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institutionnelle : une approche critique du contrôle de gestion

Section 1 Epistémologie de la recherche

2 La collecte des données

2.1 Les données

Notre approche se concentre sur les institutions, c’est-à-dire les normes, les valeurs et les représentations. Ces éléments ne sont pas « donnés », mais doivent être identifiés à partir des éléments recueillis sur le terrain. Dans l’élan de déconstruction de ce qui est considéré comme acquis, rien n’était anodin sur le terrain, et toute chose pouvait être potentiellement considérée comme une donnée, depuis la configuration des locaux jusqu’au site Internet de l’organisation, des échanges lors des pauses café aux discours en assemblée générale. L’absence de mise à disposition d’une donnée de la part de l’organisation, ou la difficulté à avoir accès à une donnée était en soi une donnée. Personne ne semble disposer d’un plan du réseau d’eau à portée de main dans cette

organisation ? Cette phrase dit quelque chose sur le rapport de l’organisation à cette infrastructure, la place des problématiques techniques dans les préoccupations opérationelles, et le degré de maturité du système d’information. C’est dans cet état d’esprit que nous avons entrepris la collecte de données sur le terrain. Nous avons donc rassemblé un matériau empirique volumineux comportant de très nombreuses données. La limite de l’exercice était le risque de « trop-plein » et notre capacité limitée de traitement d’une masse trop importante d’informations. Essentiellement textuelles et verbales, les données peuvent aussi être des faits constitutifs d’une cérémonie et des actions porteuses d’une charge symbolique, comme la remise d’un bâton à un manager lors d’une cérémonie officielle de remise de prix pour matérialiser son échec. Nous nous sommes en effet intéressé à toute mise en scène de la vie organisationnelle (réunions et assemblées générales) comme éléments montrant l’image que l’organisation veut donner, donc ce qu’elle considère comme légitime. Ces cérémonies renseignent également sur l’ordre social, et la place des outils de gestion dans les relations organisationnelles.

Il s’agissait ensuite d’interroger ce matériau afin de construire notre question de recherche, et définir par là ce qui serait considéré comme étant une donnée de recherche. Nous avons d’abord organisé le matériau en fonction des niveaux d’analyse conformes à notre cadre d’interprétation : société, champ organisationnel et organisation (voir Tableau 3 et Tableau 4). Ce matériau a été constitué en complétant l’observation participante par trois autres méthodes de collectes : la recherche documentaire, les entretiens et la recherche-intervention.

Matériau empirique Méthode de collecte Niveau sociétal

Données statistiques

Récits historiques et politiques

Rapports de mise en œuvre de programmes d’aide au développement du pays

Articles de recherche sur le système politico économique

Recueil d’archives

Discours des acteurs rencontrés Entretiens Observations Recueil d’archives

Niveau du champ (secteur de l’eau national)

Lois, règlements et normes régissant le secteur de

l'eau Recueil d’archives Entretiens Observation Discours politiques sur l'eau Recueil d’archives

Entretiens Discours politiques sur l'eau

Rapports des programmes d’aide au développement du secteur

Rapports diagnostiques sectoriels

Guide d’appui au développement du secteur

Recueil d’archives

Tableau 3 : Matériau empirique constitué pour l’analyse au niveau de la société et au niveau du champ organisationnel

Matériau empirique Source

Discours managérial et organisationnel Site Internet, Rapports internes, Revue de presse

Entretiens les autres acteurs du champ Récits sur l’histoire et le management de

l’organisation Site Internet, Ouvrages publiés Articles publiés Rapports relatifs aux projets de construction

d’infrastructures Site Internet des bailleurs de fonds Recueil d’archives Systèmes de contrôle de gestion :

- Philosophie managériale :

Discours managérial accompagnant les systèmes de contrôle de gestion

Site Internet Revue de presse Rapports internes Entretiens Observation - Vision simplifiée de

l’organisation : Organigrammes Rapports internes, Entretiens, Observation - Substrat technique :

