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De la centralisation à l'obligation de rendre compte

Paragraphe 1. La subsidiarité active

B. La représentativité politique

1. L'émergence des nouveaux acteurs politiques

La décentralisation ne commence pas seulement avec la reconnaissance des droits et devoirs de chacun, mais surtout avec l’acceptation pour les organes centraux, de se défaire de leurs pouvoirs et de les déléguer à des tierces personnes. La décentralisation en tant que condition nécessaire à l’enracinement de la démocratie, permet ainsi à de nouveaux dirigeants politiques de se faire connaître. Dans ce cadre, de nouveaux acteurs vont être formés pour garantir une représentativité régionale.

Tout autant, la France reconnaît le bien-fondé de la décentralisation comme le démontre son organisation territoriale. À ce propos, Pierre PACTET affirmait qu’elle « est un territoire trop vaste pour fonctionner sous l’égide d’un système hyper centralisé, ce qui supposerait une ‘‘administration tentaculaire’’ [Il faut donc, pour éviter] la paralysie des organes centraux »121,que les décisions d’intérêt local soient prises localement. En somme, il faudrait procéder à une décortication ou un démantèlement du pouvoir, afin d’y faire participer un autre type de gestionnaires locaux.

La décentralisation est arrivée à point nommé pour permettre une avancée positive sur le plan politique, caractérisée par l'émergence d'une classe dirigeante s'essayant à l'exercice du pouvoir local à la tête de ces communes. Ces nouveaux acteurs sont les maires, les différents responsables des collectivités territoriales. Bien qu’ils soient élus, ils devraient en outre trouver leur domaines de prédilection, et s’inscrire soit en tant qu’ « investigateurs

120

C. TALBOT, la nouvelle gestion publique et sa portée, Revue Française d’administration Publique, 2003/1-2, n° 105, p. 13.

121

P. PACTET, Les institutions françaises, 10e

53 des politiques de développement, soit comme des coordonnateurs d’un partenariat local impulsé au niveau intercommunal, soit en se situant en retrait de l’initiative locale qu’ils ont du mal à considérer à leur juste valeur »122.

Il devient donc important d’instruire ces nouveaux acteurs à l’échelle régionale. Dans cette optique, la formation des maires et des conseillers régionaux a été plébiscitée en Côte d’Ivoire. Mais cette phase s’est avérée insuffisante pour répondre aux critères de la démocratie moderne, étant donné le rapport de dépendance des collectivités à l’État. En effet, il peut arriver que le budget alloué à une collectivité ne soit pas voté pour des raisons politiques. En plus des crises générées au sein de la collectivité, elle a pour but de la rendre moins efficace et surtout inapte à répondre aux besoins des population. Ce fut le cas au Sénégal, ou l’État estimait que le budget de la commune de Dakar « avait déjà été adopté sous l’empire de l’ancienne loi et que ce serait violer la loi que de le resoumettre à l’approbation des conseillers. Cela a entrainé des retards de paiement des agents municipaux qui sont entrés plusieurs fois en grève. Le budget 2015 de la Ville de Dakar fut finalement voté le 02 février 2015 »123.

Encore, il n’est pas rare de voir des représentants locaux africains évoluer en retrait des idéaux de la décentralisation parce qu’ayant « choisi de développer des stratégies opportunistes leur permettant de mettre en avant leurs intérêts individuels (corruption, racket des usagers, prestations rendues selon les gains à en tirer) » 124 .

Leur faible connaissance du droit et des textes régissant les services publics expliquerait cette manœuvre qui à l’instar des dynamiques de croissance, freine toute « synergie créatrice, porteuse d'effets de développement »125.

En second lieu, ce processus d’intégration des nouveaux acteurs politiques rime avec la création de nouvelles collectivités territoriales (mairies, conseils régionaux) dans le but d’assurer une véritable prise en compte de l’opinion des populations locales. Étant donné leur autonomie, ces nouveaux opérateurs acquièrent des pouvoirs de décisions autrefois dévolus à L’État. Ils sont démocratiquement élus, peu importe leur appartenance politique,

122

Id.Ibid., p. 1.

123

Y. SANE, La décentralisation au Sénégal, comment reformer pour mieux maintenir le statu quo, CNRS, 2016, p. 34.

124

P. PERRON, Gouvernance locale et redevabilité politique : l’expérience du laboratoire citoyenneté en

Afrique de l’Ouest, « Démocratie participative, citoyenneté active », Culture et Promotion, CEAS-Côtes

d’Armor, 2014, p. 11.

125

F. LELOUP, L. MOYART, B. PECQUEUR, Le développement local en Afrique de l’Ouest, quelle(s)

54 leur connaissance ou leur richesse. Ils sont élus en fonction de leur proximité au peuple et de leur capacité à faire entendre les voix de celui-ci.

