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L’état africain décentralisé, entre « l’exis et praxis »

Paragraphe 1. La légitimation du pouvoir

A. Les fondements traditionnels de légitimation du pouvoir

« Le peuple ne peut vraiment affronter son avenir sans une vision de son passé. Pour qu’il se sente concerné par l’avenir, il faut qu’il se sente héritier de passé »468 . Cette idée telle que formulée, démontre de la nécessité pour l’État africain de comprendre et se baser sur les structures politico administratives d’avant la colonisation afin de reformer, et d’entamer véritablement un processus de développement à son image. Il est par ailleurs assez judicieux de s’étendre dans la logique des auteurs qui prétendent que le continent africain se cherche. Bien loin de rester figée sur ces conceptions, « l’Afrique… adopte, remet en cause, suspend, abroge, puis renouvelle la constitution ; elle cherche sa voie… »469 . Et partout en Afrique, on

468

J. KI-ZERBO, Histoire de l’Afrique Noire, volume 4, Edition Présence Africaine, UNESCO, Paris, p.29.

469

M. A. GLELE, cité par Koffi AHADZI, « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : le cas des

183 est souvent confronté à ce problème. Cela est pour la plupart le résultat d’une incompatibilité morphologique des administrations de ce continent. En effet, le continent Africain, malgré sa relative jeunesse, ne date « ni des indépendances il y a une cinquantaine d’années, ni de la colonisation d’il y a près d’un siècle auparavant, ni avec la « découverte » de l’Afrique par les Portugais à la fin du XVe siècle »470 .

Pendant des siècles, elle a adopté diverses formes de gouvernance allant des plus tribales aux plus organisées, et dont une vision simple et homogène relève de l’impossible. Et Pourtant, cette partie de l’histoire de l’Afrique n’est que partiellement prise en compte d’une part, par les africains eux même, à cause de leur fort métissage de culture et de politique. Et d’autre part par les institutions internationales qui ont gardé dans leur vision, ces « contrées d’Afrique soumises à l’arbitraire des rois ou des roitelets »471 et dont le régime en place était celui de « despotisme »472. La raison en est que l’absence de sources écrites n’a pas permis aux historiens d’aujourd’hui de décrire avec minutie l’organisation existante post expansionnisme. Et cette tâche, malgré tout son intérêt s’est bien souvent montré assez difficile, étant donné la nature des sources utilisées.

Ce sont pour la plupart des sources orales dont le soin de rectification appartient aux traditionalistes ou ceux que nous désignons les connaisseurs473. Ceux-ci dans la société traditionnelle ouest Africaine, sont les gardiens des récits traditionnels et ont la charge de corriger les entorses faites à l’histoire et à ses règles. A partir de leurs apports et observations faites des crises traversées, de nombreux historiens ont essayé de décrire ce qu’était l’organisation africaine post coloniale et surtout de prouver qu’il y existait une forme importante de gouvernance. De cette documentation, nous retrouvons l’originalité de ces administrations traditionnelles existantes post-expansionnisme, à travers la légalité de ces pouvoirs ancestraux (1) et nous analyserons par la suite toutes les autres formes d'apports dont ils ont hérité (2). Cet exercice nous permettra de démontrer de la légitimité ou de la légalité de

470

C.COQUERY-VIDROCITCH, “Le postulat de la supériorité blanche et de l’infériorité noire”, Le livre noir du colonialisme. XVIè-XXIè siècle, (Marc Ferro éd.), Paris, Robert Laffont, 2003, p. 646-685.

471

C H. PERROT, pouvoirs Anciens, pouvoirs modernes de l’Afrique d’aujourd’hui, « le pouvoir du roi et ses limitations dans un royaume akan de côte d’ivoire », Presses Universitaire de Rennes, 2015, p70.

472

J. F. BAYART, l’État en Afrique, Fayard, 1989, p.122.

473

J. KI-ZERBO, la tradition orale comme source historiographique, The UNESCO courrier : A window open on the world, XLIII, 4, Paris, 1990, p. 43-46.

184 ce pouvoir face aux chefferies traditionnelles déjà existantes en Afrique et enfin d’évacuer la « question des territoires et l’importance que l’on pourrait accorder aux pouvoirs locaux »474.

