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institutionnelle : une approche critique du contrôle de gestion

Encadré 1 : Méthode employée pour la revue de littérature sur la mobilisation de la SNI dans la discipline du contrôle de gestion.

2.2 Le contrôle de gestion, au cœur des conflits d’intérêts et des rapports de pouvoir

Pour Modell (2009b) l’intérêt de la SNI est de dépasser une vision purement instrumentale et technique centrée sur l’atteinte d’objectifs organisationnels pour prendre en compte les dimensions sociale et politique du contrôle. Le fait que les systèmes de contrôle de gestion reposent sur des mesures chiffrées les font considérer comme des outils neutres, le chiffre étant une sorte de garantie de vérité (Power, 2004). Pourtant, dans une lecture institutionnelle, la définition de la performance relève d’un acte quasi politique, révélateur des jeux de pouvoir et des intérêts des puissants. Brignall et Modell (Brignall, Modell, 2000) proposent ainsi de les intégrer dans l’analyse organisationnelle. Dans cette perspective, la définition de la performance organisationnelle dépend étroitement des rapports de force dans le champ. Cette définition dépend également, selon Meyer et Zucker (1989, p. 111), de contraintes techniques (possibilité de la mesure), et d’autres facteurs plus qualitatifs, comme le style de gouvernance de l’organisation (domination d’une élite ou management participatif), et le nombre de

groupes reconnus comme importants pour l’organisation. Une organisation dominée par une élite, une profession et qui a une mission technique dont les résultats sont facilement mesurables, définira sa performance de façon « étroite », c’est-à-dire avec un nombre restreint d’indicateurs de performance. A l’inverse, si le mode de gouvernance est participatif, qu’existent différents groupes reconnus, et que le résultat de l’action de l’organisation est difficile à mesurer, la définition de la performance sera étendue. Suivant cette logique, pour Brignal et Modell (2000), la définition de la performance peut refléter le résultat des luttes de pouvoir. Dans le secteur de la santé britannique, Chang (2006) a par exemple analysé la manière dont les managers répondaient aux cadres imposés par la direction du National Health Service pour la mesure de la performance. Il montre que ce sont les acteurs les plus puissants qui fixaient les règles du jeu entraînant l’adhésion de la majorité.

Les conflits d’intérêts peuvent venir de différents groupes. Dans leur étude sur le budget de l’université, Covaleski et Dirsmith (1988) mettent en évidence des conflits d’intérêts larvés qui s’expriment dans le langage budgétaire entre différentes entités au sein de l’université et en dehors. Ces conflits peuvent également venir de visions distinctes voire contradictoires ou antagonistes portées par différentes professions, classiquement entre ingénieurs et comptables (Carruthers, 1995). Brignall et Modell (2000) mettent en lumière le fait que la mise en œuvre aisée de systèmes de contrôle, intégrant à la fois des indicateurs financiers et non financiers, est d’autant plus probable que les conflits d’intérêts entre managers et professionnels sont faibles, et que les professionnels ont peu de pouvoir par rapport aux financeurs et aux managers. Selon eux, le recours à la mesure de la performance financière croît avec les pressions des organismes financeurs. C’est une source classique de conflit d’intérêt entre les financiers et les professionnels qui privilégient des mesures non financières de la performance comme la qualité et l’innovation par exemple.

L’intégration des notions d’intérêt et de pouvoir permettent d’apporter des éléments expliquant le découplage. Le découplage peut parfois être considéré comme nécessaire, du fait de conflits entre différents groupes. Dans son étude longitudinale sur les universités suédoises, Modell (2003) a mis en évidence un couplage faible entre les buts organisationnels et les indicateurs de performance, mais aussi entre différents systèmes de mesure de la performance. Il explique que ce couplage faible résulte de luttes de pouvoir entre les acteurs.

Les organisations publiques sont particulièrement sujettes à ces ambigüités concernant la définition de leur performance. Elles devraient pouvoir s’appuyer sur des consensus politiques pour définir leurs priorités, et donc l’évaluation de leur performance. La difficulté réside alors dans l’incapacité des politiques à définir clairement les buts de l’action publique qui sont nécessairement multiples et dont l’atteinte est d’autant plus difficile à

mesurer, que l’action publique s’inscrit généralement dans le long terme. Comment évaluer par exemple l’impact sur la santé publique de l’activité d’un service public d’eau urbaine ?

Cependant, les systèmes comptables, que nous avons dénommés « artefacts », peuvent contribuer à provoquer par leur adoption des changements de pouvoir. Dans son étude sur les forces de police, Collier (2001) montre comment la décentralisation de la gestion budgétaire a permis un changement de la répartition du pouvoir qui a contribué à concilier des intérêts qui vont dans le sens de la mise en œuvre des nouvelles pratiques comptables.

Dans les recherches critiques d’inspiration marxiste et foucaldienne, les enjeux de pouvoir sont centraux (Hopper, Macintosh, 1993). Dans ces approches, les systèmes de contrôle de gestion permettent aux élites de mettre sous contrôle certaines catégories de personnes, et de maintenir un ordre social (Morales, Sponem, 2009 ; Naro, 2010). Miller et O’Leary (1987) ont par exemple présenté la comptabilité des coûts comme une activité disciplinaire pour gérer la masse ouvrière au début du XXème siècle.

Nous retenons de ce deuxième groupe de travaux que les notions d’intérêt et de pouvoir sont mobilisées pour expliquer le phénomène de découplage et son niveau ainsi que la manière dont la performance est définie. La mise en œuvre de systèmes de contrôle de gestion a également été interprétée comme un moyen d’accompagner des changements de répartition de pouvoir et de mettre sous contrôle certains groupes.

2.3 L’évolution des systèmes de contrôle de gestion dans une

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