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De la centralisation à l'obligation de rendre compte

Paragraphe 1. Le déclin de l'État centralisé

A. Les raisons socio-économiques

La centralisation, en tant que moyen de « contrôler l’essentiel des transactions et des actions ayant cours au sein du segment administratif »55 a longtemps été plébiscitée dans les pays africains, pour garantir une impression de toute puissance des gouvernements. Cependant, elle a été démontrée inapte au processus de développement économique, au regard de la crise financière des années 80 (1) et de l’instabilité sociale qui en a découlé (2).

1. La crise financière des années 80

Qu’il s’agisse des conséquences de l’évolution de l’environnement international ou des raisons spécifiques à l’Afrique, la crise économique en Afrique s’est avérée être le résultat de la mauvaise gestion des revenus du continent. Entendu comme une décroissance importante de l’activité en générale, elle a eu pour effet, une augmentation du chômage et des maux sociaux ayant provoqué des tensions à plusieurs niveaux de la vie de la société. Cependant ces pays n’ont pas toujours connu le déclin, car nonobstant leur politique axée

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30 sur la centralisation absolue, certains pays africains ont vécu leurs heures de gloire dans les premières années de leur existence, plus précisément entre les années 1960 et 1980. Pour exemple, la Côte d’Ivoire, en raison de son poids économique dans la région ouest africaine, a fait l’objet d’une attention particulière56. Pour expliquer sa faillite, il faut d’abord se référer à la glorieuse politique agricole qu’elle a mené au lendemain des indépendances et qui, vingt (20) ans après, ne lui ont pas épargné la demander d’aide auprès du FMI et à de la Banque mondiale.

En effet, au cours des années 1960, les principales exportations de la Côte d’Ivoire, en l’occurrence le café et le cacao, étaient les moteurs de la croissance et assuraient une part importante du PIB et environ 90 % de ses recettes d’exportation57. La hausse du prix des matières premières sur les marchés internationaux avait atteint son apogée entre 1972 et 1977, période à laquelle les coûts avaient quintuplé et assuraient jusqu’à 120% des recettes d’exportation58. Cette manne financière avait considérablement forgé la construction du service public qui bénéficiait de moyens financiers et humains importants pour mener à bien sa mission, même s’il est à regretter « quelques digressions du fait de l’amateurisme, de la gabegie et du favoritisme »59.

Aussi, le manque de diversité des activités génératrices de revenus de ce pays n’a pas véritablement permis de « maintenir ce privilège à cause d’emprunts et d’investissements réalisés dans les projets « budgétivores » et ostentatoires qui ont servi de prétexte aux surfacturations et à la corruption »60. Ce sont les différentes crises et la baisse considérable du PIB qui en ont été les principaux révélateurs.

Il en fut de même pour le Cameroun de 1969 à 1982 avec le projet de transformation de matière première qui lui avait valu les premières entreprises de transformation agroalimentaire de la zone ouest-africaine. Cependant, ces pays ont très vite été confrontés aux contraintes de leur choix de gouvernance.

56

D.COGNEAU, G. COLLANGE, Les effets à moyen terme de la dévaluation des francs CFA, Document de travail n° DT/97/11, Université Paris Dauphine, 1997, p. 5.

57

OED, Les opportunité offertes par la dévaluation en Côte d’Ivoire, Précis, Département de l’évaluation des opérations, partenariats et gestion des connaissances (OEDPK), Banque Mondiale, n° 161, été 1998, p. 2.

58

Idem., p. 2.

59

S. MONNEY MOUANDJO, Les services publics de l’Afrique du 21e

siècle : Questionnement prospectifs autour de la problématique du développement du secteur public, Centre Africain de Formation et de Recherche

Administrative pour le Développement (CAFRAD), Tanger, Maroc, juin 2015, p.5.

60

A. TRAORE, Lettre au Président des Français à propos de la Côte d’Ivoire et de l’Afrique en général, Fayard, 2005, p. 55.

31 Avec la chute du coût des matières premières en 1970, la Côte d’Ivoire, alors premier producteur et exportateur mondial de cacao dont le succès reposait uniquement sur l’agriculture, s’est vu contrainte de se tourner vers d’autres modèles de financement des infrastructures tel le prêt. Au Cameroun, cette chute des coûts était matérialisée par une concurrence déloyale des produits asiatiques et voisins ce qui a entraîné la « banqueroute » des entreprises locales sur le long terme. En dépit de tous les efforts consentis par les présidents d’alors, les dettes contractées n’ont jamais pu être remboursées et ont creusé le déficit économique de ces deux pays ; tant ils continuaient de contracter des dettes pour gérer le problème du moment et sortir de la crise économique.

Pour aider au remboursement de la dette, les économistes et politiques ouest africains avaient eu l’idée de procéder à une dévaluation du franc CFA en 1994, ce qui aurait permis d’augmenter les prix des matières premières, et d’accroître des recettes publiques du fait de l’élévation des taxes directes et indirectes sur les filières agricoles et partant d’assurer une hausse de l’économie. Même si ce programme avait favorisé une furtive relance de l’économie, « l’augmentation mécanique des recettes d’exportation s’est produite en même temps que celle de l’encours de la dette »61 occasionnant ainsi un bouleversement dans les circuits locaux de commercialisation et aggravant la situation des populations vivant de cette production locale.

Partant, cela s’est fait sans tenir compte du niveau de vie des habitants déjà très problématique avec la crise qui avait sévi. La solution de la dévaluation pour les entreprises a été faite sans tenir compte du pouvoir d’achat des populations pauvres dont les gains n’ont fait que baisser avec cette directive. Les habitants des zones urbaines ainsi que ceux des zones rurales ont donc assisté impuissants, à la baisse de leurs revenus62. De cette situation est née une instabilité sociale qui perdure jusqu'à nos jours.

