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162 Des différents essais de mise en œuvre de la décentralisation en Afrique, on note le fait qu’elle a, dans bien des cas, été perçue comme le moyen par excellence, la voie certaine vers le développement à travers l’amélioration de l’action publique412. Ainsi, plusieurs États d’Afrique subsaharienne se sont orientés vers ce mode de gouvernance administratif à l’instar de la France qui, à bien des égards, a réussi à renforcer les capacités de ces collectivités par le biais de la décentralisation. Quelques années après leurs indépendances, presque tous les États ouest africains (hormis ceux qui n’ont pas souffert des alternances politiques tels que le Togo)413 ont entamé un vaste processus de décentralisation se traduisant par la multiplication des communes. Par exemple, en Côte d’Ivoire, cette action a été assimilée à une marée décentralisatrice comme le précise la loi n°95-941 portant création de nouvelles communes414. Ainsi donc, en l’espace de 20 ans, onze communes spéciales ont été instituées dans la ville d’Abidjan415. De 27 communes en 1978, l’on est passé à plus d’une centaine en 2007. À partir des années 2000, à la suite de la rupture avec la politique ayant prévalu pendant plus de 40 ans, le nombre de communes a décuplé. On compte aujourd’hui, 196416 communes. Il en est de même au Mali où la décentralisation a fait naître de nouveaux acteurs politiques. Au milieu des années 90, on est passé d’une poignée d’hommes politiques, tous membres du parti unique à plus de 9000 élus locaux, dont 591 femmes (aux élections de 2004) de toutes origines sociales et appartenant à une multitude de partis politiques417. La décentralisation sur ce point est incontestablement une victoire pour la démocratie. À juste titre, tous les autres États africains418 ont commencé, dès 1996, à instruire les bases d’une décentralisation à deux niveaux : la commune et la région. En 2004, toutes les lois en la matière se consacraient à l’autonomie

412

Journal Officiel n°52 du Jeudi 14 Décembre 1995 portant création des nouvelles communes en Côte d’Ivoire.

413

C. VERGNE, Décentralisation fiscale en Afrique francophone, note sur le transfert inter gouvernementaux, Division Réforme du Secteur Public et Renforcement des Capacités (AFTPR)-Région Afrique, Paris, 2009, p. 1.

414

J.O n° 52, op cit.

415

J.O. n° 48 du 17 octobre 1980, Loi n° 80-1182 du 17 octobre 1980 portant statut de la ville d’Abidjan.

416

Rapport de la Direction générale de la décentralisation et du développement local de Cote d’Ivoire, 2015, p.8.

417

J. MARIE, E. IDELMAN, la décentralisation en Afrique de l’ouest : une révolution dans les gouvernances

locales ?, Revue universitaire EchoGeo n°13, juin 2010, p. 33.

418

Le Sénégal dès 90, la Côte d’ivoire entre 1990-1996, le Mali entre 1991-1999, la Sierra Léone à partir de 1996...

163 juridique et financière des collectivités locales décentralisées. À travers ce vaste processus de décentralisation, proposé par les organisations mondiales, les gouvernements africains avaient espéré apporter des éléments de réponse à la question du sous-développement en s’appuyant sur la valorisation des régions. Pourtant, toutes les tentatives se sont avérées insuffisantes au regard de la mauvaise compréhension des obligations qui en découlaient. La décentralisation, tout comme la démocratie, aurait pu connaitre un meilleur essor en Afrique, si elle avait été envisagée sur un territoire vierge. Plusieurs auteurs ont clairement soutenu l’hypothèse selon laquelle « ni la démocratie, ni la décentralisation, n’ont pu prendre racine en Afrique »419 compte tenue de certaines implications externes trop fortes et en totale contradictions avec les pratiques autochtones.

