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L’état africain décentralisé, entre « l’exis et praxis »

Paragraphe 1. Une approche diplomatique

A. Une indépendance programmée

L’idée d’un retrait totale du territoire, sans ingérence aucune, fut la stratégie menée par les britanniques et non par la France dont les écrits adoptaient plutôt les termes de « retrait »432, dans lequel les populations s’éveilleraient « peu à peu jusqu'à obtenir un niveau qui leur permettraient de participer à la gestion de leurs propres affaires »433. C’est par ailleurs, avec la motivation de ces possibilités que les tirailleurs sénégalais s’étaient sacrifié tant ils « rêvaient de paix et d’avenir pour leur enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants et pensant qu’en libérant la France, ils libéreraient aussi l’Afrique »434. Seulement, le mode utilisé servait les intérêts de la métropole animée par un souci de « maintenir dans la région une présence significative après l’indépendance »435. La principale raison de ce retrait et la plus importante

430

G. HESSELING, La réception du droit constitutionnel en Afrique trente ans après : quoi de neuf

?« Constitutionalism in Africa. A Quest for autochtons our principles », Rotterdam, Sanders Institut, 1996, p. 33-

47.

431

S. TORCOL, Les mutations du constitutionnalisme à l’épreuve de la construction européenne, Essai critique

sur l’ingénierie constitutionnelle, civ eur, n°9, septembre 2002, p. 21.

432

B. SAVAING, Pouvoirs anciens, pouvoirs modernes dans l’Afrique d’aujourd’hui, Éditions Presses Universitaire de Rennes, 2015, p. 20.

433

J- B DUROSELLE, Politiques nationales envers les jeunes États, A. Colin, 1964, p.183.

434

A. TRAORE, Lettre au Président des français à propos de la Côte d’Ivoire et de L’Afrique en général, Fayard, 2005, p.13.

435

171 fut d’abord son incapacité financière à s’occuper des anciennes colonies au sortir de la deuxième guerre mondiale. En effet, l’exploitation de ces terres nécessitaient un investissent premier nécessaire pour développer les cultures de café, cacao, canne à sucre ; exploiter les minéraux or, diamant, fer, manganèse et ensuite de transporter toutes ces produits, ces richesses dont regorgeaient les sols d’Afrique. La politique d’alors étant à la reconstruction de la France, tous les efforts et réserves économiques y avaient été consacré. Toujours très stratégiques et défendant leurs intérêts, la France avait mené cette politique de décolonisation, et qu’elle ait été octroyée par la violence ou par consensus, l’intérêt demeurait. Ce fut d’abord en planifiant la formation d’une élite africaine fortement inféodée à la métropole (1), et la vulgarisation d’accords de coopération militaire et de défense après les indépendances pour servir de bras séculier de la puissance étrangère sur ses anciennes colonies (2).

1. La formation des futures élites Africaines en France

Les nouveaux États africains furent bâtis sur les vestiges de l’administration coloniale tant au niveau de l’aménagement territoriale que de l’organisation politique. Plusieurs chefs d’État africain comme Félix Houphouët BOIGNY et Léopold Sedar SENGHOR ont été des députés à l’assemblée nationale française. Houphouët BOIGNY a même été désigné « comme le « super-intendant » aux côtés de Jacques FOCCART , le conseiller du général de Gaulle pour les affaires africaines436. En outre, il convient de noter que « les institutions de l'Union française [...] constituèrent des lieux d'apprentissage pour la classe politique en formation et des espaces de sociabilité pour les futurs dirigeants africains [...] qui purent y nouer des amitiés personnelles et des alliances politiques »437. D’ailleurs, grâce à la constitution de la IV ème République, la toute première représentation autochtone fut autorisée à jouer un rôle important dans l'affirmation de cette élite politique nouvelle. Les affaires locales se traitaient dans des assemblées territoriales que sont les (3) trois Grands Conseils à Dakar, Brazzaville et Tananarive. Les territoires d'outre-mer envoient en outre des représentants à l'Assemblée de l'Union française, au Conseil de la République et à l'Assemblée nationale (une vingtaine de députés en 1946). Si ces derniers interviennent surtout dans les débats qui portent sur les

