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institutionnelle : une approche critique du contrôle de gestion

Section 3 Le cadre d’interprétation

2 Conceptualiser les systèmes de contrôle de gestion comme des outils de gestion

Comme le montre notre revue de littérature, les systèmes de contrôle de gestion ne sont pas des objets conceptualisés dans la sociologie néo-institutionnelle. Dillard et al. (2004) les ont assimilés à des pratiques organisationnelles. Les caractéristiques de ces objets nous engagent toutefois à les distinguer de simples pratiques organisationnelles. La revue de littérature suggère en effet que les systèmes de contrôle de gestion sont des objets charnières entre institutions et actions. Comme le notent Thornton et Ocasio (2008), dans la théorie de la logique institutionnelle, aucun concept mobilisé dans l’analyse organisationnelle, tel que l’efficience, la rationalité, les valeurs, n’est neutre, mais doit être compris dans son contexte institutionnel. Reposant sur le concept de performance, les systèmes de contrôle de gestion sont ainsi institutionnellement ancrés. Dans leur formalisation, c’est-à-dire dans leur dimension concrète et discursive, ils expriment la façon dont la demande institutionnelle est traduite, et sont le reflet des

influences réciproques des différentes logiques. Par ailleurs, les travaux mobilisant le cadre de Hasselbladh et Kallinikos (2000) (Ancelin-Bourguignon et al., 2013 ; Dambrin et al., 2007) conceptualisent les systèmes de contrôle de gestion comme le fruit de la traduction de concepts vagues correspondant à la dimension abstraite de la logique qu’ils portent. Ils contribuent à définir comment la logique doit être matérialisée. En cela, ils structurent le développement des pratiques, ainsi que les rôles organisationnels.

Nous proposons donc de conceptualiser les systèmes de contrôle de gestion comme des objets à part dans l’analyse institutionnelle. La particularité de cet objet est d’être intimement lié aux institutions, qu’il reflète, aux pratiques, qu’il est censé structurer, et, enfin, à une structure organisationnelle, qu’il contribue à définir (Gond et al., 2013). Comme évoqué dans la section 2, le contrôle de gestion est protéiforme, ce qui nous a conduit à utiliser l’expression de systèmes de contrôle de gestion. En réduisant le spectre des systèmes de contrôle de gestion possibles aux artefacts formalisés (tableaux de bord, mécanismes d’incitation à la performance, évaluation de la performance, benchmarking), nous proposons de l’analyser comme un outil de gestion, selon la grille proposée par Hatchuel et Weil (1992), et associée au courant institutionnaliste par Labatut et al. (2011). L’outil de gestion dans les organisations a été le point de focalisation d’une communauté de chercheurs en gestion en France dans les années 1980-90 (Berry, 1983 ; David, 1996 ; Moisdon, 1997). Ces travaux ont été inspirés par la pensée de philosophes tels que Michel Foucault (Surveiller et punir, 1975) et Gilbert Simondon (Du mode d'existence des objets techniques, 1958) qui se sont intéressés à l’influence de la technique et des dispositifs sur nos sociétés. Dans ce courant, le terme de mythe rationnel a été mobilisé pour montrer que l’outil de gestion est porteur d’une représentation idéale de l’action collective. Il est utilisé par exemple sous la forme d’une modélisation pour l’aide à la décision dans la recherche-intervention auprès des acteurs de l’organisation pour engager des réflexions sur leur pratiques (Hatchuel, Molet, 1986). Sans se référer explicitement à la SNI, ces auteurs avaient déjà établi le lien entre institutions, outils, organisation et pratiques. Hatchuel et Weil (1992) ont proposé une méthode d’analyse générique des outils de gestion. Selon eux, la conception des outils de gestion repose sur trois dimensions. La première est une philosophie managériale, qu’on pourrait associer à une (ou des) logique(s) institutionnelle(s). La deuxième est une représentation simplifiée des relations organisationnelles. L’outil de gestion est donc indissociable d’une structure organisationnelle. Enfin, la troisième est le substrat technique, qui renvoie à une dimension concrète et matérielle (un tableau de bord, une méthode de calcul des coûts, etc.). En tant qu’ensemble d’outils de gestion formalisés, les systèmes de contrôle de gestion dans la façon dont ils sont conçus reflètent des logiques institutionnelles qu’ils incarnent. Ils véhiculent ainsi des normes, des valeurs et des représentations. Ce que nous semble apporter l’étude de cet objet, c’est de pouvoir ouvrir