Utiliser le vocable « échec » pour qualifier la décentralisation en Afrique de l’ouest revient donc à prendre en compte les différentes tentatives d’assimilation manquées, malgré les efforts consentis pour répondre aux critères internationaux de développement. Ce processus, bien que plein de ressources, a donné l’illusion d’un changement qui se faisait attendre et a fini par être source de découragement. Cette situation a permis de mettre en évidence les différences de conceptions du pouvoir dans les États africains traditionnels et dans les États modernes. Et pourtant, des organisations territoriales ont existé en Afrique depuis la création des empires en passant par la colonisation et la décolonisation et s’est modernisée de nos jours avec la naissance des nouveaux États420. Il n’en fait pas de doutes que la décentralisation moderne

419

J-R. E. EYENE M’BA, Les démocraties africaines ont des similitudes avec des systèmes totalitaires, Politique et indépendance Africaines, L’Harmattan, 2011, p. 17.

420

J.G. YOFOUA, T. COULIBALY, B. FLAN, Histoire -Géographie, Cours Moyen, Manuel rédigé par l’équipe du centre national de formation et de production de matériels didactique de Bouaké (Côte d’Ivoire), Edition CEDA, 2001, p. 27-39.

« L’empire du Ghana (790 — 1076), premier grand empire de l’Afrique occidentale, était dirigé par un empereur qui prenait toutes les décisions concernant le pays et rendait justice. Il se faisait aider par le grand conseil qui comprenait de hauts dignitaires. L’empire était divisé en province. Dans chacune, l’empereur envoyait un gouverneur chargé d’y faire exécuter ses ordres.

À la chute de l’empire du Ghana, puis de l’empire Sosso (1077-1235) à la bataille de Kirina, un autre empire vit le jour, celui du Mali. On connaît mal ses origines, mais il semblerait que les petites chefferies mandingues se soient unies pour former un État : le manding ou Mali. L’empereur Kankou Moussa, après son pèlerinage à la Mecque fait connaître l’empire à l’étranger. Il mena une politique de paix avec les peuples voisins et sous son règne l’empire atteint son apogée. Il dirigeait un vaste territoire divisé en provinces, elles-mêmes subdivisées en cantons et en village. Chaque village avait un chef de terre, un chef religieux et un chef politique. L’empereur nommait des gouverneurs à la tête de chaque province. Ils étaient chargés de faire régner l’ordre, de faire exécuter ses ordres et de prélever les impôts.

Au début du XVe, à l’affaiblissement de l’empire du Mali, le royaume du Songhaï prit son indépendance. Il grandissait et devint un empire : l’empire songhaï. Cet empire était structuré, dirigé par un empereur. Celui-ci se faisait aider par un gouvernement. L’empire était divisé en provinces, dirigées chacune par un gouverneur. Il

164 souffre d’un problème d’adaptation aux valeurs africaines d’où son échec. Le professeur BAYARD soutenait à ce propos que « le culte exclusif de la gouvernance néglige les mutations qui ébranlent en profondeur les tissus sociaux africains »421. Pour lui, l’entrave la plus emblématique du processus de décentralisation en Afrique de l’ouest notamment, tient au choc culturel qui n’a pas permis l’expansion ou la concrétisation de cet exercice administratif. Le problème serait peut-être aussi lié à la mauvaise appréhension de la démocratie dans les pays africains. En effet, dans ces pays, les acteurs en scène ont transformé cette forme de gouvernance en un système totalitaire complètement diffèrent ou règne méfiance et crainte du pouvoir. Aussi, il faut noter un décalage entre l’évolution sociale africaine et l’idée de la décentralisation telle que pensée par les organismes internationaux. Celle-ci évolue dans une spirale démocratique, dans un monde où l’on devrait viser l’intérêt de tous sans pour autant négliger la particularité de chacun.

Afin de proposer des portes d’issues aux États africains, il est opportun de traiter des paradoxes de la décentralisation en Afrique de l’ouest étant donné l’échec manifeste et la crise généralisée qui a suivi l’adoption des politiques d’ajustements structurels (Titre 1). Cependant la mise en évidence de toutes les contradictions à ce projet, propose d’autres modèles plus compatibles avec les réalités africaines (Titre 2).

existait une certaine autonomie dans la gestion des affaires des provinces. La création de grandes villes telles que Gao, Tombouctou, Djenné et Oualata encourageaient la vie intellectuelle et la participation de la population ».

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Titre 1.

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