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logique de marché

Section 1 Le processus d’institutionnalisation de la logique de marché

2 La période 000 004 : l’introduction des contrats de performance pour gérer un conflit institutionnel

2.3 La nomination en 1998 d’un DG porteur d’une culture conforme à la logique dominante

Par ailleurs, en 1998, le DG Hilary Onek avait été démis de ses fonctions (Abbey, 1998) et remplacé par William Muhairwe, précédemment DG de l’East African Steel Corporation et docteur en économie. Dans un contexte global favorable à la privatisation, le nouveau DG avait la conviction que le NWSC ne pourrait pas survivre sans être géré comme une entreprise privée (Muhairwe, 2009). Dès son investiture, Muhairwe affirma publiquement sa volonté d’introduire un véritable changement institutionnel. Selon lui, les pratiques associées aux logiques de la religion et de la famille perduraient et cela expliquaient l’inefficience de l’entreprise publique (The New Vision, 1998b). Muhairwe arriva donc à la tête du NWSC avec le projet d’en changer la culture en s’inspirant du modèle de grandes entreprises privées. Inspiré par quelques best-sellers du management96, il promut

l’introduction de pratiques managériales à succès aux Etats-Unis (Muhairwe, 2009). Pour

96 Muhairwe cite cinq sources d’inspiration dans son livre publié en 2009 : « Jack Welch: The GE

Way » by Robert Slater, « Who Moved My Cheese? » by Spencer Johnson, « One Minute Manager Builds High Performing Teams » by Blanchard, K., Carew, D. and Carew, E.P. (2000), « Leadership and the One Minute Manager » by Blanchard, K., Zigarmi, P and Zigarmi, D. (2001),

lui, la gestion d’un service public d’eau n’était pas différente de celle de n’importe quelle entreprise du secteur marchand. Il suffisait de produire plus pour vendre plus pour gagner plus.

Dans son livre qui raconte son parcours à la tête du NWSC, il décrit l’entreprise idéale qui doit avoir selon lui les sept caractéristiques suivantes :

- dynamique, c’est-à-dire qui ne stagne pas, grâce à sa capacité à innover et à être réactive, propriété illustrée par le slogan très employé : « Seul le changement est constant »97,

- bénéficiant d’une bonne image, grâce à un personnel agréable, bien habillé, des locaux propres et confortables,

- au service client à l’écoute et efficace,

- capable de promouvoir ses bons éléments et de reconnaître ses talents, de se former,

- qui apprend, en faisant notamment de la recherche mais aussi par des forums de discussion internes,

- qui diffuse son savoir faire,

- qui maîtrise sa performance et a une vision claire de ses objectifs.

Cette vision du management s’inscrivait en opposition au modèle bureaucratique. Dans l’imaginaire collectif ougandais post programme d’ajustement structurel et post dictature, la bureaucratie renvoyait à l’administration corrompue, tandis que l’entreprise privée était associée à l’idée de progrès. Le programme de Muhairwe offrait alors une alternative crédible à la privatisation à une époque où le secteur public était considéré comme la principale cause des difficultés du pays.

Une des représentations de la culture bureaucratique est donnée par Muhairwe dans sa description du NWSC à la fin des années 1990 :

« (...) la culture d’entreprise restait emprisonnée par des décennies de mentalité je-m’en-foutiste. Retards, attitude négligée, alcoolisme, commérages, copinage par ethnie, copinage, insubordination et absentéisme, pour n’en citer que quelques uns, étaient à l’ordre du jour. »98 (Muhairwe, 2009, p. 23)

Ainsi « il n’y a pas de bureaucratie au NWSC »99 est un leitmotiv souvent entendu dans

les couloirs de l’organisation (observation, 2010).

Muhairwe a aussi porté l’idée que la profession des ingénieurs était dans l’incapacité de

97 Traduction libre de : « Only change is constant »

98 Traduction libre de : « (…) the corporate culture remained trapped in decades of an ‘I-don’t-care’

mentality. Coming late, shabbiness, drunkenness, rumour mongering and gossiping, ethnic- based cliques, godfathering, insubordination and absenteeism, just to give some examples, were the order of the day. » (Muhairwe, 2009, p. 23)

bien gérer. Son discours managérial s’est donc construit en déniant aux ingénieurs la légitimité à occuper les postes de management au sein de l’organisation. La vision de l’ingénieur devait devenir une institution dépassée. Pour Mugisha, ingénieur senior du NWSC alors bras droit du DG, c’est parce que le NWSC a réussi à dépasser ce qu’il appelle « l’approche ingénieur » pour adopter une approche managériale et orientée clientèle que le service d’eau a réussi sa réforme (Mugisha, 2006).

« Je démontre à partir de faits empiriques que rééquilibrer l’orientation ingénierie par une orientation commerciale améliore de façon significative la performance » (Mugisha, 2006, p. 2).

