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institutionnelle : une approche critique du contrôle de gestion

Section 2 L’analyse institutionnelle dans la discipline du contrôle de gestion.

Cette section dresse le paysage des questions et résultats de la recherche en contrôle de gestion mobilisant la SNI. Elle propose dans un premier temps de définir ce que nous entendons par systèmes de contrôle de gestion (1). Les deux parties suivantes s’appuient sur des travaux principalement de nature empirique pour présenter une image de ce courant.

La deuxième partie (2) présente les travaux qui nous semblent illustrer cette approche. Enfin, la troisième partie s’intéresse à un ensemble de travaux plus marginaux qui explorent la dimension institutionnelle du contrôle de gestion, et l’intégration de cet objet dans l’analyse du changement institutionnel (3).

1 Les systèmes de contrôle de gestion : un objet dont la

définition varie selon l’approche théorique

Cette partie propose de définir le contrôle de gestion et les systèmes de contrôle de gestion. Elle explore deux types d’approches théoriques pour construire ces définitions : les approches fonctionnalistes (1.1) et l’approche institutionnelle (1.2).

1.1 Les approches fonctionnalistes du contrôle de gestion : un objet multiforme

Avant d’être une discipline académique, le contrôle de gestion a d’abord été une pratique organisationnelle qui s’est développée dans des grandes entreprises nord-américaines au début du XXème siècle (Bouquin, 2008). L’ouvrage d’Anthony (1965) marque la naissance

du contrôle de gestion en tant que discipline académique. La définition de ce qu’est le contrôle de gestion dépend cependant du cadre théorique avec lequel cet objet est étudié.

Le modèle dominant de la recherche en contrôle de gestion nord-américain repose sur une série d’hypothèses issues de théories économiques fondées sur l’individualisme méthodologique, et notamment de la théorie de l’agence. Ces théories conçoivent l’organisation comme un nœud de contrats où les agents sont opportunistes, et dont le but essentiel est la maximisation du profit (Morales, Sponem, 2009). Dans cette perspective, le contrôle de gestion est réduit à une technique dont l’objectif est de faire converger les comportements des individus avec les objectifs de l’organisation. Cela définit un type d’approche que l’on appelle fonctionnaliste18 dans laquelle le contrôle de gestion sert deux fonctions : l’aide à la décision et la gouvernance (Bouquin, 2008).

Les recherches se sont concentrées sur des problématiques techniques. Mais à partir des années 1980, le contrôle de gestion est inséré dans un cadre plus large, celui du contrôle organisationnel et du management. Ses contours en deviennent plus flous (Bouquin, 2008). « Le contrôle de gestion est une réalité distincte de ce que font les contrôleurs de gestion. Si le contrôle de gestion n’est pas assimilé à l’activité du contrôleur de gestion, il est une construction, une catégorie de la pensée managériale, sinon, pour partie, de son idéologie. Quelles sont les instances, les processus, les circonstances qui l’ont fait apparaître ? Où, quand, comment, pourquoi ? Et s’il n’était qu’une virtualité pour académiques ? » (Bouquin, 2008, p. 178). L’auteur explicite les ambiguïtés autour de l’expression « contrôle de gestion ». Il définit alors quatre fonctions types du contrôle de gestion, suivant l’acception donnée à la notion de contrôle et à celle de gestion. Le contrôle désigne à la fois l’idée de maîtrise : « orienter les comportements » et l’idée de surveillance, vérification : « mettre sous contrôle ». L’expression gestion peut soit se référer à l’activité de gestion d’un budget, ou à la notion plus large de management, qui consiste à « faire agir les autres ». Ainsi, le contrôle de gestion recouvre aussi bien l’activité de « surveillance » des choix du gestionnaire (par exemple contrôle des dépenses) qu’une conception managériale large consistant à la fois à orienter les comportements, à décider et à aider à la décision.

Toujours dans le courant fonctionnaliste, les auteurs ont successivement proposé de nouvelles conceptions du contrôle de gestion (Anthony, 1965 ; Ferreira, Otley, 2009 ; Otley, 1999 ; Simons, 1995). Au fil du développement de ces travaux, la notion de contrôle de gestion s’est ainsi enrichie et sophistiquée, le contrôle de gestion étant de plus en plus vu comme un dispositif imbriqué dans plusieurs aspects de la vie organisationnelle (stratégie, systèmes d’information, allocation des ressources, gestion du personnel, structure organisationnelle, culture organisationnelle, environnement organisationnel). Ceci renvoie à l’idée développée par Bouquin que le contrôle de gestion dans une perspective étendue fait partie intégrante du management au sens large de l’organisation dont il est indissociable. Le contrôle de gestion ne peut pas être ainsi réduit à un simple outil technique, comme un tableau de bord, ou une méthode d’analyse de coût. On peut l’étendre aux formes qu’il peut prendre et aux modes d’action qu’il met en œuvre dans une conception large. Abernethy et Chua (1996) dans leur étude sur l’émergence de nouvelles formes de contrôle dans un hôpital australien, définissent un « control mix » ou « package » qui comprend des éléments formels et informels, des informations financières et non financières, des instruments comptables et non comptables. Le point commun de ces dispositifs est d’avoir été conçus pour augmenter la potentialité d’alignement des comportements dans l’organisation. Pour ces auteurs, le

