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institutionnelle : une approche critique du contrôle de gestion

Section 3 Le cadre d’interprétation

1 Analyser un processus de changement institutionnel

Cette partie présente d’une part le modèle de changement institutionnel mobilisé pour analyser le processus d’institutionnalisation d’une logique dans un champ organisationnel (1.1). Elle précise d’autre part les liens que nous tissons entre logiques institutionnelles et pratiques organisationnelles (1.2).

1.1 Le modèle de changement institutionnel choisi

Dans le cadre théorique de la logique institutionnelle (Thornton et al., 2012), plusieurs logiques institutionnelles coexistent tant au niveau de la société qu’aux niveaux d’un champ et des organisations. Chaque logique est plus ou moins institutionnalisée, en fonction des niveaux d’analyse (société, champ, organisation), des lieux et des époques. Précisons que des organisations qui ne sont pas en interactions fréquentes mais qui s’influencent peuvent être considérées comme faisant partie du même champ organisationnel (Czarniawska-Joerges, 2008). Par exemple, dans le secteur de l’eau urbaine, un service public d’eau peut être influencé par les prescriptions de l’association professionnelle dominante, sans jamais interagir avec elle. Une logique est institutionnalisée dans un champ organisationnel quand elle est prise pour acquise, acceptée, généralisée et résistante au changement. Dans la perspective de Greenwood et al. (2002), on ajoutera que l’institutionnalisation suppose une légitimité pragmative et cognitive, c’est-à-dire son intériorisation par les acteurs. Dillard et al. (2004) ont apporté l’idée que l’institutionnalisation suppose en outre l’allocation de ressources humaines et matérielles destinées au maintien de la logique dans le champ. Le maintien des institutions est donc en lien étroit avec la notion de pouvoir, au sens de maîtrise et de contrôle des ressources.

Rappelons qu’une logique institutionnelle est composée d’éléments abstraits d’ordre symbolique et idéologique, et d’éléments matériels, qui sont des objets matériels, structures et pratiques organisationnelles (Friedland, Alford, 1991 ; Friedland, 2013 ; Jones et al., 2013 ; Thornton et al., 2012). Les structures organisationnelles désignent les rôles formels, règles et modèles de relations organisationnelles. Les pratiques

désignent « les activités, compétences, connaissances et croyances jouées dans un rôle, en essence la partition d’un rôle » (Jones et al., 2013, p. 53).

Le changement institutionnel est un terme générique qui désigne les étapes d’un processus d’institutionnalisation tel que décrit par Greenwood et al (2002), que nous avons décrit dans la partie 2 de la section 1. Comme Dillard et al. (2004), nous considérons que le changement institutionnel peut se produire aux niveaux sociétal, et/ou du champ organisationnel, et/ou de l’organisation. Ces niveaux sont en constante interaction et s’influencent mutuellement de façon dynamique et constante. Les acteurs, qui sont des individus ou des organisations, sont influencés par le paysage institutionnel, mais peuvent aussi l’influencer, en faisant un travail institutionnel. Le rôle des acteurs est important. Ils ont la capacité d’agir pour changer le cadre institutionnel, créer, maintenir ou perturber les institutions, bien qu’ils soient « encastrés », c’est-à-dire conditionnés par leur environnement institutionnel, constitué de multiples logiques institutionnelles. Ils deviennent alors des innovateurs institutionnels (Lawrence, Suddaby, 2006). Un innovateur institutionnel qui crée une nouvelle pratique organisationnelle contribue à l’innovation institutionnelle dans un champ. Ce travail pouvant être conduit à différents niveaux, le changement institutionnel n’est pas nécessairement qu’un processus descendant, du niveau sociétal vers le niveau organisationnel. Dillard et al. (2004) suggèrent d’ailleurs que le changement peut être ascendant, depuis le niveau organisationnel.

Par ailleurs, le changement institutionnel peut être radical ou incrémental. Le changement institutionnel est dit radical quand il va à l’encontre des institutions existantes. Il est dit incrémental lorsqu’il vient d’une succession de petites modifications des pratiques au fil du temps.

Quelles sont les raisons qui poussent un agent à vouloir lancer un processus d’innovation institutionnelle ? Nous reconnaissons plusieurs sources de changement institutionnel : une rupture externe au champ (une rupture dans les normes sociales (Zucker, 1986), une révolution technologique (Garud et al., 2002)), une source interne au champ (un changement dans la concurrence, un changement de régulation (Lounsbury, 1999 ; Powell, 1991 ; Tolbert, Zucker, 1996), un conflit entre logiques institutionnelle (Seo, Creed, 2002)), un changement intra-organisationnel (Smets et al., 2012), et une modification de la répartition du pouvoir (Dillard et al., 2004).

1.2 Les liens entre logiques institutionnelles et les pratiques organisationnelles

L’analyse du changement institutionnel implique une connaissance du paysage institutionnel. Nous proposons ainsi d’identifier les logiques définies par Thornton et al. (2012), que nous avons rassemblées dans le Tableau 1 (ci-avant). Ces logiques seront

repérées dans les éléments abstraits (discours, représentations, règles, normes), mais aussi à partir de l’analyse des éléments matériels, c’est-à-dire des structures et pratiques organisationnelles. Une même logique institutionnelle s’incarne dans plusieurs pratiques organisationnelles. Par exemple, la logique de marché dans le secteur de l’eau en France justifie par exemple la facturation du service de l’eau aux usagers et la contractualisation entre collectivités territoriales et entreprises privées pour la gestion déléguée des services. A contrario, une même pratique organisationnelle peut être rattachée à plusieurs logiques institutionnelles. Pour illustrer cela, prenons à nouveau l’exemple du secteur de l’eau en France. La facturation du service de l’eau potable est une pratique institutionnalisée qui est sous-tendue par plusieurs logiques : la logique de marché, car elle permet, le cas échéant, l’accumulation de richesse des opérateurs d’eau privés, la logique de l’Etat, car d’une part, elle permet de garantir le respect du principe de traitement équitable des usagers du service public, et d’autre part, l’interdiction de la tarification forfaitaire répond à une politique de lutte contre le gaspillage de la ressource en eau. Ainsi, on ne peut pas associer une pratique organisationnelle à une seule logique. Ceci engage à analyser finement dans chaque contexte le lien entre logique et pratique.

Conclusion de la partie 1 de la section 3 :

Cette première partie propose un cadre d’interprétation d’un processus de changement institutionnel fondé sur le modèle de Greenwood et al. (2002), enrichi du modèle de Dillard et al. (2004) et d’une inscription dans la théorie de la logique institutionnelle (Thornton et al., 2012). Nous avons précisé le lien que nous établissons entre logiques et pratiques.

2 Conceptualiser les systèmes de contrôle de gestion comme

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