1. Réflexion sur la légalité des pouvoirs ancestraux

De l’existence des empires anciens d’Afrique, nous faisons le postulat d’un continent puissant avec de vastes empires, qui sans notion de la république avait réussi une apogée visible que relataient les différents historiens qui se sont risqués à faire l’historiographie de l’Afrique pré coloniale. Les faits font état de « cet empire qui devait compter approximativement 4 000 (quatre milles) tours. La ville principale où le roi réside le plus souvent et où se tient la cour s’appelle Belmalechi et domine de multiples provinces qui ont chacune un roi ; l’État est riche, bien pourvu d’or, de pierres précieuses et de toutes sortes de métaux »475. En dehors de sa richesse apparente, le royaume était gouverné de façon rigide avec une organisation traditionnelle particulière. Formant une monarchie, presque dictatoriale, tout dans cet empire était organisé autour du roi qui était craint et vénéré de tous parce que son pouvoir était légitime. Cette légitimité lui venait des dieux et était approuvé par le peuple. Dans les royaumes anciens de l’Afrique subsaharienne, le pouvoir appartenait à une élite qui tenait sa légitimité de l’appartenance à la descendance des dirigeants. Le pouvoir restait toujours dans la même famille et le même clan. Ce modèle de gouvernance des royaumes survivra jusqu’à l’avènement de l’Islam.

2. Réflexion sur la légalité des autres modes d'intervention du pouvoir

Le pouvoir en Afrique a hérité de plusieurs modes d'intervention qui en ont modifié sa perception actuelle de la gouvernance. De façon chronologique, il s’agit de l’islam qui, à partir du XVème siècle, avait commencé son expansion à partir du nord de l’Afrique. C’est seulement à partir du XIXème siècle que le christianisme va se faire connaître et ensuite prendre les allures de l’impérialisme. En effet, au nom d’une réforme de la société, les communautés musulmanes

474

M. KOEBEL, pouvoir et démocratie locale, « De l'existence d'un champ politique local », Edition Réseau- Canopé, Cahier philosophique n°119, 2009, p. 24.

475

N. KOUAME, historiographie d’ailleurs. Comment écrit-on l’histoire en dehors du monde occidental ? Karthala, 2014, p. 25.

185 berbères qui convoitaient les richesses des empires décrétèrent la guerre sainte contre les royaumes animistes boréaux de l’Afrique de l’ouest. À partir de cette époque, la conquête est devenue un moyen d’accéder au pouvoir sans être de lignée royale. Toutefois le caractère légitime du pouvoir n’était pas pour autant mis en cause. En effet, les rois se convertissaient et adoptaient d’autres modes de gouvernance calquée sur le coran même s’ils continuaient d’avoir des pratiques coutumières. Les modes de gouvernance changeaient mais l’élu du peuple demeurait. Cela se faisant, l'assignement du peuple était plénier. Ce nouveau pouvoir était légal et bénéficiait d’une incontestable légitimation. De cette façon, la communauté africaine a commencé sa mutation vers d’autres modes de gouvernance, qui ont été greffées aux réalités traditionnelles de ces hordes. Cela était visible d’une part au niveau économique. Avec l’islam, l’organisation économique de ces royaumes, devenus des empires grâce à la conquête des autres territoires changea avec le commerce et bien d’autres activités affairant aux richesses de ces communautés. C’est le cas de l’empire Songhai du XIV siècle. Askia Mohammed alors empereur avait privilégié le commerce et aussi l’enseignement coranique. Ce qui fit la fortune et la célébrité des villes de Gao, Oualata et surtout Tombouctou et Djenné. L’empire était riche à cause de son élevage fructueux, de sa riziculture qui s’étendait sur de vastes domaines cultivés par des esclaves prélevés sur les populations vaincues et souvent offerts en cadeaux aux dignitaires et savants musulmans… Les royaumes vassaux payaient un tribut ce qui est de nos jours assimilé à toute forme d'impôt. L’Askia Mohammed détenait la production des mines d’or, le commerce des esclaves et du sel. Dans cet empire étaient prélevés des taxes sur tous les grands marchés de l’empire. « L’or, le sel et les cauris servaient de monnaie. Pour éviter les fraudes, les poids et les mesures étaient uniformisés »476. À la suite de ce récit, il est permis de penser que « si les colonisateurs n’avaient pas détourné l’Afrique de son chemin, ce continent serait aujourd’hui industrialisé à sa manière »477.