control mix comprend un ensemble de mécanismes qui peuvent être de type

directe, budget, mesure de la performance, système d’incitation, de gouvernance, de reddition de comptes » et des mécanismes informels (recrutement, formation et processus de socialisation) utilisés pour « influencer les comportements et créer les changements culturels désirés. » (Abernethy, Chua, 1996, p. 573). Ils soutiennent que les différentes formes de contrôle ne forment un package cohérent que si elles sont conçues pour atteindre des objectifs similaires. Les auteurs ont retenu trois éléments clés des systèmes de contrôle : la structure de gouvernance, les outils du contrôle et les processus associés au développement de la culture de management.

Ainsi, le contrôle de gestion devient de plus en plus difficile à définir a priori. On peut le caractériser comme un ensemble d’artefacts et de pratiques, formels et informels, qui ont été conçus pour influencer le comportement des membres d’une organisation, et produire des informations sur les processus et les performances organisationnelles. Deux points communs entre toutes les formes prises par le contrôle de gestion : l’objectif officiel de contrôle et le fait qu’elles renvoient toujours à une évaluation de la performance. Pour marquer cette pluralité formelle, nous préférons parler de systèmes de contrôle plutôt que de contrôle de gestion en ce qu’un système réfère à des objets, des pratiques et des normes qui font sens pris dans leur ensemble.

1.2 Une approche institutionnaliste du contrôle de gestion

Si l’approche fonctionnaliste domine encore largement la discipline (Berry et al., 2009 ; Lukka, 2010 ; Merchant, 2010 ; Morales, Sponem, 2009), la SNI est très utilisée dans la discipline du contrôle de gestion et représente le courant alternatif dominant. Ce courant a redonné un nouveau souffle à la discipline, qui souffrait d’être considérée comme réduite à des problématiques purement techniques, étroites et limitées (Carruthers, 1995 ; Morales, Sponem, 2009 ; Naro, 2010). La SNI a contribué à développer une recherche critique qui a remis en question les présupposés sur lesquels le contrôle de gestion a été fondé.

La SNI est mobilisée dans le champ du contrôle de gestion depuis les années 1980. Hopwood et Miller décrivent un tournant de la recherche académique dans le champ de la comptabilité (dont le contrôle est une sous discipline) dans leur ouvrage « Accounting as

social and institutional practice » (Hopwood, Miller, 1994). Parmi les articles qui marquent

selon eux ce tournant, ils citent par exemple l’article de Berry et al. (1985) qui analyse la façon dont le contrôle de gestion était utilisé au sein du National Coal Board du Royaume- Uni. Ils ont montré l’influence dominante de la culture et des traditions dans les pratiques. Le maintien d’une certaine ambigüité des systèmes comptables servait à donner des marges de manœuvre aux acteurs de l’organisation et répondre ainsi à des demandes multiples émanant dans ce cas du syndicat et du gouvernement. Carpenter et Feroz

(1992) ont montré, quant à eux, que l’adoption du système de reporting financier dans l’Etat de New York répondait avant tout à une quête de légitimité. Il n’y a pas de preuve qu’elle ait changé les pratiques. Ce type de travaux dénotait avec le courant dominant dans la discipline à l’époque, en remettant en question l’idée que le contrôle de gestion puisse être utilisé pour des fins différentes de celle de l’alignement des comportements et de la recherche d’efficience.

Avec l’émergence de ces travaux, la comptabilité n’est plus comprise comme une simple technique neutre, mais comme une pratique visant à agir sur le monde, à la fois ancrée dans un contexte socio-organisationnel donné mais capable aussi en retour de structurer ce même contexte socio-organisationnel, donc une pratique à portée institutionnalisante. Selon Miller, « la comptabilité peut aujourd’hui être vue comme un ensemble de pratiques qui affectent le monde dans lequel nous vivons, le type de réalité sociale que nous vivons, la façon dont nous comprenons les choix des entreprises et des individus, la façon dont nous gérons et organisons les activités et les processus de toutes sortes, et la façon dont nous administrons la vie des autres et de nous-mêmes. »19 (Miller, 1994, p. 1).

