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Le savant reprend très vite contact avec la diplomatie française. Les premières nouvelles données au consul Mendeville quelques jours après sa sortie du Paraguay concernent la situation des Français vivant au Paraguay275. Il affirme tout aussi rapidement son point de vue sur ses représentants. Dès son séjour à Buenos Aires, en 1832, il porte des jugements tranchants vis-à-vis des émissaires

de la France. De La Forest, ancien consul au Chili nommé en 1830 à ce même poste en Argentine et connu pour ses idées libérales, Bonpland écrit qu’il

a scu faire respecter le nom francais et s’attirer l’estime des plus grandes masses276

tandis que son successeur, Mendeville et surtout sa femme, Mariquita Sánchez, sont caractérisés par leur nullité ; ils salissent le nom français d’après lui277.

La posture idéologique de La Forest et son action au Chili en faveur de la faction libérale explique le jugement de Bonpland. Concernant Mendeville, la posture de Bonpland paraît plus difficile à expliquer étant donné les efforts que le consul déploie, spécialement le 26 juillet 1832 lorsqu’il accède à la demande du savant pour demander officiellement la libération des autres Français détenus au Paraguay278. Mais, hormis l’attachement du consul au régime royaliste, sa mauvaise gestion des intérêts français au cours des années 1820 culminant en 1830 avec la reconnaissance de l’indépendance argentine sans contrepartie explique l’opinion défavorable de Bonpland à son encontre. La question des droits des Français prend alors une importance croissante pour les expatriés et singulièrement pour Bonpland. Quant à l’acrimonie de Bonpland envers Mariquita, elle peut s’expliquer par le fait que cette dernière est alors, à l’inverse de Bonpland, antirrosista. Les deux personnes s’étant connues en 1817, d’autres raisons plus lointaines mais demeurées inconnues peuvent expliquer cette réaction.

En 1832 Aimé Bonpland se lie d’amitié avec Aimé Roger279, lequel devient l’année suivante vice-consul ; « c’est une bonne acquisition280 » écrit Roguin d’autant plus que Mendeville est remplacé par Vins de Peyssac. Mais les conduites diplomatiques s’avèrent rapidement équivoques, puisque l’on assiste à des louvoiements entre neutralité et interventionnisme qui apparaissent dès avant la reconnaissance officielle des Etats sud-américains. Deux facteurs expliquent cette attitude : l’instabilité des gouvernements américains mais aussi européens, et la question de la protection des droits français. Ce second motif est plus puissant aux yeux de Bonpland comme aux yeux de beaucoup de ses compatriotes. Dès

276AMFBJAD n° 321, Bonpland à Humboldt, Buenos Aires, 14 juillet 1832.

277 Bonpland à Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cité in HAMY Jules Théodore Ernest, op.

cit., p. 91.

278 AMFBJAD n° 1712, notes diverses, Buenos Aires, 6 décembre 1836. 279 AMFBJAD n° 322, Bonpland à Humboldt, Buenos Aires, août 1832. 280 AMFBJAD n° 1023, D. Roguin à Bonpland, Buenos Aires, 9 août 1833.

1832 les bases de la diplomatie française énoncées par de Broglie et répétées à chaque changement de gouvernement insistent sur la neutralité que doivent maintenir les représentants français vis-à-vis des affaires internes ainsi que sur la modération à propos des griefs dont peuvent souffrir les Français281. La stricte neutralité est demandée aux consuls, sauf si la sécurité de leurs compatriotes s’avère menacée.

Cette question contribue grandement au glissement idéologique des bonapartistes vers le patriotisme, le progressisme et le libéralisme. Suite aux lois adoptées à Buenos Aires aux cours des années 1820 et 1830 très défavorables aux étrangers, on passe d’une perspective de rapprochement intercontinental à la notion d’une intervention française. Le banquet patriotique célébré en 1832 par les amis de Bonpland associe le bonapartisme au patriotisme282, le respect du nom français étant présent ici comme lors de ses premières correspondances et ne faisant que s’amplifier au cours des années suivantes.

Il en va de même en ce qui concerne l’ensemble des expatriés, à la différence qu’au lieu de contribuer à la construction d’un imaginaire américain en France, ils participent à celle d’un imaginaire français en Amérique. Leurs discours sont aussi riches que ceux des voyageurs mais leurs paroles n’acquièrent pas la résonance de celles de leurs compatriotes, sauf lorsqu’ils parviennent à occuper des fonctions diplomatiques signifiantes. Or cette configuration tend à diminuer, car si le personnel consulaire est constitué à l’aube des indépendances

rioplatenses d’hommes issus de la société civile et déjà implantés dans la région,

ils sont peu à peu évincés par des métropolitains moins légitimes auprès de leurs