61

Idem, p. 57.

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2. L'instabilité sociale

« La paix, c’est l’autre nom du développement »63. La situation de la Côte d’Ivoire, pendant les trente premières décennies qui ont suivi la naissance de cet État, justifiait cette phrase d’Henri LOPEZ. Elle a perduré jusqu’aux manifestations sociopolitiques des années 1990. La fragilité du sentiment de quiétude en Côte d’Ivoire s’est ressentie à partir de l’année1995, à la suite des bouleversements politiques consécutifs à la mort de Président Felix Houphouët BOIGNY. Pire, la dévaluation du franc CFA et la pauvreté qui avait pris des proportions de plus en plus importantes n’ont pas été en marge du processus. En effet, malgré le constat des différentes frustrations accumulées par plusieurs années de parti unique, le « Séphonisme »64 constaté dans les administrations, adossé à la crise économique a poussé les étudiants à une manifestation pour contraindre l’État à procéder à des élections multipartites.

Cette « agitation »65 des jeunes, qui tendait à dénoncer un horizon de plus en plus lointain des débouchés professionnels, a été brutalement réprimée par l’armée, « qui conduisit quelques érudits derrière les barreaux »66se soldant par un bilan plutôt peu valorisant pour ce pseudo État de droit et de Paix. En effet, l’on avait relevé le cas de plusieurs blessés traumatiques présents à ces manifestations contre l’évolution de la misère malgré le nombre croissant d’intellectuels. Et on garde encore en mémoire, le souvenir de Blé GOUDE, alors le président de la jeunesse estudiantine menotté sur son lit d’hôpital.

À côté de cela, l’État ivoirien aurait difficilement pu maintenir son économie au vu des scandales financiers constatés dont le plus tragique fut celui de la CAISTAB (le Caisse de Stabilisation des coûts des matières premières agricoles)67.Ce fut le début des tumultes tant la population était victime de cette dégénérescence des mœurs politiques, de l’affaiblissement des revenus donc du pouvoir d’achat (surtout pour les agriculteurs).

63

H. Lopez, Géopolitique Africaine, culture de paix en Afrique, La revue trimestrielle octobre-décembre 2007, n° 28, p. 8.

64

Le « séphonisme » est un terme utilisé en Côte d’Ivoire pour définir l’administration familiale constitué par les responsables et chefs d’institutions. En effet, cette conduite a causé une certaine déliquescence dans le monde du travail dans la mesure où un employé n’était pas embauché pour ses compétences mais pour ses affinités avec certains dirigeants politiques ou chefs d’entreprises.

65

B. DIEGOU, La réinstauration du multipartisme en Côte d’Ivoire, ou la double mort d’Houphouët Boigny, l’Harmattan, 1995, p. 104.

66

S. TONME, La crise de l’intelligentsia africaine, l’Harmattan, 2008, p. 7.

67

Il concernait le détournement de fonds de près de 260 millions de francs par trimestre à la fin des années 90 qui a valu la fermeture de cet organe en août 1999, sous recommandations du FMI et de la banque mondiale.

33 À partir du concept de « l’ivoirité »68 lancé par le président Henri Konan BEDIE, certains remous sociaux ont vu le jour tant cette assertion nationaliste était en contradiction avec celle de son prédécesseur qui disait que la terre appartenait à celui qui la mettait en valeur. Plusieurs ressortissants de pays voisins avaient travaillé dur et valorisé la culture du café et du cacao en Côte d’Ivoire, ce qui avait valu au pays, un essor fulgurant. Le projet « ivoirité » avait notamment, remis en cause la situation de ces étrangers qui devenaient dans les années 1995 la cible d’une politique nationaliste et mal pensée ; une situation délicate pour ces paysans alors victimes de l’effondrement des prix de ces denrées.

L’ivoirité prenait aussi en compte le boycott de tous les produits fabriqués en dehors de la Côte d’Ivoire, ce qui limitait toute activité d’importation. Le « consommons ivoirien » a ouvert la brèche à toute sorte d’incompréhension tant au niveau de la population qui n’appréhendait pas forcément la portée de cette notion, qu’au niveau de la communauté internationale qui y voyait l’intermittence des activités relatives aux échanges internationaux.

Programme proposé pour réorganiser l’économie ivoirienne en baisse, ce projet a finalement entraîne un sentiment de méfiance entre les individus, dans ce pays ou désormais étaient cultivés la vengeance, le mépris et la rancune politique des autres États voisins aggravant ainsi les clivages sociaux. Cette situation n’a pas contribué à l’essor économique de ce pays déjà en forte rétrogradation.

Dans le but de réparer cette cassure et de rétablir la cohésion, les États ont pensé assurer une certaine alternance nécessaire à la démocratie moderne. Ils ont en effet réfléchi à la modification de leurs modes d’organisation comme l’avait proposé les institutions internationales.

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L’ivoirité peut se définir comme un concept valorisant tout ce qui est originaire de la Côte d’Ivoire. Cette désignation a été lancé la première fois par l’ancien président de la république du dit pays, M. Henri Konan Bédié pour encourager les ivoiriens à favoriser la consommation de leurs denrées alimentaires plus que les autres. Partout, le « consommons ivoirien » a été repris et parfois utilisé à de mauvaises fins, compromettant la survie du commerce international et développant des sentiments xénophobes à l’égard des étrangers.

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