et à leurs besoins de reproduction. Celle de la religion, ou de la science (...), est la vérité,
qu’elle soit prosaïque ou transcendantale, et la construction symbolique de la réalité dans laquelle toute activité humaine a lieu. » (Friedland, Alford, 1991, p. 248). Chacune de ces logiques est techniquement et matériellement contrainte, et historiquement circonscrite. Ainsi, l’innovation apportée par Friedland et Alford repose sur l’idée que la société est un système inter-institutionnel (voir Tableau 1), que nous désignons sous le terme de paysage institutionnel. Le tableau 1 illustre le fait que chaque logique peut être décrite par un ensemble de catégories : métaphore racine, sources de légitimité, sources d’autorité, sources d’identité, bases des normes, bases de l’attention, bases de la stratégie, mécanismes de contrôle informel et système économique. Est ainsi repensée la rationalité des acteurs qui sont dans cette nouvelle perspective à la fois les organisations et les individus. Pour Thornton et Ocasio (2008, p. 103) l’hypothèse centrale de la perspective de la logique institutionnelle est que « les intérêts, les identités, les valeurs, et les hypothèses des individus et des organisations sont encastrés dans des logiques institutionnelles ». Leur rationalité inclut plus de paramètres que la seule logique de maximisation d’une utilité. C’est « la multiplicité des logiques [qui] fournit les fondations institutionnelles pour des revendications concurrentes et une diversité d’actions en permettant aux acteurs de sélectionner et se distinguer des autres. » (Lounsbury, 2008, p. 351). Cette approche permet de penser que les acteurs mobilisent différentes logiques qui leur permettent de contribuer ou de résister à un changement institutionnel. Cette approche dépasse l’individualisme méthodologique où l’individu agirait dans son intérêt coupé de son environnement socio-institutionnel, et une approche sociologique où la structure l’emporterait sur les stratégies d’acteur, ce que nous comprenons comme étant l’agence dans ce courant. Dans cette nouvelle perspective théorique, les individus et les organisations, tout en étant conditionnés par la structure, disposent de marges de manœuvre et utilisent les logiques institutionnelles en fonction de leurs intérêts, moyens, statuts et pouvoir. Cette nouvelle approche théorique couple structure et agence. La multiplicité des logiques institutionnelles peut générer des conflits institutionnels, qui sont définis comme des prescriptions institutionnelles contradictoires. Le changement institutionnel peut être compris et analysé à partir des tensions qui se créent entre différents ordres6 institutionnels et des stratégies d’acteurs (agence). Le changement
institutionnel est défini comme un changement du paysage institutionnel lui même. Ainsi, une des sources de changement institutionnel serait le conflit né de l’incompatibilité entre des logiques (Pache, Santos, 2013 ; Reay, Hinings, 2009).
Retenons l’idée que les organisations et les individus sont encadrés dans de multiples paysages organisationnels. Si leur comportement est conditionné par ce paysage institutionnel, ils disposent cependant de marges de manœuvre stratégiques pour agir et, en fonction de leur capacité (moyens, statut, pouvoir) et
de leurs intérêts, contribuer au changement institutionnel.
Catégories Famille Religion Etat Marché
Métaphore
racine Famille en tant qu’entreprise
Le temple comme banque
L’Etat
redistributeur Transaction
Sources de
légitimité inconditionnelle Loyauté Importance de la foi et du sacré démocratique Participation Prix de l’action
Sources
d’autorité Domination patriarcale Charisme du prêtre bureaucratique Domination Actionnaires
Sources
d’identité Réputation de la famille
Association avec les divinités
Classe sociale et
économique Sans visage
Bases des
normes Appartenance au foyer une congrégation Appartenance à Citoyenneté dans la nation personnels Intérêts
Bases de
l’attention Statut dans le foyer Relation au surnaturel groupes d’intérêt Statut des La position dans le marché
Bases de la stratégie Accroître l’honneur de la famille Accroître le symbolisme religieux Accroître le bien commun Accroître l’efficience et le profit Mécanismes de contrôles
informels Politique familiale Profession de foi
Manœuvres politiques
Les analystes de l’industrie
Système
économique Capitalisme familial
Capitalisme
occidental Capitalisme social
Capitalisme de marché
Tableau 1 : Les idéaux-types du système inter-institutionnel, extraits (Source : Thornton et al., 2012, p. 73)
1.3 Le travail institutionnel et l’agence dans le changement institutionnel