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Des contacts sont noués au Brésil, à Rio de Janeiro précisément avec Acard, ancien jardinier de Malmaison responsable de la grande serre et de Bois-Préau, ainsi qu’avec Joachim Lebreton alors président de l’Académie Impériale de Rio de Janeiro, bonapartiste connu notamment du consul français qui entrave ses agissements. Bonpland tente aussi de se mettre en contact avec Saint- Hilaire, connu pour ses sympathies royalistes. Ces interlocuteurs sont requis afin de faire parvenir à Buenos Aires des semences et des plantes pour alimenter le jardin botanique du botaniste mais leurs rapports ne passent pas l’étape du contact direct et de l’engagement économique.

Le premier cercle d’investisseurs français formé par Bonpland à partir de 1817 appartient tout d’abord aux cercles de la bourgeoisie commerçante, initiatrice des premiers rapprochements vers l’Amérique du Sud. Ce démarrage a lieu lors des années 1816 et 1817, rapidement relayé – dès 1818 – par la politique du nouveau ministre de la Marine, la baron Portal, déployant dans la zone étudiée des personnels, officiers ou médecins versés dans les sciences naturelles, en collaboration avec des institutions scientifiques prestigieuses dont le fer de lance s’avère être la Muséum d’histoire naturelle303. Aussi, parmi les Français liés à Bonpland, se mêlent savants et négociants souvent unis par des préoccupations d’ordre économique similaires. Nous retrouvons d’ailleurs nombre de ces contacts autour des projets économiques esquissés par Bonpland304. En outre, l’étroitesse de la communauté française à cette époque explique le rapprochement de ses membres.

Cependant, l’existence de noyaux au lieu d’une véritable communauté ainsi que les divisions politiques au grès des ambitions se répercutent au niveau des projets économiques. Entre 1817 et 1821, plusieurs personnages essentiels de par leur implication économique ou politique constituent le cercle que fréquente Bonpland. Il s’agit de Grandsire, Bréard, Razac, Voulquin, Parchappe et Roguin305. Nombre du premier cercle de Bonpland le sont aussi de d’Orbigny,

303 Cf. RIVIALE Pascal, Un siècle d’archéologie au Pérou (1821-1914), Paris, L’Harmattan,

1996, pp. 238-239.

304 Cf. chapitre VII.

hormis l’entomologiste Jean Théodore Lacordaire306 – qui n’arrive à Buenos Aires qu’en 1824 et en repart en 1830, soit durant la détention de Bonpland au Paraguay. Dominique Roguin, surtout, apparaît comme le nœud de ce réseau économique ; c’est lui qui incite d’Orbigny à partir pour Corrientes307. Les autres Français dont s’entoure Bonpland à Buenos Aires semblent jouer un rôle davantage secondaire308.

Le voyage aux Missions revêt un autre aspect si on le replace dans son contexte géopolitique. En effet, la région de Corrientes et du Paraguay profite d’abord au commerce anglais. Les premiers à s’y installer sont Tuckermann, Postlethwaite et les frères Robertson. Les maisons anglaises bénéficient de l’antériorité d’implantation au Río de la Plata, profitant dès 1793 des guerres révolutionnaires, puis des guerres napoléoniennes et en 1808 du renversement d’alliance en Espagne, puis dès 1811 des conséquences de l’indépendance, enfin de la suprématie maritime consacrée par le Congrès de Vienne309. En 1811 sont fondées les Chambres Commerciales britanniques, organes puissants d’information, de pression et de sociabilité, fermés aux étrangers jusqu’en 1829, date à laquelle les Créoles y sont admis310. Le 22 juillet 1817, les frères

Robertson signent un accord commercial avec le gouverneur artigueño Juan Méndez, portant sur la vente d’articles militaires311. En mars 1820, l’intérêt

britannique pour le commerce avec le Paraguay est au plus haut312.

La forte présence des Britanniques ajoute une connotation nationaliste aux projets de Bonpland. A ce propos, le projet que soumet Bonpland en 1815 s’inscrit dans une continuité, l’influence française dans les colonies espagnoles étant un enjeu récurrent de la politique étrangère de ce pays. Dès la Restauration, la tentative d’intronisation d’un Bourbon au Río de la Plata confirme les ambitions politiques de la France qui acquièrent, avec Grandsire, une résonnance

306 ORBIGNY Alcide d’, op. cit., tome I, 1835, p. 82. 307Ibid., p. 81.

308 C’est le cas de Pierre Benoit qui malgré sa fonction de dessinateur n’accompagne pas Bonpland

dans les Missions, ou de Lacour qui assiste le botaniste.

