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Aimé Bonpland se heurte non seulement aux divisions entre les plénipotentiaires français mais aussi à la place que ceux-ci et à travers eux la France doit tenir aux côtés des Américains. Chaque parti rioplatense possède sa vision du rôle à jouer par ce pays, Rosas faisant office de plus petit dénominateur commun dans l’équation à résoudre pour ses opposants. En raison de ses liens avec Corrientes, la résolution de l’équation à laquelle le facteur Bonpland contribue n’aborde ici que rapidement les principaux acteurs externes.

Depuis 1838, Juan Lavalle s’oppose à toute intervention étrangère sur le sol argentin du fait de ses « idées exagérées d’américanisme597 ». Au nom de ce principe, il exige que les opérations militaires de l’escadre française qui se trouve près de Corrientes en mars 1840 soient subordonnées à son commandement, chaque élément qu’elle peut lui offrir étant selon ses partisans plus efficace que quarante sous le commandement de Rivera598. Les alliés se disputent les secours français tout en leur niant tout droit d’ingérence ; ils marquent par là leur frontière et parfois leurs propos entraînent de sérieuses mésintelligences. C’est le cas entre le représentant de Rivera à Corrientes, le docteur Derqui, et le commandant de l’escadre française présent dans cette même ville. Venant de « la mauvaise éducation et surtout l’extrême amour propre » de Derqui, la mésentente oblige celui-ci à s’excuser par écrit auprès de Lalande de Calan599. Si Lavalle est finalement convaincu d’entrer en campagne aux côtés de l’escadre par Florencio Varela600, l’un des leaders politiques unitaires, ses défaites l’obligent à rejoindre

597 SOSA DE NEWTON Lily, op. cit., p. 113.

598 AGNBA, colección Carlos Casavalle, F. F., F. F. a F. V., 16 février 1840. 599 AMFBJAD n°1733, voyage dans le Paraná, 11 mars-1er mai 1840. 600 SOSA DE NEWTON Lily, op. cit., pp. 112-115.

la coalition formée au Nord-Ouest contre Rosas, laquelle emploie les mêmes termes autoritaires envers l’amirauté française601.

Il n’est pas question d’idées – même exagérées – d’américanisme sinon dans les discours hormis pour Ferré qui souhaite d’abord une réelle union transatlantique et s’avère moins ambitieux que ses alliés602. Le changement de gouvernement français en juillet 1840 lui fait espérer une persévérance de sa présence navale dans les eaux rioplatenses car l’inverse s’avèrerait selon lui désastreux pour le pays603. Cependant au nom de la « nation argentine » cette union doit prendre la forme d’une association des peuples correntinos et français, référence vague604 mais originale dans le Río de la Plata. Corrientes représente la nation et son bon gouvernement, la France une assistance indispensable comme le montre dès le mois de mars 1840 le convoi de ravitaillement qui provoque l’ « enthousiasme des habitants » ; Ferré au moment de s’embarquer avec Lalande de Calan « est conduit à bord par tous les habitants605 ».

La France est source d’espoir mais le héros est Ferré, ce qui pose la question de l’influence réelle et idéologique du pays auprès des élites et de la masse correntinas. Non qu’elles soient incultes comme l’affirment classiquement les voyageurs de passage sinon préoccupées davantage par la construction nationale et la sauvegarde provinciale que par une quelconque identification ou construction politique calquée sur le modèle européen606. Bien que l’intervention

armée française coïncide avec le soulèvement correntino, la concertation est très limitée et les événements sont plus parallèles que croisés. Les patriotismes réciproques se rencontrent mais demeurent à distance, autant par les atermoiements des Français que par la méfiance des Correntinos envers une nation impérialiste. A cet égard, les négociations menées par Bonpland entre mai et juillet 1840 sont exemplaires puisqu’elles instaurent entre les deux peuples un

601 Le colonel Pedro Rodríguez del Fresno écrit à Mackau : « No dudo [...] que V.E. querrá prestar

la cooperación que la Francia debe a los aliados », lui rappelant que la faculté de représenter « a las provincias aliadas » a été retirée à Rosas, ajoutant que « no tememos que V.E. quiera, ni deba entrar en ninguna clase de negociacion » avec le Porteño ; AGNBA, colección Carlos Casavalle, Fresno, Fresno à Mackau, Santa Fe, 4 novembre 1840.

