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urbaine ougandais

Carte 3 : Carte des groupes ethniques en Ouganda

2 La logique de marché pour asseoir la légitimité du régime établi en

A son arrivée au pouvoir, Museveni et le NRM étaient confrontés à trois principaux problèmes : un manque de légitimité tant en interne qu’à l’international, un pays divisé par les nombreux clivages présentés précédemment et une situation désastreuse (administration publique anéantie, infrastructures détruites, situation économique proche de la faillite). Museveni va utiliser deux leviers pour asseoir la légitimité de son mouvement : d’abord la mise en œuvre d’une démocratie sans parti (2.1), qui va lui assurer une légitimité en interne, puis une politique de libéralisation de l’économie (2.2) qui va lui assurer une légitimité à l’international et renforcer son pouvoir en interne.

2.1 La transcendance des tensions sociales comme stratégie de stabilisation

Le National Resistance Mouvement (NRM) s’est déployé pendant la guerre civile des années 1980 autour de l’idée qu’il fallait transcender les clivages régionaux, ethniques et religieux, perçus comme la raison des troubles (Okuku, 2002). A son arrivée au pouvoir, toute activité politique a été interdite. Un régime sans parti a été imposé, c’est-à-dire en fait avec son seul parti, le NRM. A son arrivée au pouvoir, en 1986, le NRM ne bénéficiait d’aucune notoriété ni légitimité (Kasfir, 1999). Pour asseoir sa légitimité, le NRM a coopté des membres de partis d’opposition, en tant qu’individus et non en tant que représentants de leur parti. Cette mesure de légitimation s’est appelée le « gouvernement à base élargie »56. Ainsi de nombreux postes à responsabilité ont été attribués à des membres de

l’opposition.

Dans la pratique de la démocratie, le NRM a instauré des structures donnant en apparence plus de pouvoir à la base. Pendant la guerre, la NRM avaient formé des associations locales où les ougandais pouvaient exprimer leurs aspirations. La réforme constitutionnelle de 1995 permit au NRM de s’élever au rang de système politique, consolidé par la nouvelle constitution. La « démocratie de mouvement » a été utilisée pour légitimer le pouvoir (Kasfir, 1999). Elle repose sur le principe selon lequel tout individu peut rejoindre le mouvement et participer aux réunions organisées par le Gouvernement au niveau local. Cette forme originale de démocratie était porteuse d’espoir. Pour la première fois, le pouvoir octroyait aux Ougandais la possibilité de participer à la vie politique. Ce mouvement était un projet radical en rupture avec les années de dictature et de terreur.

Cette stratégie était à double tranchant, car elle pouvait également diminuer l’influence du NRM en laissant la possibilité aux opposants de s’exprimer. Pour éviter le retour au désordre, le NRM a utilisé trois moyens : conserver les postes influents, utiliser les organes consultatifs locaux comme outils de contrôle de la population et limiter leurs pouvoirs aux questions locales (Kasfir, 1999). Par le Mouvement Act de 1997, la fusion de ces organes avec les représentations locales du parti a fait de ces conseils locaux des instruments de contrôle des populations. Le contrôle de ces instances par Museveni va de soi dans la conception du pouvoir en Ouganda, avec le souci de maintenir la cohésion d’« une société fragmentée, en proie à des intrigues sans fin » (Kasfir, 1999, p. 30). La priorité absolue de Museveni était en effet de maintenir une cohésion et une stabilité malgré les clivages. La démocratie de mouvement sans parti politique était présentée comme une transition nécessaire en attendant le développement économique. Equilibre fragile dans un système complexe.

