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L’état africain décentralisé, entre « l’exis et praxis »

Paragraphe 2. Les modalités de règlement des conflits

Les modalités de prise de décisions dans ces royaumes d’Afrique noire justifient qu’il était important de préserver les libertés de chaque individu, tout en s’assurant de celle des autres. Le postulat était fait surtout lors des jugements rendus au village au cours d’un palabre. De la même manière qu’une affaire serait jugée de nos jours, avec tous les principes qu’elle fait ressortir, la manière de juger de ces affaires dans ces royaumes comportaient des similitudes. On assistait à une démocratie grégaire (A) qui imbriquée de modernité à donner lieu à une léthargie politique indéniable (B).

A. D'une démocratie grégaire

Les différentes études consacrées à l’organisation des peuples africains avant la colonisation montrent clairement que ceux-ci avaient établies des appareils bien « structurés et des procédures de justification du droit adaptées à leurs sociétés, et dont la perfection égalait les structures étatiques des monarchies européennes de l’ancien régime »492. Seulement, la démocratie qui était supposée apporter un élan de développement à la gouvernance s’est transformée en une relation de conformisme politique tant cette culture est méconnue des africains. En somme, dans bon nombre de ces pays en voie de développement, plutôt que de réfléchir aux potentialités démocratiques, plusieurs chefs d’État ont souvent eu recours à des pratiques grégaires pour arriver à conserver l’autorité dans l’État dont ils ont la charge. Tel est le cas des présidents de la république qui manipulent la constitution, loi fondamentale d’un État pour pouvoir avoir plus de pouvoir. Ce fut le cas au Burkina Faso ou le président Blaise COMPAORE avait plus de 25 ans au pouvoir, déguerpit par un coup d’État. Au Cameron aussi, le Président Paul BIYA depuis 1982, est encore au pouvoir.

Finalement, l’accession au pouvoir en Afrique, d’une manière générale, ressemble fortement à l’intronisation d’un roi. Même l’importance accordée aux fonctions de chefs politiques rappelle fortement celle des roitelets. Tout comme en monarchie, les détenteurs du pouvoir politique œuvrent pour conserver le pouvoir le plus longtemps possible (jusqu'à leur mort). Ce n’est qu’à

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191 cette condition qu’un nouveau souffle peut être apporté à la politique, comme ce fut le cas en Côte d’ivoire de 1960-1993, au Gabon 1994- 2004, au Cameroun 1983- jusqu’à nos jours ... Aujourd’hui, malgré la volonté de valoriser la démocratie à l’heure de la nouvelle ère, le constat est que ce régime politique est vraisemblablement la plus grande « faiblesse et la maladie de l’Afrique indépendante »493.

1. Le mode de désignation des chefs

L'un des éléments caractéristiques de la démocratie est le mode de désignation des responsables politiques qui émane en principe de la volonté des populations. Bien que ce mode de désignation n'ait pas été développé en Afrique noire, le choix des chefs suivait une logique d'accord tacite de la population. Partant du principe que «la démocratie doit tenir compte de toutes formes et contextes culturels »494, l'on peut exprimer là une forme de démocratie dans cette pratique qui se transmettait de frère à frère et était homologué par une gérontocratie qui en formalisait le choix.

En effet, les choix de roi devaient être analysés et approuvés par les vieux, « les anciens » dont l’époque en faisait le culte. Même le roi n’avait pas le droit d’exercer une quelconque pression sur eux. Cette organisation répond bien à l'idée selon laquelle « la démocratie ne peut absolument pas résider dans une autorité unique, mais doit consister à une multiplicité de formes de pouvoir »495. Pour ce qui est du choix même du roi, ceux-ci étaient souvent choisis en raison de leur âge avancé parce qu’ils se rapprocheraient le plus de la sagesse. Chez les akans, peuple du Sud-est de la Côte d’Ivoire, ce rôle de « consultation appartenait aux femmes âgées du lignage en raison de leur savoir généalogique »496. Dans cette logique un frère pouvait être choisi plutôt qu’un autre en raison d’abord des incapacités physiques, morale et intellectuelle dont pouvait souffrir l’élu et mais encore des incertitudes de consanguinité. De même, le roi ne pouvait designer par héritage son successeur. Tout ceci relevait de la compétence des anciens qui appartenaient aussi à une classe gérontocratie méticuleusement

493

L. EGULU, une nouvelle conception de l’ajustement, « l’Afrique face à la mondialisation : le point de vue syndical » Conférence Internationale des syndicats libres, Éducation ouvrière n°123, 2001, p. 20.