436

A. TRAORE, op.cit., p.53.

437

M. MICHEL, « Décolonisation et émergence du Tiers monde », Revue d’Histoire Outres Mers, n° 306, 1995, p. 97.

172 colonies, « leurs votes s'avèrent souvent décisifs en politique intérieure, dans un Parlement où les majorités se font ou se défont à quelques voix près. Neuf d'entre eux sont membres du gouvernement (SENGHOR, Houphouët BOIGNY, Modibo KEÏTA, Hubert MAGA ...) à un moment ou à un autre, et trois se succèdent même à la vice-présidence de l'Assemblée nationale »438. Cependant, une fois aux affaires, la plupart des élites formées à l’école européenne se sont détournés des objectifs premiers qui étaient de défendre les intérêts des populations autochtones et de l’aider à s’émanciper. Il a même été fait mention, à quelques rares exceptions près, de dérives autoritaires dans le mépris des règles constitutionnelles et de protections des droits et libertés des individus. Qualifié de « démocratures »439, le chef de l'État africain a concentré progressivement tous les pouvoirs en minimisant le rôle des corps intermédiaires tels que les Assemblées, nationales, Conseils, ou autres syndicats. Pour Bernard BROZ (pas en lettres capitales dans le corps du travail) ce phénomène résulte de « multiples facteurs, pour partie légués par l'ère coloniale, pour un autre lié aux structures ethniques et sociales des pays considérés. L'absence d'une tradition étatique antérieure au sentiment national, la faible cohésion d'États pluriethniques, ou plurireligieux ancrés parfois dans un cadre territorial artificiel, l'apprentissage trop bref, voire inexistant ou manipulé, du débat politique, des masses rurales et urbaines peu alphabétisées, coiffées par une bourgeoisie avide de conquérir les places, sont autant d'éléments d'explications »440. De plus, la personnification du pouvoir s’est accompagnée de l’instauration du système de parti unique, véritable moyen de culte de la personnalité qui contribue à vider toute utilité du recours aux consultations électorales qui aboutissent à légitimer ce qu'il faut désormais appeler des dictatures. Pour justifier l'instauration du monopartisme, les dirigeants avançaient l'idée « qu'il est le creuset de la cohésion nationale indispensable au développement économique tant espéré »441. Les nouveaux dirigeants se sont donc appuyés sur une administration pléthorique qui lui était entièrement dévouée et très souvent recrutée dans l'entourage direct du chef de l’État. La corruption et le népotisme sont érigés en mode de gouvernement dans plusieurs pays. Face à l'instabilité et aux contestations que peuvent constituer ces errements du pouvoir politique,

438

B. DROZ, Histoire de la décolonisation, Paris, Seuil, 2009, p. 94.

439

L. JOFFRIN, La victoire des démocratures, Libération du 2 janvier 2017, p. 6.

440

B. DROZ, op. cit, pp. 155-156.

441

A. D. AMADY, Le parti unique et les pays d'Afrique noire. Le cas du Sénégal, Présence Africaine, vol. 185- 186, 2012, p. 199.

173 l'armée française s’est souvent illustrée comme une force de dissuasion efficace à disposition de la métropole pour protéger ou fragiliser les dirigeants politiques sous son giron.

2. La vulgarisation d’accords de coopération militaire

La vulgarisation des accords de coopération militaire en Côte d’Ivoire comme partout ailleurs en Afrique reposait sur un double fondement extra-juridique et juridique.

Pour ce qui est des fondements extra-juridiques, ils concernaient l’histoire et la politique. L’implantation de bases françaises en Afrique s’est faite à une période où les métropoles avaient décidé de se retirer du continent africain. Il s’est agi d’une approche globale dans laquelle s’inscrivaient tous les États africains qui ont accepté les liens militaires. L’armée ivoirienne à l’époque était principalement constituée d’officiers français. S’est alors développé chez les autorités ivoiriennes un souci de rénovation du corps militaire. Le rôle de ces troupes françaises était alors de former le nouveau corps de défense du pays et surtout de leur apporter leur expertise. En Autorisant l’installation de la base militaire sur son sol, l’État ivoirien s’est ainsi assuré l’obtention de certaines facilités nécessaires à la constitution d’une armée nationale, gage de sa sécurité intérieure et de l’intégrité de son territoire. Les objectifs des autorités ivoiriennes se résumaient essentiellement en la création d’une armée nationale aux effectifs certes modestes mais capables de remplacer les anciennes forces coloniales françaises.