Dans le même ordre d’idée, le Niger et le Togo continuent de « s'appuyer sur l'institution de la "chefferie", comme seul mode d'exercice du pouvoir local »126. Contrairement aux communes des zones urbaines dont les maires sont élus après un suffrage, « le monde rural ne connaît ni municipalités ni maires, ou leurs équivalents »127. Les chefs de villages acquièrent un statut particulier ; celui d’être le garant du pouvoir, à eux confié par les ancêtres. Ils sont de ce fait élus à vie (sauf révocation) par les villageois. Ils constituent donc des institutions sociales, de type traditionnel, marquées par l’absence d’écriture, et qui de ce fait, ne sont pas fermées aux mutations et aux transformations du droit. Elles sont au contraire sensibles et plus adaptables à celui-ci128.

« La chefferie de canton, qui "coiffe" les chefs de villages, constitue en fait le principal centre de pouvoir officiel en milieu rural, et son rôle politique et symbolique est très important »129.

En vue d’une réussite de l’insertion totale d’un plus grand nombre de ces populations à la forme actuelle du pouvoir, le Niger et le Cameroun ont également pensé à assimiler les chefferies traditionnelles à la politique régionale et partant au processus de démocratisation130. N’étant qu’« une survivance des formes multiples d’organisations sociologiques qu’a connu l’Afrique avant la colonisation »131, la démarche visant à inclure les chefferies traditionnelles à l’administration territoriale en vigueur revêtait une spécificité consécutive qui devrait permettre non seulement une aisance dans l’assimilation des nouvelles lois qualifiées de modernes, mais encore une réussite à l’adhésion aux autres formes de pouvoir que crée la république. Le contexte développé par le Cameroun et la Côte d’Ivoire d’un point de vue pratique met bien l’accent sur les fonctions de ces chefs traditionnels dans le code des collectivités territoriales, quand bien même « l’étude du

126

O. De SARDAN, Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social,

Paris, APAD-Karthala, 1996, p. 6.

127

Le Niger est un des rares pays d'Afrique à n'avoir pas encore mis en œuvre une politique de décentralisation, même si un projet est actuellement prêt, qui combine décentralisation et redécoupage des cantons et circonscriptions.

128

J. P Magnant, la chefferie ancienne. Étude historique dans les sociétés précoloniales du Tchad, d’après

les sources orales, PUP, 1994, p. 120.

129

À différentes époques, sous la colonisation, et après l'indépendance, les chefs ont été choisis directement par le pouvoir au sein des prétendants, sans élection. Le texte officiel en vigueur concernant la chefferie (établi pendant la transition démocratique) est l'ordonnance n° 93-28 du 30 mars 1993 portant statut de la chefferie traditionnelle au Niger.

130

A. KOKO, Les chefferies traditionnelles africaines face à la dynamique des réformes territoriales :

Contribution à l’étude des processus de décentralisation en Afrique, PUP, 2017, p. 166.

131

C. N. M’BACK, La chefferie traditionnelle au Cameroun : ambigüités juridique et dérives politiques, Africa Développement, Vol XXV, nos

55 régime de la chefferie traditionnelle et du statut des chefs au Cameroun ne permet pas d’inclure cette institution dans l’un des cadres classiques de l’administration territoriale sans que l’on puisse a priori lui trouver une camisole originale »132.

Il est clair à cet égard que la démarche du Cameroun ne vise qu’une transformation de l’ordre juridique de ces communautés vouées à disparaître dans les étaux de la démocratie. Ce constat n’est pas commun à tous les pays d’Afrique comme le démontre bien l’exemple du Togo, qui a réussi l’intégration de ces chefs coutumiers en leur octroyant le rôle de « gardien des us et coutumes »133.

En effet avec une réelle autorité leur permettant de fixer les limites des collectivités territoriales dans l’organisation de la société et des conditions de son épanouissement, les autorités coutumières deviennent au Togo le trait d’union de toute discussion entre l’État et la population. Non seulement à cause de leur très grande maîtrise de la question foncière mais encore en raison du rôle spirituel qu’ils jouent auprès des populations dont ils ont la charge. Au Togo, le chef traditionnel, peut même obtenir un rôle de « gestion des affaires de la collectivité territoriale agissant en tant qu’agent du pouvoir et aussi en tant que défenseur de sa population »134 et ainsi, de sa culture.

Ces deux points sus cités s’avèrent très importants, dans la mesure où ils viennent compléter l’idée qu’aucune démocratie ne peut se réaliser dans un État ou seul le chef exerce l’autorité. La nouvelle méthode organisationnelle de l’action publique qu’est la décentralisation serait l’une des conséquences de transformation institutionnelle autour de la question de l’aménagement territorial, encourageant ainsi la mobilisation des acteurs politiques. Encore serait-elle à la base de « convergence se traduisant par l’émergence de nouvelles pratiques, comme la négociation, la contractualisation »135 considérée comme la base d’une organisation politique et administrative affûtée autour des questions liées à la territorialisation.

Cependant, avec la démocratie comme arme, les acteurs devraient trouver dans ce modèle, les différents moyens de faire évoluer leurs territoires et parvenir ainsi aux objectifs de développement pour lesquels leur intervention est nécessaire. À cette fin, la mise en valeur des atouts de la localité dont ils ont la charge est à envisager.