D’autre part, quand bien même l’islam avait fait permuter les règles successorales, nul sentiment de déculturation n’était constaté parce que la religion était imbriquée aux réalités du terroir. Le pouvoir ne se transmettait ni de frère à frère, ni d’oncle à neveu utérin mais de père en fils. A cette époque aussi, la gérontocratie était toujours aussi importante. L’accession au

476

Idem

477

F. DIANDUTUKWA, La thèse du complot contre l’Afrique, Pourquoi l’Afrique ne se développe pas ? L’Harmattan, 2010, p.76.

186 pouvoir du successeur se décidait suivant des règlements stricts qui aiguillaient le choix des anciens. Ces règles étaient relatives à la maturité et de l’instruction du prétendant au trône. Celui-ci en plus d’être un bon combattant, devait obligatoirement avoir une excellente connaissance du le coran. Malgré le changement de mode de délégation du pourvoir, il existait toujours un lien étroit avec les méthodes traditionnelles dont on faisait appel en cas de litiges étant donné les lacunes du coran dans ce domaine. Pour la plupart, c’étaient souvent des conflits qui n’étaient pas exempt de toutes révoltes partisanes. Par suite d’un conflit de succession, « la population, majoritairement commerçante et artisane, traverse deux siècles d’anarchie et de chaos, sur lesquels la colonisation européenne se réalisera avec un opportunisme certain. C’est ainsi que certains jugements expéditifs de politiciens et intellectuels vont déprécier l’histoire africaine, en ne l’observant qu’à partir des percées coloniales. »478.

À la suite des missionnaires venus apporter la bonne nouvelle aux communautés païennes la colonisation des terres africaines débutent. Rappelons que la colonisation commencée à la fin du XIX ème siècle a consisté à asseoir une main mise sur le continent Africain tout entier. Initié par les grandes puissances d’alors, pour la plupart européennes. Ceux-ci avaient entamé leur occupation à partir des « zones côtières et une partie de l’intérieur, sans pouvoir explorer à ce moment-là, l’ensemble du continent dans ses parties les plus reculées »479. Cela explique par ailleurs l’architecture des croyances religieuses de ce continent dont pratiquement tous les peuples côtiers sont chrétiens et ceux du plus au nord sont musulmans ; l’islam ayant exercée sa poussée expansionniste à partir du nord de l’Afrique vers le sud. La colonisation comme mouvement économique et méthode de domination des peuples africains a constitué une époque majeure pour les puissances coloniales qui ont vu dans cette occupation un moyen de bénéficier de matière première et de main d’œuvre gratuite. Pour ce faire, tandis que certains colons optaient pour l’association, tous les états francophones d’Afrique ont été assimilés, annihilant le pouvoir déjà en place et pacifiant les populations. Quand bien même l’état colonisateur était fort craint, son pouvoir n’était ni légal ni légitime. Il était dépourvu de toute légitimité parce qu’il ne recueillait ni le consentement, ni l’appréciation des populations. Ce pouvoir, presque volé, ignorait les réalités existantes. Il était

478

E. MATTEUDI, op.cit., p. 31

479

187 encore moins légal parce qu’il était abusif. « L’impôt était arbitrairement fixé par le colonisateur »480. Le peuple noir effarouché et abusé se laissait dominer pour éviter toute forme de concussion, de privations et de dépossession. Le manque de légalité dans ce système rigide, la terreur de ces politiques coloniales ont eu pour effet la remise en cause des relations entre dominants et dominés. Ces brimades des peuples africains ont fait naître entre eux une solidarité collective 481contre la domination européenne qui, financièrement affaiblie au lendemain de la seconde guerre mondiale sera la conséquence du développement de l’idée d’une probable émancipation des populations, de la décolonisation. Les dés ainsi lancés, c’est dans les années 60 que l’on assistera à la décolonisation et que près d’une cinquantaine de pays verront le jour.

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