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Ce modèle démocratique a cependant des limites. Paradoxalement, au fil du temps, Museveni n’a pas pu échapper à la question ethnique et religieuse. Le mouvement est incontestablement dominé par le clan de Museveni, les Banyankole, qui défend ses intérêts. Okuku (2002) et Kasfir (1999) défendent la thèse selon laquelle le NRM n’a finalement pas réussi à transcender les clivages sociaux, mais les auraient entretenus pour consolider son pouvoir. Ainsi, l’Etat ougandais resterait fondé sur des clivages ethniques. Le mouvement serait aujourd’hui devenu un outil pour maintenir le régime en place. Museveni est accusé d’avoir profité de la création de nouveaux postes dans l’administration pour récompenser ses clients politiques et ethniques du sud ouest. La presse s’en est émue, et Museveni a rétorqué que les gens de l’ouest étaient plus éduqués (Okuku, 2002). Sur le plan religieux, Museveni se dit protestant modéré et peu impliqué dans les affaires religieuses. Mais sa femme soutient le développement d’une obédience pentecôtiste, définie en Ouganda comme une secte chrétienne ni protestante, ni catholique, et qui présente donc l’avantage d’éviter de raviver les tensions, et d’affaiblir les églises établies. Le mouvement pentecôtiste est en plein essor, en Ouganda. Il participe à un mouvement de dépolitisation des affaires religieuses (Ménard, 2003). Le pouvoir ougandais revêt ainsi les attributs d’une démocratie. L’Ouganda est une république présidentielle autorisant le multipartisme. Les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire sont séparés. Le pouvoir exécutif est détenu par un Président élu, Yoweri Museveni, un Vice-Président, un Premier Ministre et un Cabinet. Le pouvoir législatif revient au Parlement. Le pouvoir judiciaire est organisé autour de trois instances juridiques. Les Ougandais semble avoir une pratique inédite de la démocratie, expérimentant notamment une certaine liberté de la presse. Le NRM joue le jeu, réagit aux critiques de la presse et respecte les lois et la Constitution.

Pourtant, Museveni garde le contrôle, et n’hésite pas à trancher et à s’imposer de façon autoritaire pour se maintenir au pouvoir. Par exemple, le référendum autorisant le multipartisme en 2005 a été dénoncé par l’opposition comme un écran de fumée démocratique pour faire passer la pilule du vote à main levée du Parlement modifiant la Constitution pour abroger l’article limitant le nombre de mandats présidentiels, et ainsi lui permettre de se maintenir à la tête du pouvoir sans limite temporelle (Rémy, 2005). Le multipartisme a beau exister, le leader de l’opposition est souvent arrêté lorsqu’il organise une manifestation, et de nombreuses manifestations sont réprimées violemment (BBC News, 2011). Cette situation ambigüe est tolérée dans le pays car elle apparaît préférable au retour de l’instabilité et par la communauté internationale, auprès de laquelle Museveni a su donner le change en devenant le bon élève de la Banque Mondiale et du FMI.

2.2 L’adoption d’une politique néo-libérale en 1987

Mouvement marxiste, le NRM a d’abord refusé le recours aux institutions financières de Bretton Woods, préférant à son arrivée au pouvoir en 1986 faire cavalier seul, et s’engager dans une politique de troc avec les non alignés. Avec cette politique, le pays ne pouvait pas avoir accès à l’aide internationale. Au bout de un an, l’Etat ougandais était au bord de la faillite. Le NRM changea alors de stratégie et décida de se lancer dans les réformes néo-libérales.

« Si le feu brûle, il peut aussi cuire la nourriture. »

(commentaire recueilli par (de Torrenté, 1999) auprès d’un proche de Museveni au sujet de la relation de l’Ouganda avec les bailleurs de fonds)

Le programme d’ajustement structurel avait pour ambition la libéralisation de l’économie, avec la promotion de l’entreprise privée. Mais le NRM n’a pas seulement accepté la mise en œuvre des réformes néo-libérales, il a été moteur et particulièrement volontariste, allant jusqu’à anticiper les demandes des bailleurs de fonds. Cette stratégie a été particulièrement efficace, car elle répondait à une convergence d’intérêts du NRM et des bailleurs de fonds internationaux.

