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L’artère fluviale sur laquelle repose le réseau de Bonpland se fragilise à partir des années 1840. Il y a d’abord la coupure d’avec Buenos Aires déjà

690 ZINNY Antonio, op. cit., pp. 64-68. 691 CASTELLO A. Emilio, op. cit., p. 365.

consommée ; de septembre 1843 à juillet 1848 aucun courrier n’est échangé entre la ville atlantique et le naturaliste. La rupture de ses relations avec Montevideo où il a tissé de solides appuis est davantage préjudiciable ; il lui faut attendre le 13 juillet 1847 pour recevoir des nouvelles de cette ville692. L’interruption épistolaire entre Bonpland et ses correspondants uruguayens est due pour sa part à la seule bataille d’Arroyo Grande. La domination du général Oribe693 sur la campagne uruguayenne et le siège de Montevideo qu’il instaure coupent les voies de communication vers le sud-est et vers l’Europe.

En outre, il n’a plus accès aux villes-ports qui sont des points stratégiques le long du fleuve. Ces villes sont disposées selon un système de miroir, c’est-à- dire qu’à chacune d’elle correspond une autre de l’autre côté de la frontière fluviale694. En remontant l’Uruguay, Concepción située dans l’Entre Ríos reflète Paysandú, fondée en Uruguay et dont Bonpland saisit l’importance stratégique lors de son voyage de 1842695. La ville est de plus un lieu d’établissement pour une soixantaine de Français en 1845, effectuant des liaisons pour profiter du commerce florissant encouragé par le gouvernement696. De ce fait la guerre n’épargne pas la ville « de toutes les scènes tragiques » selon le témoignage de Charles Legard établi là pendant toute la Guerra Grande697.

Plus au nord de la province, Concordia et Salto se réfléchissent elles-aussi. Salto, qui profite de la disparition de Belén en 1840 pour attirer les flux commerciaux en provenance du Nord, joue un rôle primordial dans l’organisation du réseau de Bonpland de par l’importance du commerce des Français sur l’Uruguay, en plus d’être le lieu par où transitent la majorité des informations et

692 AMFBJAD n° 896, Blanc et Constantin à Bonpland, à São Borja, Buenos Aires, 7 septembre

1843 ; AMFBJAD n° 1766, C. de Acuña à Bonpland, à São Borja, Buenos Aires, 15 juillet 1848 ; AMFBJAD n° 1025, D. Roguin à Bonpland, Montevideo, 13 juillet 1847.

693 Manuel Oribe (1792-1857) est alors en position de force après la bataille d’Arroyo Grande ; il

oblige les forces antirrosistas à se réfugier dans Montevideo dont il commence le siège en février 1843. Participant aux guerres d’indépendance dès 1812, il combat aux côtés d’Artigas, de Buenos Aires et des royalistes portugais avant de rejoindre les forces uruguayennes en 1825. Promu général en 1832 puis ministre de la Guerre et de la Marine en 1833, Oribe accède à la présidence de l’Uruguay le premier mars 1835. Rivera se soulève l’année suivante et obtient le contrôle du pays après sa victoire à Palmar, le 15 juin 1838, sur le parti blanco d’Oribe. Mais, grâce au soutien de Rosas, Oribe bat successivement Lavalle en 1840 puis Rivera, chef du parti colorado, en 1842, contrôlant à son tour le pays jusqu’en 1851. Oribe est finalement écarté du pouvoir jusqu’à sa mort.

694 Cf. carte n° 1, p. 54.

695 AMFBJAD n° 1744, voyage de Santa Ana à l’Etat Oriental, 6 octobre 1842. 696 B*** Armand de (ROY Just Jean Etienne), op. cit., pp. 279-280.

des rumeurs militaires entre 1841 et 1842698. Abadie, Page et Manuel Silva sont là les personnes de confiance sur lesquelles Bonpland s’appuie autour de la voie fluviale uruguayenne. Mais à partir du mois de mars 1841 et de la prise d’un navire brésilien par les forces entrerrianas, l’insécurité s’installe dans le haut de l’Uruguay, obligeant les ports de Santa Ana, Itaqui et São Borja à écouler leurs produits par voie de terre, ce qui provoque d’importants convoyages vers Salto699. Surtout, la coupure définitive de cette route après la bataille d’Arroyo Grande impose une réorientation des voies de communication.

Entre Corrientes et le Rio Grande do Sul trois villes-miroirs se font face. La Cruz et Itaqui sont inutilisables à cause des mouvements de population provoqués par la guerre au même titre que Santo Tomé et São Borja. Pour cette raison Restauración et Uruguaiana sont fondées plus au sud en 1843700, à proximité de la frontière entre les trois pays. Entre 1842 et 1849 Bonpland se trouve donc isolé d’une grande partie de ses alliés, ce qui ressent sur l’appauvrissement du volume de sa correspondance701.

