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Une nouvelle stratégie d’identification basée sur le réseau franco brésilien

Après le début de la Guerra Grande les migrations sont plus difficiles comme l’expérimentent Bonpland et ses compatriotes. Mais si l’on choisit de rester, force est de choisir son camp ; dans ce cas la majorité adhère dans un premier temps au discours européen, au moins jusqu’au traité Mackau-Arana de novembre 1840. L’enlisement qui s’ensuit complique les déplacements et les interactions. L’absence de participation à l’intervention franco-anglaise montre

727 CAIC, journal de médecine n° 10, voyage entre São Borja et Corrientes pour rendre visite au

gouverneur Joaquín Madariaga, 1er mai-12 juillet 1844.

728 « salvajes asilados », AMFBJAD n° 1610, J. A. Virasoro à Bonpland, Restauración, 13 juillet

1848.

729 AMFBJAD n° 154, J. Madariaga à Bonpland, Corrientes, 26 juin 1843.

730 Gregorio Valdés ainsi que les Madariaga sont déclarés, à l’occasion d’un des premiers actes

législatifs promulgués par le nouveau gouvernement le 8 janvier 1848, « reos de alta traición a la patria y fuera de la ley » ; ZINNY Antonio, op. cit., p. 67. Gregorio Valdés ou Valdéz est natif de Buenos Aires mais s’établit à Corrientes, où il sert successivement les gouvernements de Pedro Ferré, Madariaga et Pujol. Administrateur et homme politique habile, il occupe notamment les postes de plénipotentiaire au Paraguay en 1841, secrétaire général et gouverneur délégué auprès des Madariaga et ministre des Affaires étrangères et de la Guerre après 1852.

dans quel isolement se trouve alors Bonpland. Afin de rompre cet isolement il cherche une route vers l’Atlantique et des soutiens pour la trouver mais contrairement à Buenos Aires un club des étrangers est difficilement réalisable à São Borja ; pourtant Bonpland parvient si ce n’est à créer un club, du moins une association informelle de Français le long de l’Uruguay et de la route São Borja- Porto Alegre. Les distances qui les séparent sont grandes, mais comme le rappelle Thedy vers 1845, les visites de « bon voisinage » qu’il rend à Bonpland depuis Salto se comptent en centaines de kilomètres731.

Pour ce faire, Bonpland réactive dans un premier temps son réseau constitué au début des années 1840. En novembre 1845, une première source indique la présence du médecin Apollon de Mirbeck venu d’Uruguaiana à Santa Ana. En janvier 1846 Bonpland écrit de nouveau Antoine Thedy qui se trouve à Itaquí, puis en août de la même année le médecin Bocquin des Hislaires entame à Alegrete une correspondance avec son confrère732. A ces anciennes connaissances s’ajoute le vicaire Jean-Pierre Gay dont la première preuve de rencontre est fournie en avril 1846733. Le religieux est un premier soutien de poids puisqu’il est en contact avec de nombreux notables cariocas. Tous sont installés dans le Rio Grande do Sul, la rive argentine étant aux mains des rosistas.

En 1846 il se tourne parallèlement vers le nouveau président de l’Etat brésilien pacifié afin d’ouvrir une route vers Porto Alegre, lui joignant en guise de sauf-conduit un mémoire sur la valorisation de l’exploitation de la yerba mate. Cette piste croise celle d’Antonio Chaves, politicien et homme d’affaires venant jusqu’à São Borja pour le rencontrer l’année suivante afin de lui proposer une association économique. Il est présumable que le mémoire de Bonpland soit

731 Cité in B*** Armand de (ROY Just Jean Etienne), op. cit., p. 292.

732 AMFBJAD n° 453, A. de Mirbeck à Bonpland, à São Borja, Santa Ana, 19 novembre 1845 ;

AMFBJAD n° 1119, A. Thedy à Bonpland, Itaquí, 23 février 1846 ; AMFBJAD n° 512, Bocquin des Hilaires à Bonpland, Alegrete, 25 août 1846.

