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institutionnelle : une approche critique du contrôle de gestion

Section 1 La place des artefacts dans l’analyse du changement institutionnel.

2 Le modèle de changement institutionnel

Depuis les années 1990, de nombreuses études sur le changement institutionnel dans les champs organisationnels ont été conduites (Greenwood et al., 2002 ; Seo, Creed, 2002 ; Strang, Meyer, 1993 ; Tolbert, Zucker, 1996). Ces travaux cherchent à expliquer pourquoi et comment des pratiques s’institutionnalisent, et/ou comment des pratiques institutionnalisées dans un champ disparaissent ou changent. Par exemple, Greenwood et al. (2002) ont mis en lumière le rôle d’une association professionnelle dans un processus de changement institutionnel. Ce type d’organisation joue un rôle particulier dans un champ, les institutionnalistes les appellent « agences de régulation ». Comme l’Etat, elles permettent la formation et la reproduction de croyances et de normes et influent sur les pratiques. Les croyances collectives émergent d’interactions répétées au sein du champ. Elles visent notamment à réduire l’incertitude et l’ambigüité, et contribuent à définir un cadrage des comportements. Au fil du temps, les agences d’Etat ou des organismes professionnels mettent en place des mécanismes de régulation qui renforcent et légitiment ces prescriptions. Il s’ensuit une stabilisation du champ, qui peut toutefois n’être que temporaire. Pour modéliser le changement qui affecte un champ, on peut retenir le modèle développé par Greenwood et al. (2002) dont nous présentons les différentes étapes du changement institutionnel : les conditions initiales du changement (2.1), la pré-institutionnalisation (2.2), la semi-institutionnalisation (2.3) et l’institutionnalisation (2.4). La Figure 2 ci-après montre les principaux constituants du modèle.

Figure 2 : Le modèle de changement institutionnel (Source : Greenwood et al., 2002, p. 60)

2.1 Les conditions initiales du changement

Smets et al. (2012) proposent de classer les sources du changement institutionnel en trois catégories : exogènes, endogènes au champ et changement intra-organisationnel qui se répercute dans le champ. Les sources exogènes au champ renvoient à un événement, un choc initial qui déstabilise les pratiques (Greenwood et al., 2002). D’après Tolbert et Zucker (1996), cet événement peut être une rupture dans les normes sociales (Zucker, 1986), une révolution technologique (Garud et al., 2002), un changement dans la concurrence, un changement de régulation (Lounsbury, 1999 ; Powell, 1991). Les sources endogènes peuvent venir d’une contradiction institutionnelle (Seo, Creed, 2002) qui émergent au fil du temps des contradictions entre institutions et génèrent des tensions créant les conditions d’un changement. Le changement intra- organisationnel, désigné comme un « processus micro », est depuis peu considéré par les théoriciens comme pouvant contribuer à modifier le paysage institutionnel (Dillard et al., 2004 ; Smets et al., 2012). Smets et al. (2012) défendent en effet l’idée que les dynamiques intra-organisationnelles sont des sources de changement institutionnel sous estimées. Ils focalisent leur analyse sur « les exigences du travail quotidien » qui induisent des modifications de pratiques organisationnelles de type incrémental, transformant ainsi peu à peu les pratiques légitimes du champ (Smets et al., 2012, p. 879).

Une fois le changement initié, le champ entre, selon Greenwood et al. (2002), dans une phase de désinstitutionnalisation, c’est-à-dire de remise en cause de certaines

institutions. Cette étape est caractérisée par l’entrée en scène de nouveaux acteurs, ou l’ascendance prise par des acteurs existants, ou l’émergence d’innovateurs institutionnels dont l’action vient perturber l’équilibre autour duquel le champ s’est structuré. Suit alors une nouvelle phase de pré-institutionnalisation, qui constitue la première étape d’un processus d’institutionnalisation de nouvelles normes, pratiques ou valeurs dans le champ.

2.2 La pré-institutionnalisation

L’étape de pré-institutionnalisation est une phase d’innovation institutionnelle. Des organisations innovent pour trouver des solutions viables aux problèmes perçus (Greenwood et al., 2002). Pour Tolbert et Zucker (1996), cette étape se fonde sur un processus de « génération de nouveaux arrangements structurels en réponse à des problèmes organisationnels spécifiques ou à un ensemble de problèmes, et la formalisation de ces arrangements dans les politiques et procédures de l’organisation donnée, ou d’un ensemble d’organisations qui sont confrontées à des problèmes identiques ou similaires. »11 (Tolbert, Zucker, 1996, p. 181). Lawrence et al. (2002)

emploient le terme de proto-institutions pour désigner les institutions en train de se faire, avant qu’elles ne soient institutionnalisées. Une proto-institution peut correspondre par exemple à une initiative innovante isolée, de type expérimentation.