494

L. SYLLA, Existe-t-il un modèle universel de démocratie ? Les Éditions du CERAP, 2006, p. 11.

495

R. DAHL, Après la révolution : l'autorité dans une société modèle, Éditions Calmann-Lévy, 1973, p. 115.

496

C-H. PERROT, « Le pouvoir du roi et ses limitations dans un royaume akan de Côte d’Ivoire », in Pouvoirs

192 choisie. Toute velléité de changement provoquait une crise. Dans le royaume Akan, on fait l’état de cette « crise de lignage royale qui a déchiré le N’denyé suite à la mort de roi Boa KOUASSI II en 1942. En effet celui-ci, avait dans son testament désigné comme successeur, un de ces neveux utérin Amoakhon Dihye. Or selon les règles successorales, c’est Bonzou Ier, fils de la sœur puînée d’Amoakhon Dihye (autre neveu utérin) qui devait être choisi. La désignation de Amoakhon fut donc rejetée »497.On l'aura compris, les pouvoirs anciens évoluaient dans une sorte de monarchie-démocratique comme c'est le cas pour des États des temps modernes comme le Maroc qui avec l'amendement de sa constitution en juillet 2011 s'est bien inscrit dans le mode de gestion démocratique d'un État. C'est aussi le lieu de dire qu'ils parviennent peut-être mieux à gérer leur gouvernance que bon nombre des états qui se cachent derrière des principes démocratiques occidentaux.

2. la gestion des affaires

Concernant la gestion des affaires, il existait les affaires entre les membres de la communauté et celles relatives aux différends qui opposaient un membre de la communauté au chef traditionnel. On aurait parlé de nos jours d'affaires civiles et d'affaires administratives. Tout comme dans les instances, les différents partis faisaient leur plaidoyer en présence de leurs représentants, et devant une assemblée de notables. Après délibération (asulé)498, le verdict était rendu sans que l’on sache qui parmi les notables étaient pour ou contre les décisions dans un souci de préservation du secret de délibération. Les notables pouvaient aussi régler des palabres entre un sujet et les rois. Dans ce cas-là, « les anciens » disaient non sans amertume (face à l’actualité politique de nos jours) que les notables et les conseillers tenaient souvent des assemblées dans le but que chacun vienne exprimer librement ses revendications aux rois par l’intermédiaire des conseillers. « Toutes les semaines, chaque samedi, nous nous réunissions (…) et on lui disait : ce que tu as fait, cela ne nous plaît pas. Au roi lui-même on disait, Nana ! Dans cette affaire, n’agis pas ainsi ; et il disait : Oh ! Que l’on dise à mes petits enfants de ne pas se fâcher, ce qu’ils viennent de dire j’ai compris !... Alors, doucement, les choses rentraient dans l’ordre »499 .

497

Id. Ibid. p.45.

498

Ce mot anyi est la traduction littérale de « concertation ».

499

193 Cela nous envoie à ce mode d’organisation dans lequel la population avait le droit de s’exprimer librement : la démocratie. Le roi, malgré sa souveraineté, était faible devant ses sujets ; et cela l’obligeait à avoir une habitude conciliatrice pour éviter toute sorte de révolte. D’abord, celui-ci risquait d’être détrôné. L’histoire de ce royaume établie que, du « XVIII au XIX ème siècle, dans la puissante confédération asante (Ghana actuelle), trois souverains ont été détrônés »500. Dans le cas où le Roi ne s’excusait pas, une autre intrigue toute aussi nuisible au royaume pouvait avoir lieu. Le sujet mécontent pouvait décider de s’expatrier vers d’autres terres avec toute sa famille501. Cela pouvait concerner une cinquantaine de personnes souvent utiles au royaume. Ayant le sens de l’honneur, et ayant à cœur de préserver ce qu’il a reçu de ces alleux, cette situation de désaffection pour le souverain était le signe que celui-ci avait failli à sa mission de chef politique. En d’autres termes le royaume était fructueux quand tout le monde était satisfait. Cet exemple vient contredire toute image reçue de l’occident présentant le chef souverain abusant de son pouvoir pour assigner ses sujets.