132

Idem.

133

Article 143 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992.

134

M. SEDO AMLALO, La chefferie traditionnelle dans le processus de décentralisation, « la place du chef traditionnel dans le contexte de la décentralisation », Gouvernance en Afrique, 2007, p. 6.

135

P. TEISSERENC, Les politiques de développement local, Economica, 2e

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2. Le respect de la multiplicité du paysage culturel

La prise en compte de la participation citoyenne est une démarche qu’encourage l’avènement des collectivités territoriales politiquement bien intégrées, en permettant aux catégories sociales autrefois exclues du processus de développement de parvenir à se faire comprendre à partir de leur conception de la gouvernance sans pour autant négliger les aspects liés à la démocratie.

Plus qu’un espace de dialogue ouvert pour connaître les aspirations populaires, la pertinence de ce projet repose sur la légitimité qu’elle tente d’octroyer aux paysages culturels dans leur spécificité.

Dans cette optique, et avec pour objectif la concrétisation de la démocratie populaire, chaque culture pourrait être reconnue pour constituer une base utile à l’édiction de lois plus adaptées au contexte africain. Ce processus devrait aussi permettre la réussite de l’intégration de la démocratie dans un contexte général de quête de l’unité à partir de la diversité de chacun.

En Afrique de l’ouest, comme dans tous les pays africains, les cultures ont subi de sévères modifications liées aux différents événements historiques et politiques qui ont minés leurs réalités. Au titre des influences majeurs qu’elles ont connues, ce sont la colonisation et les religions qui ont le plus impacté ces modèles traditionnels, au point de dénaturer la légitimité du pouvoir s’exerçant dans ces communautés autochtones.

La Côte d’Ivoire, qui en dépit de la multiplicité des cultures dont elle a hérité des différentes migrations populaires d’avant la colonisation, n’a jamais tenté une approche plus profonde de ce potentiel culturel que représentent les chefferies traditionnelles. « L’aménagement du territoire se présentant plus comme une mosaïque de politiques juxtaposées que comme un ensemble homogène et spécifique »136, l’on est forcé de se demander pourquoi cette particularité n’a pas été prise en compte dans les différents processus de démocratisation. La langue française hérité du colonialisme est devenue le dénominateur commun à toutes ces langues et a permis d’asseoir un certain nationalisme au lendemain des indépendances. Mais l’ampleur de cette langue dans le paysage traditionnel a été la cause d’un grand nombre de déracinement de la population, qui ont fini par abandonner leur dialecte.

136

57 Et pourtant, riche d’une soixantaine d’ethnies issues des 4 groupes clés que sont les Akans au Sud-est, les Krous au Sud-ouest, les Mandés au Nord-ouest et les Gours au Nord-est137, ce pays dispose de ressources tant au niveau culturel qu’organisationnel, juridictionnel, coutumier, émanant de chaque grand groupe et pour qui la politique moderne a toujours été perçue comme un véritable frein. En effet, la Côte d’Ivoire possède par exemple l’une des plus grandes diversités artistiques de l’Afrique de l’Ouest. Les grands peuples représentaient les divinités par des masques, et organisaient des rituels autours de ces sculptures. Ceux des baoulés du peuple akan sont les plus réalistes. La statue de la fécondité par exemple, hormis son pouvoir d’aider les femmes à concevoir pouvait être invoquée pour la fécondité de la terre. Cet art africain qui traduit l’histoire de ce continent est aujourd’hui dépravée, dans la mesure où ces richesses pillées vont l’objet du vente personnelles...

La musique africaine est aussi une grande variante de ce capital culturel qui doit être valorisé. « La grande fresque artistique de Allah Thérèse du centre de la C.I., les contes de Soro Yadjourma du Nord, les pleureuses de Yougogo de Zépreguhué (centre ouest), Oula Yro de Ponan ont été découvert à la première Edition du « festival polyphonik ». Organisé en 2017, ce festival se veut le pionnier en matière la découverte des grands mythes fondateurs de la culture du peuple ivoirien138.

Avec la décentralisation et son aptitude à permettre une plus grande représentation politique des différents grands groupes religieux, politiques, ethniques, culturels dans le processus de prise de décision, il naît la promesse d’une certaine revalorisation de ces coutumes, facteur d’un agrément assuré pour les populations dans une société semblable à celle qu’elles connaissent. Le système de démocratie proposé aux africains va dans ce sens. « Il préconise davantage de pouvoir entre les grands groupes ethnolinguistiques qui peuplent la Côte d’Ivoire, tout en observant la compétition entre les partis politiques »139.

Par ailleurs, le besoin des États africains ne peut s’exprimer dans un sens unilatéral. Il fait appel à une interrelation qui naît de la participation citoyenne, encore appelée la voix du peuple.

137

Voir annexe 3.

138

Premier Edition de Festival Polyphonik, Festival d’art oratoire initié par la Dr Felix A. TAILLY, le 23 Mai 2017.

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