Pour illustrer le balancement de la logique technique à la logique de marché, citons Muhairwe qui raconte la façon dont les premiers objectifs de l’organisation ont été fixés quelques mois après son arrivée. Il rapporte en particulier un échange avec un ingénieur senior :

« En tant qu’ingénieur de l’eau, il soutenait que le Programme devait être consacré à la production d’eau et à la distribution, ainsi qu’à la réduction de l’eau non facturée. Si j’étais d’accord sur le fait que ces domaines méritaient attention, étant économiste et hommes d’affaires, j’étais plus intéressé à l’aspect financier du business de l’eau. Pour cette raison, j’ai insisté pour que l’augmentation des recettes, la réduction des coûts, et par dessus tout, le service client soient au cœur de ce programme urgent. »100 (Muhairwe, 2009, p. 28)

Nous distinguons un axe managérial et un axe commercial dans son discours. Sur le plan managérial, il insiste sur le rôle du manager pour trouver les solutions aux problèmes de l’entreprise. Le manager, pourvu qu’on lui en donne les moyens, est celui qui va apporter des innovations. Ce sont les primes financières et le goût de la compétition qui motivent le manager. Le manager doit aussi s’approprier les outils de management modernes. Ainsi, faire des « business plan », avec des « SMART101, targets » en s’appuyant sur des

« SWOT102 analysis » va devenir une pratique de routine. Un nouveau lexique centré sur

l’idée de la capacité d’innovation attendue des managers à qui l’organisation donnait la chance d’exprimer leur talent, va se diffuser : « to re-energize », « to re-engineer », « the new innovation » (nombreuses citations dans les documents internes et lors de la

100 Traduction libre : « As a water engineer, he argued that the Programme should focus on water

production and distribution as well as on the reduction of NRW. While I agreed that these areas deserved attention, as an economist and business manager, I was more interested in the money side of the water business. For this reason, I insisted that revenue generation, cost reduction and, above all, customer care should be at the heart of this emergency programme. » (Muhairwe, 2009, p. 28)

101 Le terme SMART est un « adjectif mnémotechnique » utilisé dans le management. S pour specific (spécifique), M pour measurable (mesurable), A comme achievable (atteignable), R

comme relevant (pertinent), T pour time-bound (dimension temporelle).

phase d’immersion en 2010).

L’axe commercial va donner du sens à l’engagement des agents du NWSC. Comme toute entreprise privée, le NWSC se devait d’abord de servir ses clients.

« Le client devait être le point focal autour duquel toutes nos ressources, nos activités opérationnelles et nos efforts de gestion devaient se concentrer sous la bannière de l’accroche bien connue ‘‘le client a toujours raison et est la raison de notre existence.’’»103 (Muhairwe, 2009, p. 48)

Il lança alors un défi (l’épreuve des 100 jours) : prouver qu’il était capable de redresser la performance de l’entreprise publique grâce à ses techniques de management. Le NWSC n’aurait pas besoin de l’expertise du privé pour devenir une entreprise moderne compétitive et assainir ses finances. Les programmes menés entre février 1999 et août 2000, « 100 Days » et « SEREP », ont rendu visible une évolution de la performance organisationnelle (voir Tableau 19 et Tableau 20). Ces programmes s’appuyaient sur des techniques de management issues du secteur privé, et visaient à moderniser la gestion de l’organisation publique. C’est sur la base de la mise en visibilité de l’amélioration de la performance de l’opérateur public que le Gouvernement, assisté par les organismes d’aide au développement, a motivé sa décision de différer le projet de privatisation du NWSC en 2004 (Muhairwe, 2009).

Années Nom du Programme / Outil de management

Février à mai 1999 « 100 Days Programme » (Programme des 100 jours)

Août 1999 à août 2000 « SEREP » : SErvice and Revenue Enhancement Programme (Programme de l’amélioration du service et des recettes) 2000 à 2003 Area Performance Contract (APC)

(Contrats de performance des Agences) 2002-2003 « Stretch-out » Programme

(Programme de dépassement des limites) Depuis juin 2003 « One-Minute » management programme

(Le programme du management « une minute »)

Depuis 2004 Internally Delegated Area Management Contract (IDAMC)

(Contrats internes de gestion déléguée des agences)

Tableau 19 : Chronologie des programmes d’amélioration de la performance au NWSC de 1999 à 2010 (Source : d’après Muhairwe, 2009)

103 Traduction libre de : « The customer was to be the focal point around which all our resources,

operations and management efforts would rotate under the often quoted catchphrase ‘the customer is always right and the reason we exist » (Muhairwe, 2009, p. 48).

Indicateurs de

performance Unité (février 1999) Performance Cible 100 days

Performance après 100 days (juin 1999) Cible SEREP Performance après SEREP (juin 2001) Pourcentage de perte d’eau % 55 45 46 32 43 Productivité du personnel : nombre d’employés pour 1000 branchements nombre 36 32 27 18,5 18 Pourcentage de recouvrement des factures % 60 96 96,2 100 89,3 Pourcentage de branchements équipés de compteurs % 78,1 85 80,7 100 85 Délai de prise en charge des fuites h > 48 < 24 36 - 48 < 24 n.d. Taux d’utilisation de la capacité de production d’eau potable % 58 68 59 72 65 Marge d’exploitation mensuelle million d’Ushs - 348 300 350 630 250 Nombre d’agences rentables nombre 3 5 5 6 7

Tableau 20 : Evolution de la performance du NWSC pendant les programmes 100 days et SEREP (février 1999 et août 2000) (Source : Muhairwe, 2009)

2.4 L’introduction des contrats de internes de performance : à recherche

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