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L’état africain décentralisé, entre « l’exis et praxis »

Paragraphe 2. Un enjeu géopolitique

Le contexte particulier de la Guerre froide a pour beaucoup, concouru à établir les positions des jeunes républiques indépendantes qui se sont orientées « politiquement vers l’un ou l’autre camp d’orientation très socialiste pour le Guinéen Sékou TOURE et le Malien KEÏTA, plus capitaliste pour l’Ivoirien Houphouët BOIGNY et le Sénégalais SENGHOR. »459. Dans la plupart de ces pays, le système de parti unique a été perçu comme le moyen approprié pour réaliser les orientations politiques promises aux populations (A). En même temps, force est de constater que le parti unique a surtout promu une patrimonialisation du pouvoir, bien loin des idéaux de la décolonisation (B).

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G. STEINMETZ, L'écriture du diable : discours précolonial, posture ethnographique et tensions dans

l'administration coloniale allemande des Samoa, Politix, vol. 17, no 66, 2004, p. 49-80.

Le pays du Congo fut divisé en trois parties, précisément : le Congo Léopoldville pris par les Belges, le Congo Brazzaville pris par la France et l’Angola qui appartenait historiquement au Portugal. Toutes ces régions formaient l’ex-royaume de Kongo ; Le 12 mai, le traité du Bardo fait de la Tunisie un protectorat français.

457Cité par B. GAILLARD , Ce jour-là : le 15 novembre 1884, la conférence de Berlin lance la colonisation à grande échelle de l’Afrique Jeune Afrique du 15 novembre 2016, p. 6.

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F. WODIE, Institutions politiques et droit constitutionnel en Côte d’Ivoire, Abidjan, PUCI, 1996, p. 60.

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A. Le parti unique : instrument de consolidation nationale

La décentralisation eu été entamée à cette époque avec la loi cadre de Gaston DEFERRE , théoriquement, le législatif était complètement soumis à l’exécutif. Et le parti au pouvoir le justifiait par la nécessité de construire rapidement une nation, urgence d’une politique volontariste et autoritaire pour sortir le pays du sous-développement »460. Cette idée n’avait pas été l’objet de contestation en raison de l’habitude des populations à être gouvernées. Aussi leur ignorance a été entretenue par les politiques qui avaient fait de la chose politique, un mythe. En effet, ceux-ci justifiaient ce choix par leur volonté de construire une véritable unité nationale sans pour autant tenir compte de la domination charismatique dont elle a été l’objet. Pour toutes ces raisons, les dirigeants trouveront dans le système de parti unique, le moyen d’asseoir leur domination sur le peuple. En effet, le parti unique « évite les cloisonnements fondés sur une base ethnique ou régionale. Il crée un réseau de fidélité et d’encadrement idéologique qui surmonte les différences ethniques et tente de créer une unité nationale. En l’absence d’une conscience nationale, le parti apparaît comme l’expression de la nation : l’appartenance au parti et la fidélité au parti sont alors le moyen d’accéder à l’unité nationale ». Les régimes politiques à parti unique ont été particulièrement répandus en Afrique subsaharienne dans les décennies ayant suivi la décolonisation, beaucoup des jeunes États africains ayant considéré ce système comme une « formule miracle » permettant de garantir la cohésion nationale et de donner une image de peuple uni et solidaire461. Dans la pratique, ces systèmes ont la plupart du temps abouti, sur le continent africain, à étouffer les divergences d'opinion.

Autour de l’idée de consolidation nationale, La diversité culturel qui en sommes constituent des atouts, vont être combattues comme toutes les autres règles et groupes traditionnels. Les autorités coutumières, qui sont le plus souvent les seules autorités locales reconnues par la population, sont alors considérées comme des instances féodales et arriérées. Elles sont officiellement exclues du processus de décision, ce qui entraîne déception et frustration. Dans plusieurs régions d’Afrique, notamment en Côte d'Ivoire, une certaine

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B. SALVAING, pouvoirs Anciens, pouvoirs modernes de l’Afrique d’aujourd’hui, Enquête et document, Presses Universitaire de Rennes, 2015, p. 51.

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M. KALIDOU BA, Le roman africain francophone postcolonial : Radioscopie de la dictature à travers une

180 acculturation est née de ce mode de gestion prônant le français comme langue nationale ce qui a vachement empiété sur le cours de la vie de cette population dans laquelle les coutumes sont balayées du revers de la main.

Selon l'interprétation de l’acculturation faite de certains auteurs, « l’interpénétration culturelle de deux sociétés nettement distinctes suite à leur rencontre »462 eu un choc obligeant le peuple plus faible à s'aligner sur les traditions de plus fort. C’est ce qu'a subi l'Afrique dont les bases coutumières ont évolué vers des formes de gouvernance méconnues. Aussi, si l’impopularité des régimes n’apparaît pas aussi rapidement et aussi fortement dans tous les pays, la déviance autoritariste, le caractère centralisé de l’État et la politique de continuité avec une partie des lois coloniales sont des constantes. À la fin des années 1980, la déception constitue un sentiment partagé par de nombreux peuples africains.

B. Une gouvernance à visée personnelle

Depuis les indépendances, les dirigeants des nouveaux États se sont présentés en dieux devant une population exempte de formation et de connaissance du domaine politique. Également, ceux-ci ont toujours caressé dans le sens du poil, cette mégalomanie présidentielle, celle qui leur avait valu toute puissance et toute gloire. En Côte d’ivoire par exemple, bien que les délits de presses soient dépénalisés, l’on est contraint de constater l’arrestation injustifiée de journalistes, menacés, souvent même portés disparus en raison, en raison de la gravité des accusations qui pèsent contre eux463. On pourrait dès lors légitiment se demander si l’Afrique a réellement rompu avec la glorification de ses dirigeants ? L’exemple ghanéen nous prouve que le chemin reste encore long et périlleux.

« Que Madame la ministre entreprenne l’achat de 116 bus en vue d’améliorer la circulation dans les grandes villes du Ghana, quoi de plus normal pour un membre du gouvernement en charge des transports. Qu’elle envisage, avec la société SMARTTYS Productions, un contrat de publicité pour rentabiliser le potentiel communicationnel de la carrosserie desdits cars, pourquoi pas ? Que ces supports publicitaires ambulants arborent les couleurs nationales et les

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M. De COSTER, Réflexions sur I 'acculturation, Le mois en Afrique, 1982, SY, p. 91-98.

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Affaire Guy-André Kieffer, journaliste disparu en 2004 et très probablement assassiné alors qu’il avait fait des recherches pointilleuses sur les détournements et le trafic d’arme alors que le pays était au bord d’une crise politico- militaire.

181 portraits d’anciens dirigeants ghanéens, passe encore, même pour une somme qui pourrait avoisiner plusieurs millions de cedis. Mais la polémique s’enflamma lorsque la groupie SMATTYS décida de placarder, sur une partie des bus, la photo du locataire de la présidence, John DRAMANI MAHAMA »464. Qui a oublié les pagnes représentant les 785 000 perles du manteau de l’empereur centrafricain BOKASSA Ier ?

C’est le genre de louanges graphiques qui mettaient mal à l’aise l’un des rares dirigeants africains qu’on ne pouvait taxer d’arrogance : Nelson Mandela. L’ancien président sud-africain circonscrivait autant que possible la frénésie marchande qui le faisait figurer sur des casquettes, des fanions, des bracelets de luxe et autres tabliers de cuisine465.

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