733 Bonpland à F. J. de Souza Soares de Andrea, Porto Alegre, 28 octobre 1849, cité in HAMY

Jules Théodore Ernest, op. cit., p. 156. Toutefois, Bonpland est en relation avec un nommé Victor Gay en 1840 et 1841. Il s’agit peut-être d’un parent du vicaire né en 1815 à Grenoble, lequel se rend en 1842 à Montevideo dans le but d’ériger une église pour les résidents français. Il s’installe l’année suivante à Santa Catalina, puis en 1844 à Rio de Janeiro où il enseigne la médecine, en particulier l’homéopathie à l’Instituto Homeopático do Brasil. Naturalisé brésilien en 1849, Gay est nommé vicaire à São Borja en 1850 puis à Uruguaiana où il réside de 1874 jusqu’à sa disparition. Il initie Bonpland à la franc-maçonnerie riograndense et à l’homéopathie. Des liens étroits unissent les deux hommes ; Bonpland en fait son exécuteur testamentaire. En 1862, Gay présente un travail sur les jésuites à l’Instituto Histórico Geográfico Brasileiro dont il devient membre. Il s’éteint en 1891, après avoir publié plusieurs travaux historiques, théologiques et linguistiques.

tombé entre les mains de Chaves, le poussant à venir en personne à la rencontre du Français. Le soutien politique dont dispose le Brésilien est un puissant motif de déplacement, cependant pas aussi fort que celui dont dispose un autre personnage susceptible d’avoir croisé la route du Brésilien, à savoir Alfred Demersay venu à la demande du gouvernement français explorer le Paraguay en compagnie du plénipotentiaire José Antônio Pimenta Bueno. En effet, Demersay est passé par la capitale de l’empire où il s’est lié avec le médecin français du souverain et l’empereur lui-même. Ce dernier s’avère d’ailleurs le mieux informé pour indiquer à l’explorateur l’endroit où se trouve Bonpland734.

Lino Lagos ayant rétabli depuis le mois d’avril 1844 des relations diplomatiques entre la province de Corrientes et le Brésil735, l’armée correntina s’y fournit en matériel militaire afin d’entamer une campagne contre la province d’Entre Ríos. Le 4 février 1846 l’avant-garde de l’armée de Paz, aux ordres de Juan Madariaga, engage le combat contre Urquiza à Laguna Limpia. La défaite et l’arrestation de Madariaga aboutit à un accord proposé par Urquiza qui d’une part reconnaît la faculté de Buenos Aires à diriger les relations extérieures mais, d’autre part, désengage Corrientes du conflit mené par la Confédération contre l’Uruguay, la Grande-Bretagne et la France736. En mai 1846, Bonpland se réjouit

de cette défaite qui selon lui se transforme en victoire ; il espère que la capture puis la libération du général Juan Madariaga par Urquiza amène finalement la paix dans la province de Corrientes737. Un dernier obstacle reste à franchir en la personne d’Oribe qui assiège Montevideo. Cet indéfectible allié de Rosas est la dernière personne à pouvoir barrer la route à Bonpland.

Grâce à un intermédiaire inconnu, Bonpland entre d’abord en contact avec le commandant de Concordia Manuel Antonio Urdinarrain738 mais n’opte pas pour la voie fluviale contre l’avis de certains compatriotes le poussant à prendre la

734 DEMERSAY Alfred, op. cit., pp. XXXIX-XL.

735 Lino Lagos est mandaté par le général Paz à Porto Alegre tandis que Braulio Costa est envoyé à

Rio de Janeiro. La recherche d’une alliance militaire contre Rosas échoue car les Brésiliens estiment que Corrientes est un allié trop faible. Néanmoins les relations commerciales reprennent, ce qui permet à l’armée correntina de préparer sa campagne ; cf. POENITZ Gustavo Enrique, op.

cit., pp. 140-143.