309 Sur la politique commerciale britannique en Amérique du Sud au début du XIXe siècle, cf.

BERNECKER Walther, « Las relaciones entre Europa y Latinoamerica durante el siglo XIX. Ofensivas comerciales e intereses económicos », in Hispania, vol. LIII, n° 183, janvier-avril 1993, pp. 186-188.

310 Cf. FERNS H. S., Gran Bretaña y Argentina en el siglo XIX, Buenos Aires, Solar, 1992 (1960),

p. 87.

311 CASTELLO A. Emilio, op. cit., p. 178. 312 BELL Stephen, op. cit., pp. 146-147.

économique. L’intention de livrer une véritable course vers le Paraguay est confirmée par une lettre de celui-ci écrite à Paris en septembre 1818. Grandsire, attaché à l’Institut, annonce à son correspondant au Río de la Plata, Pierre Saguier, l’arrivée du savant à Buenos Aires, en compagnie de « beaucoup d’autres Français » en partance pour les anciennes missions jésuites. Grandsire se montre très clair :

Je vous le répète encore, mon cher M. Saguier, ce n’est pas seulement une opération de commerce à quoi vous devez penser, mais une opération en grand, qui tout en vous procurant des avantages immédiats doit envisager particulièrement l’avenir. Quelles richesses de produits doit offrir le Paraguay! [...] N’oubliez pas que, si nous prenions pied au Paraguay, le commerce anglais recevrait un coup terrible.313

Richard Grandsire, zélé partisan d’un rapprochement franco-paraguayen, tient lui-même ses informations – remises en 1817 au ministère des Affaires étrangères – des membres du gouvernement Pueyrredón314. Il s’agit par conséquent de déconnecter l’Angleterre de ce circuit économique, les faibles taxes permettant de gros bénéfices315. Bonpland apporte pour sa part la garantie de pénétrer au Paraguay par l’intermédiaire d’Araujo, garantie appréciable puisqu’il s’agit de percer un nouvel axe commercial. Les intérêts scientifiques et économiques sont donc liés au plus haut niveau, les pionniers français faisant office de liaison entre micro et macro-histoire. L’attitude des Français à l’égard des colonies espagnoles après 1815 est bien connue dans ses grandes lignes : les gouvernements se taisent, les particuliers agissent.

Malgré l’identification de quelques uns d’entre eux, il manque encore un tableau exhaustif de ces envoyés particuliers offrant une peinture exotique mais pas très claire (transfuges de régimes, savants, négociants, militaires, aventuriers…) des relations précises entretenues avec leur gouvernement, ou leurs apports tant en Amérique qu’en Europe. On pourrait par là même en apprendre plus concernant la « carrière » politique de ces agents en tout genre. Les faits confirment les projets énoncés en 1818, Bonpland partant effectivement pour le Paraguay entouré de bonapartistes.

313 Lettre citée in FOURNIAL Georges, op. cit., pp. 190-191.

314 La relation de Grandsire est relevée in BEDERE Stéphane, op. cit., p. 49. Cette remarque du

voyageur indique par contre l’opinion positive du gouvernement porteño vis-à-vis du Paraguay, ainsi que son intérêt pour le communiquer à la France.

Tel est aussi le cas de Narcisse Parchappe, issu de l’Ecole polytechnique, ancien officier d’artillerie de l’Empire et en relation avec Bonpland à Buenos Aires316. Exilé à Montevideo, il rejoint Bonpland à Corrientes via le Brésil puis demeure quant à lui au service de cette province de 1821 jusqu’en 1829, date à laquelle Buenos Aires parvient à l’enlever aux Correntinos afin de l’utiliser pour participer à la consolidation de sa frontière méridionale317. Cette petite bataille du savoir, essentielle pour la construction des sciences rioplatenses, coïncide avec les ambitions des proches de Bonpland. En effet, la province de Corrientes semble être un point de ralliement de plusieurs bonapartistes avant d’être celui- des

antirrosistas.