la boîte noire de l’organisation, pour comprendre d’une part comment les institutions, par le biais de cet objet, se matérialisent en structures organisationnelles, rôles et pratiques, et d’autre part comment les acteurs s’en saisissent pour influencer les institutions. La philosophie managériale, qui renvoie au discours managérial associé à l’outil de gestion, nous permet d’identifier les institutions que les outils véhiculent. La représentation simplifiée des relations organisationnelles reflète l’organisation idéale, c’est-à-dire légitime dans le champ, telle qu’elle est pensée par les acteurs. Le substrat technique montre enfin comment se matérialisent les logiques ainsi véhiculées. Nous distinguons les pratiques de contrôle de gestion (désignées par pratiques de contrôle) associées à la mise en œuvre des systèmes de contrôle (non limitée à la pratique des contrôleurs de gestion), et les pratiques opérationnelles (essentiellement techniques et commerciales pour un service public d’eau urbaine) que les pratiques de contrôle sont censées influencer. Les systèmes de contrôle de gestion, conceptualisés comme des outils de gestion, jouent ainsi un rôle pivot entre dimension abstraite et matérielle d’une logique institutionnelle. Par rapport à la dimension abstraite d’une logique institutionnelle, ils transforment les intentions en objectifs opérationnels et en points de focalisation des pratiques. Par rapport à la dimension matérielle, ils visent à changer les pratiques par les dispositifs d’incitations. Du fait de leur dimension institutionnelle, les outils de gestion s’apparentent à un mythe rationnel (Meyer, Rowan, 1977).

Conclusion de la partie 2 de la section 3 :

Cette deuxième partie propose de conceptualiser les systèmes de contrôle de gestion comme des outils de gestion (Hatchuel, Weil, 1992), donc comme un objet à part entière dans l’analyse institutionnelle.

Conclusion de la section 3 :

Le cadre d’analyse du changement institutionnel s’appuie sur le modèle de changement institutionnel proposé par Greenwood et al. (2002), enrichi par le modèle de Dillard et al. (2004) dans le principe d’une analyse multiniveau, et intégré dans la théorie de la logique institutionnelle. Il invite à s’interroger sur les interactions entre changements institutionnels aux différents niveaux d’analyse (société, champ organisationnel et organisation), et notamment, sur la façon dont le changement institutionnel qui se produit au niveau d’une organisation peut influer sur le changement institutionnel. Les systèmes de contrôle de gestion sont conceptualisés comme des objets à part, des outils de gestion (Hatchuel, Weil, 1992 ; Labatut et al., 2011 ; Nakhla, 2013).

Conclusion

La revue de littérature que nous avons présentée dans ce chapitre nous a permis de bâtir un cadre d’interprétation pour notre recherche. Nous avons d’abord cherché à comprendre les principaux concepts et modèles mobilisés par les institutionnalistes pour analyser le changement institutionnel. Ce cadre conceptuel permet d’analyser l’évolution d’un secteur en lien avec la diffusion d’idéologies, de croyances, de représentations, de normes et de règles, c’est-à-dire d’institutions, qui structurent les comportements organisationnels et individuels. Nous avons défini les concepts clés de champ organisationnel, mythe rationnel, changement institutionnel, travail institutionnel et logique institutionnelle. En revanche, nous avons montré que ce courant ne reconnaît pas les objets auxquels s’intéressent les chercheurs en sciences de gestion, que sont les outils de gestion, et plus particulièrement les systèmes de contrôle de gestion. L’analyse du rôle de ces objets, conceptualisés comme des artefacts par les institutionnalistes, c’est-à-dire comme des objets faits par l’Homme (par opposition aux choses naturelles), est cependant un thème de recherche émergent. La prise en compte de ces objets pourrait contribuer à avancer dans la définition ce qu’est la matérialité de logiques institutionnelles. La matérialité d’une logique renvoie actuellement aux structures et pratiques qui lui sont associées.