281 AMAEN, Montevideo, Légation n° 1. De Broglie recommande au consul de Montevideo en

février 1832 une stricte neutralité : « Cette circonspection est particulièrement nécessaire dans des Etats aussi fréquemment agités par des révolutions que ceux de l’Amérique du Sud et c’est là surtout que la conduite d’un agent peut exercer l’influence la plus heureuse comme la plus nuisible dans les rapports de son gouvernement avec le gouvernement territorial. Je n’ai pas besoin de dire qu’il les compromettrait gravement s’il voulait prendre couleur et jouer un rôle dans les affaires intérieures du pays où il réside, si, pour se faire homme de parti, il renonçait mal à propos à l’attitude de réserve et d’impartialité que commandent tout à la fois sa qualité d’étranger et les intérêts de la mission dont il est chargé. J’ai appris avec plaisir le succès de vos démarches en faveur du sieur Milhas dont la propriété avait été saisie par ordre du président Fructuoso Rivera et j’approuve entièrement la manière dont vous avez soutenu les droits à une indemnité. C’est en apportant dans toutes les réclamations de ce genre le même esprit de fermeté, de modération et de persévérance, que vous parviendrez, je n’en doute pas, à les faire triompher, et à protéger efficacement les intérêts dont la défense vous est confiée. L’essentiel est de ne présenter que des demandes raisonnables, de n’insister que sur des satisfactions réellement dues et de ne point en ériger en affaires tout ce qui n’en aurait véritablement ni l’importance ni le caractère ».

282 AMFBJAD n° 2036, Banquet Patriotique célébré par les Français habitant à Buenos Aires, 29

compatriotes. Le consulat, symbole de la France en Amérique et garant des relations transatlantiques, est aussi le lieu où se concentrent les débats sur les actions à mener au nom d’idées parfois déconnectées des réalités du terrain. Nous ne pouvons pas ici détailler les réseaux mis en place par les diplomates français hors de leur capitale de rattachement283, privilégiant au contraire le point de vue de quelques immigrés sur leurs représentants mais surtout sur le rôle à jouer par leur pays dans cette partie de l’Amérique hispanique. Car à côté de la France officielle, les membres de la société civile se voient pris entre un interventionnisme impérialiste et un nationalisme américaniste, tentant de s’y adapter avec plus ou moins de réussite.

A ce problème s’ajoute celui de la construction politique des Etats dont Bonpland annonce dès 1832 qu’ « il faudra se charger de leur éducation284 ». La situation paraît simple au Français pour qui les peuples américains, arriérés, ont besoin d’un sauveur et d’un éducateur qui ne peut être que la France. La faute n’est plus aux Espagnols mais aux nouveaux régimes qui nécessitent une tutelle ; les Américains sont jugés comme non encore majeurs politiquement285. Ce jugement, commun parmi les voyageurs, révèle une ignorance face à la situation politique complexe rioplatense.

L’incompréhension de Bonpland est néanmoins partielle, puisque ses notes contiennent au cours de cette période d’observation des analyses plus nuancées. Néanmoins, la création d’un Etat civilisé passe selon lui par l’intervention française qui est non seulement une obligation mais surtout un devoir pour imposer le sentiment public, l’ordre et le progrès. Le discours de Bonpland relatif au rôle de la France dans le Río de la Plata ne varie pas dans ses grandes lignes, c’est-à-dire qu’il est empreint d’une croyance dans l’intervention externe comme

283 Cet aspect essentiel pour la compréhension de la politique extérieure demeure peu ou pas

étudié. Les sources offertes par les correspondances diplomatiques sont utilisées majoritairement pour analyser une position, une évolution politique ou une vision du pays. Là encore, il est à souhaiter le développement de recherches portant sur les réseaux mis en œuvre par les consuls afin de mener à bien un type de travail réputé pour y avoir fréquemment recours. Signalons le travail d’Estela Nari au sujet du personnel diplomatique présent en Uruguay ; NARI Estela, Les rapports

France-Uruguay pendant la Guerra Grande. Le conflit vu par les Français (pourquoi l’Uruguay n’est pas devenu français). 1839-1852, thèse de doctorat d’histoire réalisée sous la direction de

Guy MARTINIERE, Paris III, IHEAL, 1998.

284 Bonpland à Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cité in HAMY Jules Théodore Ernest, op.

cit., p. 91.

solution aux problèmes internes. La France, évidemment, doit être l’arbitre des conflits rioplatenses.

Ce type de discours, totalement en contradiction avec la ligne diplomatique neutraliste officiellement suivie en France est, à partir de 1836, au cœur des complications diplomatiques franco-porteñas. En effet, la mort du consul Vins de Peyssac survenue le 22 mai 1836 confère à Aimé Roger le poste de consul intérimaire. Or Rosas qui est au pouvoir depuis 1835 grâce, notamment, au soutien de Vins de Peyssac, s’inquiète de l’influence croissante des Français et promulgue une loi obligeant tout commerçant étranger marié dans le pays à acquérir la nationalité argentine, ceci entraînant une autre obligation, à savoir le service militaire au sein de la milice locale286. Cette loi s’ajoute à celle du 10 avril 1821 qui ordonne aux étrangers de servir militairement le pays en cas de nécessité. La Constitution de 1826 donne ensuite la nationalité argentine aux étrangers ayant servi dans l’armée et à ceux établis avant 1816, puis une loi de 1829 transforme en citoyen argentin tout individu prenant les armes287. Le cadre juridique mis en place à propos de la nationalité remet donc en cause la permanence de la nationalité d’origine. Aimé Roger s’engage alors dans une confrontation débouchant sur l’entrée en conflit de la France.