Tout d’abord, le NRM a vu juste dans le fait que l’Ouganda pourrait facilement mettre en œuvre ces réformes. L’Ouganda était en effet un terrain favorable à la mise en œuvre d’une politique néo-libérale pour plusieurs raisons (de Torrenté, 1999). D’abord, parce que l’économie était de fait déjà largement libéralisée, car principalement informelle. De plus, le périmètre d’intervention de l’Etat était déjà très réduit. Il s’est agi pour l’Etat de réinvestir certains domaines, plutôt que d’en abandonner. En outre, le secteur public, qui est généralement le plus rétif aux réformes, était vu d’un très mauvais œil par la population, car perverti par la dictature et les années de guerre civile. Par ailleurs, la classe politique voyait dans les réformes une occasion de maîtriser une manne financière venue de l’aide internationale. Enfin, l’Ouganda disposait d’une élite capable de comprendre la logique des bailleurs de fonds, d’anticiper leur demande et de s’adapter à leurs exigences en créant une relation de travail fondée sur la confiance, l’écoute et le dialogue (de Torrenté, 1999). L’Ouganda est le pays qui a adopté avec le plus de rigueur les programmes d’ajustement structurel considérés comme essentiels par la Banque Mondiale et le FMI pour restaurer la discipline fiscale et la stabilité de la monnaie.

Pour les bailleurs de fonds, c’était une occasion de disposer d’un terrain d’expérimentation de la mise en œuvre du modèle de développement « Banque Mondiale ». A cette époque, les politiques d’aide menées par la Banque Mondiale et le FMI étaient critiquées. Ces organisations internationales devaient de plus en plus se

justifier (Hauser, 1999). L’Ouganda allait devenir une vitrine à partir de laquelle la Banque Mondiale et le FMI allaient pouvoir expérimenter, faire connaître et diffuser des modèles de réforme. La Banque Mondiale (2001a) classe l’Ouganda parmi les pays africains qui se sont réformés avec succès. La réforme économique menée dans les années 1980 et 1990 a été conçue pour répondre aux critères de conditionnalité de l’aide internationale. L’Economic Recovery Program lancé en 1987, sous l’égide du FMI et la Banque Mondiale, a instauré une nouvelle monnaie. En 1991, sous l’impulsion du FMI, l’Ouganda ouvre totalement son marché. 1992 marque un tournant dans l’attitude du Gouvernement ougandais, qui prend les rênes de la réforme économique (de Torrenté, 1999 ; World Bank, 2001a). Le développement institutionnel et la réforme du système de gouvernance font partie intégrante de la réforme. Le volet développement institutionnel comprenait le développement du secteur privé, ce qui impliquait que le rôle de l’Etat devait être réduit. A partir de 1995, un cadre légal est mis en place pour renforcer les droits du commerce et de la propriété intellectuelle et régler les conflits commerciaux. La Banque Mondiale (1997) mesure le succès de la première tranche du programme d’ajustement structurel de la manière suivante :

- Augmentation annuelle moyenne du PIB de 6,4% entre 1987 et 1996, - Réduction de l’inflation de 100% à moins de 10% entre 1987 et 1996, - Stabilisation de l’économie,

- Désengagement de l’Etat dans le contrôle de l’économie,

- Depuis 1992, adoption d’un programme de libéralisation économique.

En retour, cette communauté internationale a fermé les yeux sur les agissements non démocratiques du régime, tels que la restriction des droits des partis politiques et les abus en matière de respect des droits de l’homme (Okuku, 2002). Ainsi, De Torrenté (1999) parle d’une lune de miel ambigüe entre le régime ougandais et les bailleurs de fonds internationaux, pour décrire cette forte alliance nourrie de dépendance mutuelle. En tout état de cause, grâce au succès des réformes, le pays a bénéficié en 1997 d’une annulation de 67% de sa dette extérieure.

Conclusion de la partie 2 de la section 2 :

Le pouvoir ougandais a pu légitimer son action en interne comme en externe et drainer une manne financière à laquelle il n’aurait pas eu accès autrement. La mise en œuvre de la logique de marché a servi de ligne directrice pour la réforme du secteur public ougandais, suivant les prescriptions de la doctrine du Nouveau Management Public.

3 La logique de marché dans le secteur public ougandais : le

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