La mobilisation de la SNI a connu un réel essor dans la littérature en contrôle de gestion après la publication de l’article de Carruthers (1995) dans la revue Accounting,

Organizations and Society. Carruthers questionne la vision dominante du contrôle de

gestion comme un simple outil d’aide à la décision pour lequel la principale problématique de recherche serait de le rendre fiable et adapté à la réalité économique et organisationnelle. Il interroge notamment le recours à la comptabilité et à ses usages en mobilisant la SNI. Pour lui, cette approche autorise à voir la comptabilité non comme un simple outil technique mais comme l’une des structures formelles porteuses de sens, qui permettent aux organisations de gagner de la légitimité en leur donnant l’air d’être plus rationnelles et efficientes. Conformément aux interprétations de la SNI, la mise en place d’un phénomène de découplage entre l’adoption affirmée d’un système comptable et la faiblesse de son impact sur la réalité organisationnelle pourrait être observée. Ainsi, les systèmes de contrôle de gestion seraient « la quintessence du mythe rationnel » (Carruthers, 1995, p. 326). Le recours à et l’usage du contrôle de gestion, qui se donne pour objectif une rationalisation technique et économique, reflèterait en fait une quête de légitimité de l’organisation pour montrer à son environnement qu’elle est bien gérée. Une bonne gestion renvoie alors à celle qui se conforme aux prescriptions du champ auquel appartient l’organisation (Meyer, Rowan, 1977).

Le contrôle de gestion fait partie du langage de la comptabilité (Carruthers, 1995).

19 Traduction libre de : « Accounting can now be seen as a set of practices that affects the type of

world we live in, the type of social reality we inhabit, the way in which we understand the choices open to business undertakings and individuals, the way in which we manage and organize activities and processes of diverse types, and the way in which we administer the lives of others and ourselves. »

Comme tout discours, dans sa dimension discursive, il exprime de façon abstraite une institution. Et par conséquent, il est lui-même vecteur d’institutions dans une organisation. Il permet d’internaliser dans l’organisation des systèmes de valeurs légitimées dans son environnement. Le contrôle comme la comptabilité reflète et participe à la construction de représentations du monde. En cela, comme la culture et les institutions, le contrôle de gestion porte une dimension cognitive, véhicule des normes de comportements et de règles contraignantes. Il devient un élément référentiel et coercitif de l’organisation. A la suite de Meyer et Rowan (1977), la comptabilité serait considérée comme une idéologie.

Conclusion de la partie 1 de la section 1 :

Le contrôle de gestion est fondé sur la théorie de l’agence et sur une vision fonctionnaliste de l’organisation, c’est-à-dire l’organisation comme moyen d’atteindre des objectifs. Il vise l’alignement des objectifs à atteindre au sein de l’organisation. Sur le plan formel, il est protéiforme ; c’est pourquoi nous avons choisi d’y référer en mobilisant l’expression : systèmes de contrôle de gestion. La mobilisation de la SNI dans les années 1990 a participé à la révision de la définition de cet objet. Considéré comme un artefact socio-construit, il se comporte comme un mythe rationnel, intégrant une dimension coercitive (changer les comportements), normative (importer une norme de comportement) et cognitive (véhiculer des représentations sur ce qu’il est légitime de faire). Par conséquent, les systèmes de contrôle de gestion sont des objets pertinents à étudier par le prisme de l’analyse institutionnelle.

2 Les principaux résultats des analyses institutionnelles

appliquées à la discipline du contrôle de gestion

Cette partie propose une revue de littérature sur la façon dont la SNI a été mobilisée dans la discipline du contrôle de gestion (voir Encadré 1 pour les éléments de méthode). Les analyses institutionnelles dans la discipline du contrôle de gestion ont principalement porté sur trois thèmes : le découplage consécutif à l’adoption de nouveaux systèmes de contrôle de gestion (2.1), l’influence des conflits d’intérêt et des rapports de pouvoir sur la conception des systèmes de contrôle de gestion (2.2) et l’évolution des systèmes de contrôle de gestion après leur intégration dans les organisations (2.3). Nous en présentons les principaux résultats.

Le but de cette revue de littérature est de recenser les questions abordées dans la recherche en contrôle de gestion mobilisant la SNI. Nous nous sommes focalisés sur les recherches portant sur les organisations publiques qui sont au cœur de notre travail. Nous avons d’abord sélectionné les principales revues de la discipline du contrôle de gestion qui s’intéressent aux approches critiques et qualitatives du contrôle de gestion :

Financial Accountability & Management, Management Accounting Research, Accounting Organizations, and Society, Accounting, Auditing and Accountability Journal, Critical Perspectives on Accounting, Comptabilité, Contrôle, Audit. La recherche sur Internet par

mots clés (management accounting, control, public, institutionnalisation, decoupling,

institutions) nous a permis d’identifier 51 articles dans le courant de la SNI faisant

référence aux articles fondateurs. Si une grande partie de ces articles sont des études de cas, quelques articles se consacrent à une revue de la littérature sur la SNI ou proposent des cadres d’analyse.

Encadré 1 : Méthode employée pour la revue de littérature sur la mobilisation de la SNI dans la discipline du

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