2.3 La semi-institutionnalisation

Pour Tolbert et Zucker (1996), l’étape de semi-institutionnalisation désigne la phase de « développement d’un certain niveau de consensus social parmi les décideurs d’une organisation concernant la valeur d’une structure et son adoption croissante par l’organisation du fait de ce consensus. »12 (Tolbert, Zucker, 1996, p. 182). Les auteurs mettent en évidence le rôle des acteurs (appelés « champions ») qui participent à la diffusion des proto-institutions, parce qu’ils y trouvent un intérêt.

A l’issue de cette phase, une étape importante consiste en un processus de théorisation, repéré par Strang et Meyer (Strang, Meyer, 1993), et repris par Tolbert et Zucker (1996) et Greenwood et al. (2002). Ainsi, l’adoption de nouvelles pratiques nécessite une théorisation, c’est-à-dire « le développement et la spécification de catégories abstraites et l’élaboration de chaînes de cause à effet. »13 (Greenwood et al., 2002, p. 60). Au fil du

11 Traduction libre de : « the generation of new structural arrangements in response to a specific

organizational problem or set of problems, and the formalization of such arrangements in the policies and procedures of a given organization, or a set of organizations that confront the same or similar problems »

12 Traduction libre de :« Objectification involves the development of some degree of social

consensus among organizational decision-makers concerning the value of a structure, and the increasing adoption by organizations on the basis of that consensus. »

développement de la théorisation, ce qui est en voie d’institutionnalisation (qui peut être une pratique, une norme, une règle) tend à se standardiser. La théorisation s’opère en deux moments : d’une part, la spécification du problème organisationnel pour lequel la nouvelle pratique est une solution, et, d’autre part, la justification de l’innovation jugée plus adaptée que les pratiques existantes. La théorisation permet à l’innovation d’acquérir une légitimité pragmatique. Une fois légitimées, les proto-institutions sont disséminées dans le champ. Cette diffusion procède selon les mécanismes d’imitation, par notamment les trois isomorphismes définis par DiMaggio et Powell (1983).

2.4 L’institutionnalisation

L’institutionnalisation est considérée comme achevée lorsqu’il y a eu « sédimentation » (Tolbert, Zucker, 1996). La sédimentation est « un processus qui repose fondamentalement sur une continuité historique de la structure, et surtout sur sa survie à travers des générations de membres de l’organisation. La sédimentation est caractérisée par à la fois la diffusion quasi généralisée de la structure au sein d’un groupe d’acteurs théorisés comme des adoptants appropriés et par la perpétuation de la structure au cours d’une longue période de temps. »14 (Tolbert, Zucker, 1983, p. 184). Greenwood et al.

(Greenwood et al., 2002) parlent eux de « ré-institutionnalisation ». L’institutionnalisation est un processus par lequel « des processus sociaux, des devoirs, ou des faits prennent un statut de quasi règle dans la pensée et l’action sociale»15 (Meyer,

Rowan, 1977, p. 341). Une pratique est donc institutionnalisée lorsqu’elle atteint le stade de légitimité sur le plan cognitif : les nouvelles idées deviennent prises pour acquises, les pratiques vont de soi. Ainsi, toute alternative devient impensable, les pratiques sont largement pratiquées, sans débat, et permanentes (Tolbert, Zucker, 1983, p. 25). Elles se reproduisent comme normes admises par le groupe sans remise en cause. Jepperson précise en effet que toute institutionnalisation suppose qu’il y ait un processus de reproduction autonome d’un ordre social.

Si cette phase n’est pas accomplie, l’innovation reste éphémère, elle n’est alors pas institutionnalisée, et rejoint ce que Greenwood et al. (2002) appellent le « destin éphémère des lubies et des modes » (Abrahamson, 1991).

elaboration of chains of cause and effect. »

14 Traduction libre de : « Full institutionalization involves sedimentation, a process that

fundamentally rests on the historical continuity of structure, and especially on its survival across generations of organizaional members. Sedimentation is characterized both by the virtually complete spread of structures across the group of actors theorized as appropriate adopters, and by the perpetuation of structures over a lengthy period of time. »

Conclusion de la partie 2 de la section 1 :

Le modèle de changement institutionnel au niveau d’un champ organisationnel proposé par Greenwood et al. (2002) propose une grille d’analyse des processus par lesquels une nouvelle idée, une nouvelle pratique, ou plus largement une nouvelle logique s’institutionnalise dans un champ. Ce modèle de changement institutionnel tient compte de l’agence (comportement stratégique des agents). Il a été utilisé par exemple pour expliquer comment certains acteurs ont réussi à profiter de leur position dominante dans un champ par exemple pour influencer la formation des règles. Dans le modèle que nous venons de décrire, et plus largement dans l’analyse institutionnelle, les artefacts sont des objets absents. Or, dans notre travail de recherche, nous nous intéressons aux artefacts que sont les systèmes de contrôle de gestion. Dans la partie suivante, nous montrons qu’un ensemble de travaux récents ont néanmoins tenté d’introduire ces objets dans l’analyse institutionnelle.

3 L’émergence des artefacts dans l’analyse institutionnelle,

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