Dans un second temps, nous avons puisé dans les travaux de la discipline du contrôle de gestion mobilisant la sociologie néo-institutionnelle pour en saisir les grandes questions et les principaux résultats. Dans une tentative de définition du contrôle de gestion, nous avons mis en évidence le lien existant entre le contrôle de gestion et ses fondements théoriques, à savoir la théorie de l’agence (Jensen, Meckling, 1976) dans une vision fonctionnaliste de l’organisation. Nous avons également montré son caractère protéiforme, qui nous amène à utiliser l’expression : systèmes de contrôle de gestion. Dans une perspective institutionnelle en rupture avec l’approche fonctionnaliste, les systèmes de contrôle de gestion apparaissent comme « la quintessence du mythe rationnel » (Carruthers, 1995), c’est-à-dire des structures formelles qui sont diffusées dans un champ organisationnel pour légitimer les organisations. Depuis les années 1990, de nombreux travaux ont été menés, cherchant essentiellement à mieux comprendre en quoi, comment et avec quels effets sur les organisations, les systèmes de contrôle de gestion se diffusent. Plus récemment, quelques travaux tentent de relier ces objets à une dynamique institutionnelle. Ils ont exploré : les propriétés des systèmes de contrôle de gestion qui permettent à des acteurs de conduire un travail institutionnel (Modell, 2005b, 2009a ; Østergren, 2006), la façon dont les systèmes de contrôle de gestion peuvent contribuer à l’institutionnalisation d’une nouvelle logique dans un champ (Dambrin et al.,

2007 ; Château Terrisse, 2013), et enfin comment ils contribuent à renforcer les institutions de l’idéologie capitaliste (Dillard et al., 2004). Peu de travaux par contre ont mobilisé le concept de logique institutionnelle et le modèle de changement institutionnel de Greenwood et al. (2002). Ainsi, si la dimension institutionnelle des systèmes de contrôle de gestion est mise en avant, leur intégration dans les cadres les plus récents de l’analyse institutionnelle reste marginale.

La revue de littérature montre l’émergence d’une convergence des questions de recherche au sein de deux communautés bien distinctes : le rôle des artefacts dans la matérialisation des logiques institutionnelles et dans les dynamiques institutionnelles du côté des institutionnalistes, et la relation entre les systèmes de contrôle de gestion et le changement institutionnel du côté des chercheurs en contrôle de gestion. Par ailleurs, cette revue de littérature montre une relative homogénéité dans les champs organisationnels qui ont fait l’objet de recherche empirique. Nous n’avons pas identifié de travaux portant sur le secteur de l’eau urbaine et un faible nombre d’entre eux s’intéressent aux pays à faibles revenus.

Nous tirons de l’état de ces connaissances un cadre d’interprétation pour répondre aux questions de recherche que nous avons exposées dans l’introduction générale. Pour analyser la dynamique de changement institutionnel dans le secteur de l’eau urbaine, et notamment en Ouganda (notre première question de recherche), nous proposons dans un premier temps d’identifier le paysage institutionnel en nous référant aux logiques définies par Thornton et al. (2012). Dans un second temps, nous mobilisons le modèle de Greenwood et al. (2002), enrichi par celui de Dillard et al. (2004) et explicitement intégré dans la théorie de la logique institutionnelle (Thornton et al., 2012). Pour analyser le rôle des systèmes de contrôle de gestion dans la matérialisation des logiques institutionnelles, et notamment la logique de marché (notre deuxième question de recherche), nous proposons de conceptualiser les systèmes de contrôle de gestion comme des outils de gestion (Hatchuel, Weil, 1992). Cette grille d’analyse nous permet de relier l’ancrage institutionnel de ces outils de gestion, vecteurs d’institutions, à une organisation (structures) et à des pratiques, c’est-à-dire à la dimension matérielle des logiques. Ce lien est supporté par un substrat technique, qui est la formalisation concrète de l’outil de gestion. C’est par cette mise en évidence du lien entre institutions et actions, analysé par l’intermédiaire de l’outil de gestion, que nous explorons la façon dont les acteurs (organisations ou individus) se saisissent éventuellement des systèmes de contrôle de gestion pour conduire un travail institutionnel (notre troisième question de recherche). Cette grille d’analyse constitue le socle de notre travail d’interprétation.

Chapitre 2. Cadre conceptuel, épistémologie

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