736 CASTELLO A. Emilio, op. cit., pp. 355-360.

737 « aqui estamos en el caso, me parece, de hacer la aplicacion del dicho qe dice no hay mal qe por

bien no venga. La captura del Sor general segun las voces generales va traer nos la Paz y todos

debemos à V.E. y al acontecimiento del dia un resultado inesperado », AMFBJAD n° 135, Bonpland à J. Madariaga, s. l., 28 mai 1846.

route de Montevideo, soit par le Brésil soit par l’Uruguay, le fleuve semblant libre pour la navigation en 1847. D’autres se montrent moins confiants739, aussi ses atermoiements perdurent-ils jusqu’en 1848. Mais en octobre 1847 Rivera est fait prisonnier, puis le 14 mai 1848 la France lève le blocus instauré contre Buenos Aires depuis 1845. Suivant les conseils de Sara Bocquin des Hilaires, peut-être rassuré en outre par les lettres en provenance de Montevideo signées de Demersay et de Roguin, il se prépare pour aller à Porto Alegre dès avril 1848740. Le choix de cette route s’explique aussi par le développement de son élevage ovin sur les rives de l’Uruguay, au cœur de la route commerciale qui va du Rio Grande do Sul à Montevideo, permettant d’éviter ainsi le contrôle douanier de Buenos Aires, afin de se connecter avec les métropoles européennes741.

Alors que la France demeure aux côtés des Montevideanos et que le Brésil ne s’est pas encore prononcé contre Rosas, Bonpland parvient à entrer dans la ville le 29 août 1849 muni d’une autorisation spéciale accordée par Oribe, en vertu de son statut scientifique742. Cette autorisation exceptionnelle est probablement obtenue grâce à sa posture fédérale rappelée en tête d’une lettre adressée le 2 février 1849 à Benjamín Virasoro et portant la mention

Viva la federación argentina! Mueran los salvajes unitarios!743

L’élimination de Rivera que Bonpland a soutenu, sa neutralité vis-à-vis de l’intervention européenne entreprise depuis 1845 et la voie ouverte par Demersay qui a lui aussi réussi à franchir le siège ajoutent du poids à sa demande.

3. La pensée métisse : acculturation et déculturation

Il s’agirait presque d’effectuer un exercice de divination en abordant le thème du métissage culturel sachant qu’aucune source n’est disponible concernant

739 AMFBJAD n° 1494, J. A. Pimenta Bueno à Bonpland, Asunción, 15 décembre 1846 ;

AMFBJAD n° 454, A. de Mirbeck à Bonpland, Uruguaiana, 19 avril 1847 ; AMFBJAD n° 513, S. Bocquin des Hilaires à Bonpland, Pellotas, 13 mars 1848.

740 AMFBJAD n° 821, A. R. Chaves à Bonpland, Rio Pardo, 10 avril 1848 ; cf. LOURTEIG Alicia

(comp.), Journal de voyage de Sn. Borja a la Cierra y a Porto Alegre, Porto Alegre, CNRS/Fundação de Amparo A Pequisa do Estado do Rio Grande do Sul, 1978.

741 Cette pratique tend à s’amplifier durant les années 1840 ; cf. CHIARAMONTE José Carlos, op.

cit., pp. 38-41.

742 AGNBA, Sala VII, archivo y colección Andrés Lamas, leg. 44.

d’éventuelles introspections émises par Bonpland. Contrairement aux « réciteurs » de voyage qui aiment à exposer des explications à propos des motifs, des jalons et des conclusions ; qui récitent en somme leur expérience et en tirent un bilan permettant d’analyser l’acculturation effectuée, avec Bonpland nous ne disposons ni de bilan ni de conclusion mais d’un vécu public. A juste titre les biographes insistent sur son acculturation, les daguerréotypes réalisés dans les années 1850 ajoutant au caractère un aspect physique acculturé, l’homme au visage buriné dévoilant une physionomie quasiment « guaranisée744 ».

Les années 1840 sont pour le Français une étape importante dans la construction de sa personnalité comme elles le sont pour la construction de la personnalité rioplatense. Ces histoires parallèles se rapprochent davantage dans la mesure où la coupure épistolaire d’avec la France entraîne un changement de comportement et un métissage qu’il s’agit d’analyser. Cet isolement transatlantique est fondamental pour expliquer l’évolution de Bonpland tout autant que son choix de s’installer au Brésil. Le fait de s’écarter de l’Europe lui permet d’évacuer momentanément l’aspect transatlantique tout comme il lui permet de prendre ses distances ses distances vis-à-vis des événements politiques régionaux. Enfin, son recentrement sur les aspects régionaux et locaux l’amène à renforcer son métissage culturel.