L’accession à l’indépendance a donc nécessité une autre conceptualisation du système antérieur ; on est donc passé de l’intégration à la coopération entre l’État français et l’État ivoirien. Ce sont les accords entre ces deux États qui ont juridiquement caractérisé cette coopération. Sur le plan matériel, ce sont toutes les formes d’appui et de soutien logistique que l’État français entendait mettre à disposition de cette nouvelle armée que l’État de Côte d’Ivoire entend constituer. La jeune République qui, d’ailleurs, avait fort à faire pour réaliser son développement, n’entendait pas gaspiller ses ressources pour la mise sur pieds d’une armée nationale, l’ex-métropole se propose, à la demande de l’État ivoirien, de l’y aider. On a assisté alors à la mise en place d’un dispositif comprenant un échelon local d’unités françaises dont le nombre a régressé avec le temps en raison de son objectif de contribuer à la formation de

174 l’armée nationale442. En somme, la présence française s’analyse, de prime abord, comme une contrepartie destinée à doter le partenaire africain d’une armée capable de pourvoir à sa propre défense.

En revanche, comment oublier que lors d’une déclaration devant l’Assemblée nationale, le Président français Georges Pompidou, reprenant ainsi le Général De Gaulle, affirmait que « La France se doit de tenir une certaine présence politique, morale, militaire en Afrique »443, accréditant ainsi l’idée d’une approche néocolonialiste française. Cette approche a été développée par M. Emile Boga DOUDOU dans sa thèse de doctorat intitulé « Souveraineté et développement ». Il y défendait l’idée selon laquelle la présence militaire en Afrique constituait un facteur matériel de la dépendance des pays africains vis-à-vis de la France.

L’indépendance certes octroyée par la France à la Côte d’Ivoire lui a, en réalité, été imposée au regard de l’évolution des évènements. Indépendances et présence militaire se sont présentés comme un ensemble dont les composantes étaient indissociables l’une de l’autre, et qui ont été le prix à payer par les États africains en vue d’une véritable souveraineté. Encore, cette arnaque transcrite sous forme d’accord, en souligne le fondement sont les fondements juridiques des accords permettant l’installation des bases militaires françaises en Afrique.

Pour ce qui est des fondements juridiques de l’installation des bases militaires françaises en Côte d’ivoire, il émane du préambule de la charte des Nations Unies qui pose les principes élémentaires justifiant l’existence de garanties visant à favoriser la paix mondiale et justifiant, en conséquence, l’existence de base militaires dont celle de Port-Bouët en Côte d’Ivoire. En effet, les États membres de l’ONU (parmi lesquelles figurent la France et ses anciennes colonies) se disaient résolus à « préserver les générations futures du fléau de la guerre » (alinéa 1), à « vivre en paix l’un avec l’autre dans un esprit de bon voisinage » (alinéa 5) et à « maintenir la paix et la sécurité dans le monde » (aliéna 6). L’aliéna 5 constitue avec le suivant la seule disposition qui, fût-ce par périphrasait, ou renvoyait aux notions de relations amicales, de coopération internationale et de concertation sur lesquelles insistera l’article 1er de la charte.

442

M. LIGOT, La coopération militaire entre la France et les États africains et malgaches, Paris, La Découverte, 1964, p. 33.

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175 L’ONU dans sa mission d’assurer la paix dans le monde a ainsi encouragé les États membres à faire de même. La France s’est donc fondée sur ces considérations pour installer plusieurs bases militaires dans ses anciennes colonies ouest africaines. Pour elle, cette action constituait une aide à ces États nouvellement indépendants et une assurance de la paix tel que préconisé par l’ONU, qui dans le préambule de sa charte avait posé les bases de toute coopération et de tout accord visant à favoriser la paix mondiale444.

À cette fin, à partir de 1960, la France procédait aux négociations en vue de la conclusion d’accords de coopération avec ses colonies sur le continent ; mais les quatre chefs d’États du Conseil de l’Entente firent savoir au Général De Gaulle, le 3 juin 1960, qu’ils souhaitaient obtenir préalablement, le transfert des compétences communes à leur profit et la présentation de la candidature de leurs États à l’ONU445. Le gouvernement français donna suite aux intentions proclamées par les Chefs d’États du Conseil de l’Entente et, aussitôt, après leur accession à l’indépendance et leur admission à l’ONU le 21 septembre 1960, la décision d’ouvrir des négociations avec la France pour la conclusion d’accords de coopération fut annoncée par un message adressé au Général de Gaulle le 26 septembre 1960.

Il a fallu attendre une deuxième série de négociation à Paris du 17 avril 1961, pour que l’accord puisse se réaliser sur les points litigieux sans pour autant aboutir à une unité complète. C’est pourquoi, le 24 avril furent adoptés et signés, d’une part entre la France et chacun des États des accords de coopération en matière d’assistance militaire technique, d’autre part avec trois d’entre eux seulement dont la Côte d’Ivoire un accord de défense446.

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