Grille d’évaluation de la performance Mécanismes d’incitation

Rapports internes, Systèmes d’information Contrats

Entretiens Négociation des objectifs

Mise en œuvre des récompenses et sanctions

Prise en compte des priorités dans les tâches opérationnelles

Entretiens, Observation

Evaluation de la performance Rapports internes, Entretiens,

Observation

Tableau 4 : Matériau empirique constitué pour l’analyse au niveau de l’organisation

Silverman distingue les données spontanées (« naturally occuring data ») des données générées par le chercheur (« researcher provoked data ») (Silverman, 2010, p. 201). Les données spontanées donnent accès à un matériau empirique brut (sans interprétation intermédiaire et sans influence du chercheur dans la production du matériau, donc au plus près de la réalité organisationnelle) à partir duquel il convient de procéder à un travail d’interprétation. Il s’agissait notamment de documents produits en interne dans l’entreprise, ou de réunions auxquelles le chercheur a assisté sans en influencer le déroulement. Nous avons également tenu à générer des données, par l’observation participante, le recueil d’archives, la conduite d’entretiens et l’intervention. Les entretiens nous ont permis d’entrer en relation avec les acteurs, de nous familiariser avec leur

vocabulaire, leurs représentations. Précisons le statut conféré dans le cadre de cette recherche aux discours des acteurs. Ces discours ne révèlent pas une vérité qu’il s’agirait de découvrir, mais plutôt l’expression des représentations profondément ancrées, d’associations d’idées, de liens établis pour donner du sens.

Si les pratiques n’ont pu être observées que dans le temps de l’immersion sur le terrain, le reste des données ont été reconstituées par le recueil d’archives. Les sources d’information s’amenuisent bien entendu en remontant le temps. Le Tableau 5 ci-après rapporte la période couverte dans les études de cas, c’est-à-dire la période pour laquelle nous avons rassemblé un matériau empirique.

Informations sur : Ouganda Cambodge

Contexte historique/politique 1856-2013 Construction du champ

Construction de l'organisation

Programmes de financement de l'organisation

1984-2013

Management de l'organisation 1998-2013 Systèmes de contrôle de gestion (conception) 2000-2013

1993-2011

Image de l'organisation dans la presse 2002-2013 2011

Tableau 5 : Période temporelle couverte dans les études de cas par type d’information recherchée 2.2 L’approche ethnographique

Nos études de cas se fonde sur une enquête de type ethnographique. L’ethnographie désigne un mode d’accès à la connaissance de construits sociaux en étant au plus près des acteurs grâce à l’immersion dans leur réalité. Ce type d’approche permet de rendre compte d’une réalité sociale dans toute sa complexité. L’immersion dans une organisation est également une façon d’en saisir les ambigüités, les contradictions et les tensions. Selon Béaud et Weber (2010, p. 6), une enquête est dite ethnographique si elle répond aux trois conditions suivantes : « présence longue sur place, établissement de relations de proximité et de confiance avec certains enquêtés, écoute attentive et travail patient de plusieurs mois ou de plusieurs années. » (Beaud, Weber, 2010, p. 6). Nous devions pouvoir être au plus près des pratiques organisationnelles, afin de saisir les institutions qui les fondent et les guident.

Le but de l’ethnographie n’est pas de porter un jugement, mais de comprendre « en rapprochant le lointain, en rendant familier l’étranger. » (Beaud, Weber, 2010, p. 7) « L’ethnographe est par définition celui qui ne se contente pas de visions en surplomb, qui ne se satisfait pas des catégories déjà existantes de description du monde social (...). Il manifeste un scepticisme de principe à l’égard de analyses « généralistes » et des découpages préétablis du monde social. L’ethnographe se réserve le droit de douter a

priori des explications toutes faites de l’ordre social. Il se soucie toujours d’aller voir de

plus près la réalité sociale, quitte à aller à l’encontre des visions officielles, à s’opposer aux forces qui imposent le respect et le silence, à celles qui monopolisent le regard sur le

monde. » (Beaud, Weber, 2010, p. 8). C’est ce pouvoir critique de l’ethnographie qui nous a inspiré et guidé dans notre relation avec le terrain.

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