La voie paraguayenne tente le Français lorsque se pose le problème de la succession de Francia et de l’ouverture du pays. Encore est-il plus spectateur qu’acteur de la curée qui s’annonce autour du cadavre du Supremo ; les Porteños, les Brésiliens et les Anglais s’activent alors pour obtenir des audiences à Asunción. En juillet 1841, Juan Andrés Gelly fait part à Bonpland de ses craintes et lui demande de faire parvenir rapidement une lettre d’avertissement à Asunción, le Français étant avec le commandant du poste d’Itapúa le seul intermédiaire sur lequel s’appuyer. Gelly insiste sur le danger pour le Paraguay d’une ouverture brutale aux ambitions étrangères après 25 années d’une stricte politique d’isolement Le message qu’il désire délivrer au nouveaux dirigeants est

698 AMFBJAD n° 201, Bonpland à F. Rivera, Salto, 20 janvier 1841 ; AMFBJAD n° 41, Bonpland

à P. Ferré, Salto, 24 janvier 1841 ; AMFBJAD n° 1741, voyage de Montevideo à Corrientes, Salto, 3 12, 14 février, 1-2 mars 1841 ; AGNBA, archivo del general José M. Paz, leg. 100, año 1841, Bonpland à J. M. Paz, Salto, 15 février 1841 ; AMFBJAD n° 1743, journal, voyage de Santa Ana au Salto, 14 juillet 1842.

699 « Depuis que les Entre-rianos ont pris au dessus du Salto un batiment de Sn. Borja, qui portait

une facture de Mr. Jose Ingres dont la valeur est de 7000 P. le commerce de Sn. Borja, Itaqui, Sta

Ana et autres ports ont pris la résolution d’envoyer leurs charges par terre. », AMFBJAD n° 1741, voyage de Montevideo à Corrientes, Salto, 3 mars 1841.

700 Cf. BELL Stephen, op. cit., p. 135. 701 Cf. graphique n° 2, p. 117.

que la Politique des nouvelles Républiques doit être réduite à cette sage maxime, Amitié, Paix, et Commerce avec toutes les Nations, traités avec aucune702.

Juan Andrés Gelly craint que les émissaires de Rosas et de l’Angleterre, partis de Buenos Aires au début du mois de juillet 1841, convainquent le nouveau gouvernement de signer un traité d’autant plus que selon lui ils marchent main dans la main. Le gouvernement de Buenos Aires fait appel à Pedro Sheridan pour, sous prétexte d’organiser une expédition commerciale, entamer des pourparlers703. Bonpland est directement averti par Sheridan de cette mission car l’envoyé britannique nécessitant sa recommandation lui confie le but de ce voyage visant à établir une influence anglaise au Paraguay704. Ferré et Paz en sont informés selon les vœux de Gelly, qui voit en eux les personnes capables de contrer ces influences705. A Asunción, les Correntinos se montrent les plus convaincants. En effet, les plénipotentiaires Gregorio Valdés et Juan Mateo Arriola signent le 31 juillet 1841 deux traités entre le gouvernement de Corrientes et celui du Paraguay, l’un portant sur un accord commercial, l’autre concernant la délimitation frontalière. L’alliance chargée d’incrédulité706 est en cela conforme aux souhaits de Gelly.

L’immobilisme de la France dans cette question explique peut-être l’inactivité de Bonpland. En outre l’activité enregistrée à Itapúa en 1842 est nulle, le commerce s’effectuant à l’ouest du pays par Ñeembucú707. Si les relations

semblent suffisamment affermies pour que Bonpland espère une ouverture du Paraguay au commerce708, son éloignement du lieu où il s’effectue ne favorise pas

702 « que la Politica de las nuevas Republicas debe estar reducida á esta sabia maxima, Amistad,

Paz, y Comercio con todas las naciones, tratados con ninguna », AGNBA, archivo del general José M. Paz, leg. 100, año 1841, J. A. Gelly à P. Ferré, Montevideo, 16 juillet 1841.

703 Cf. AMFBJAD n ° 141, J. A. Gelly à Bonpland, Montevideo, 15 juillet 1841 ; AMFBJAD n °

184 bis, Bonpland à J. M. Paz, s.l., 31 juillet 1841.

704 AMFBJAD n ° 1039, P. Sheridan à Bonpland, Buenos Aires, 4 juillet 1841.

705 Un autre Paraguayen proche de Bonpland soutient très tôt la politique de Corrientes vis-à-vis du

Paraguay. Il s’agit de Manuel José Baez, qui espère une rapide alliance entre les deux gouvernements. Baez écrit: « Ferré puede contribuir mucho a que el Paraguay siga un sistema de orden, de Libertad bien entendida y de prosperidad, entablando con aquel relaciones estrechas de amistad », in AMFBJAD n° 55, M. J. Baez à Bonpland, Montevideo. 30 avril 1841.

706 Le 2 août 1841, Ferré confie à Paz que s’il paraît exister « algo de amistad » entre les deux

gouvernements, Corrientes doit se tenir prêt à repousser toute incursion armée des Paraguayens ; AGNBA, archivo del general José M. Paz, leg. 100, año 1841, P. Ferré à J. M. Paz, Corrientes, 2 août 1841.

707 AMFBJAD n° 892, Bonpland à Blanc et Constantin, Montevideo, 1er février 1842. 708Ibid.

ses vues. Bonpland consolide ses relais à Itapúa en 1843709 mais hésite probablement à se tourner vers un territoire dans lequel il ne dispose d’aucun appui. Il faut attendre novembre 1845 pour qu’une consolidation des relations ait lieu, grâce à la signature d’un traité d’alliance défensive et offensive, sans que le Paraguay ne s’engage au delà du discours710. Là réside un motif supplémentaire pour que Bonpland ne resserre pas plus les liens avec la « Chine américaine711 ».