B. Vers une léthargie politique

La léthargie est le qualificatif utilisé pour définir le sommeil dans lequel sont plongées les élites africaines. Une apoplexie qui justifie par ailleurs la soumission de ceux-ci aux critiques et exigences des communautés internationales.

Devant la nécessité de répondre aux nouveaux objectifs de développement mondiaux, les élus ont adopté la bonne gouvernance pour donner un nouveau souffle à la concrétisation de la démocratie dans les États ouest africains. Cependant l’inaboutissement du processus démontre qu’ils entretiennent eux même une « ambiance générale d’incertitude conceptuelle »502 définissant cette déficience institutionnelle et « la confusion ou le jeu de ruse »503 dans lequel

500

I. WILKS, Asante in the nineteenth century, the structure and evolution of an political order, Cambridge University Press, 1975.

501

« Au sens africain du terme, la Famille désigne le groupement de ceux qui sont liés par une parenté biologique, mais la cellule ou sont vécues avec intensité ces relations de parenté. Si de nombreuses générations restent groupées autour d’un culte, d’un chef, d’un patrimoine commun, la famille pourrait se dilater à la taille d’un village et être la seule cellule sociale importante ».

Jacques BINET, Nature et limite de la famille en Afrique Noire, fonds documentaire ORSTOM, 1983, p. 3.

502

H. OUEDRAOGO, op.cit, p. 4.

503

194 ils s’embourbent. Et cela est perceptible en matière de prises de décisions ou de définitions de « stratégies politiques comme la participation ou l’accès équitables aux ressources naturelles »504. Ces principes mal intégrés ouvrent la porte à une sorte d’exploitation intellectuelle des dirigeants locaux, afin d’étendre leur autorité.

Il est très généralement admis que les années qui ont suivi la mise en place de la décentralisation, ont vu la corruption se développer dans les collectivités locales. Dans une telle situation, la décentralisation ne fait que transformer la corruption au niveau de l’état en clientélisme local. Certains sceptiques caractérisent la décentralisation également comme « une étape marquée vers une privatisation et une déréglementation accrue ainsi que l’abandon par l’État d’un grand nombre de ses fonctions économiques et sociales… »505. Par exemple, en 1996, le Sénégal a connu une nouvelle réforme territoriale qui érige les régions en collectivités locales et institue les communes d’arrondissement (appelé par les populations les mairies de quartier) dans la ville de Dakar capitale du pays au développement tentaculaire. Ce deuxième aspect de la réforme, en dehors des motivations politiques (volonté du parti au pouvoir de reconquérir la capitale tombée dans l’escarcelle de l’opposition), cherche aussi à promouvoir une gestion administrative de proximité afin que les élus soient davantage à l’écoute des administrés. Mais rapidement cette réforme perd tout son contenu progressiste car les maires d’arrondissement vont reproduire les pratiques clientélistes et un mode gestion des deniers publics marqué par la non-transparence, des pratiques qui ont caractérisé la gestion des communes au Sénégal depuis l’indépendance506.

504

Id.ibid.

505

D. SLATTER, Territorial Power and the Peripheral State : The issue of Décentralisation, Traduction de Markus Steinich « Suivi et évaluation de l’appui à la décentralisation : défis et options » Oklahoma, 1989, p. 168.

506

A. SIDIKI, Un conseiller municipal saisit la justice pour obliger le maire à respecter les lois régissant les collectivités locales, le quotidien, n° 523, Dakar, septembre 2001.

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Chapitre 2.

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