602 Du moins ses ambitions sont-elles moindres, Ferré souhaitant avant tout protéger la province de

Corrientes alors que Paz et Lavalle veulent jouer un rôle national.

603 FERRE Pedro, op. cit. tome II, p. 611.

604 CHIARAMONTE José Carlos, « Formas de identidad en el Río de la Plata luego de 1810 », in

Boletín del Instituto « Dr. E. Ravignani », Troisième Série, n° 1, premier semestre 1989, p. 83.

605 AMFBJAD n° 1733, voyage sur le Paraná, 11 mars et 1er mai 1840. 606 C’est ce qu’il ressort des échanges épistolaires de Bonpland.

traité officieux d’amitié et de commerce. Il réalise pour Ferré ce que n’ont pas réussi les plénipotentiaires des capitales atlantiques. La position géographique périphérique de Corrientes lui permet de poser les limites de l’ingérence française dans un conflit lui-même périphérique. Paz, Ferré et Bonpland ont cette lucidité de reconnaître la situation politique excentrée dans laquelle ils se trouvent.

Avec le traité Mackau-Arana, l’influence française s’estompe dans le Nord-Est tout comme son intérêt pour cette partie de l’Argentine. Le traité Mackau-Arana joue en faveur du discours patriotique de Lavalle et Ferré est obligé de suivre celui-ci. En effet, le gouverneur de Corrientes dénonce la trahison de Mackau vis-à-vis des attentes de ses compatriotes présents dans le Río de la Plata mais ajoute que le retrait français est l’occasion de mettre fin à la désunion du pays qui risque « d’être le jouet de n’importe quelle autre nation », Ferré allant jusqu’à vanter la portée anti-impérialiste de Rosas607. Finalement, à la fin de l’année 1840 qui est le jouet de qui ? La France se retire sans aucun bénéfice tandis que Corrientes obtient suffisamment de soutien pour se maintenir hors de portée des rosistas et organiser son armée de réserve.

En ce sens, l’intervention française peut être considérée comme un acte fondateur de l’identité rioplatense dans la mesure où elle permet une identification commune contre l’ingérence étrangère. De plus, au mois de janvier 1841, Bonpland converse avec Baradère et Florencio Varela à propos du protocole franco-argentin et à propos de l’ouvrage antirrosista publié par Varela608 qu’il transmet à Ferré et à Paz. Il demande à Ferré d’être particulièrement attentif aux termes du traité609 car celui-ci ne signifie pas, selon lui, la fin des négociations entreprises par la France et l’Angleterre. Dans son rapport à Ferré, Bonpland note que Ribeiro a protesté devant Mackau, que Buchet de Martigny et la députation française sont partis, qu’Aley a remplacé le commandant Penaud dans le Paraná, lequel est chargé par Mackau d’aller prévenir Lavalle du traité. « Une telle

607 A propos de Rosas, Ferré ajoute : « je n’occulte pas chez lui ni n’oublierait jamais de louer la

fermeté de caractère avec laquelle il soutient les droits de la Nation contre les ambitions étrangères », in FERRE Pedro, op. cit., tome I, pp. 69, 111.

608 VARELA Florencio, Sobre la convención de 29 de octubre de 1840. Desarrollo y desenlace de

la cuestión francesa en el Río de la Plata, Montevideo, Imprenta de la Caridad, 1840.

mission ne cesse de donner à réfléchir610 » écrit Bonpland qui y voit probablement une tentative de Mackau pour stopper les projets de Lavalle.