• Aucun résultat trouvé

Aimé Bonpland a vingt ans en 1793 ; ce n’est pas seulement un homme des Lumières mais aussi un fils de la Révolution251. Hormis des états de service en tant que chirurgien de marine rien ne transparait concernant ses convictions politiques de jeunesse, alors que son frère montre très tôt son attachement républicain252. Jusqu’à son choix de partir avec Humboldt en 1798 il vit dans une république fragilisée par l’instabilité intérieure et la guerre extérieure. A son retour en 1804, il trouve un empire stable et puissant. Certes la guerre est présente mais hors des frontières. Le voyageur, certainement impressionné par le changement de régime, demeure néanmoins en retrait vis-à-vis de celui-ci de 1804 à 1808. Sa posture scientifique n’explique pas cette neutralité, de nombreux pairs s’engageant alors politiquement comme le démontre l’ouvrage de Nicole et Jean Dhombres dans lequel le nom de Bonpland ne figure pas253.

La première trace d’un engagement politique vis-à-vis du régime impérial date de 1808. En ce sens il s’agit d’une année charnière puisque d’une part il se rapproche indirectement du régime par le biais de son engagement au service de l’impératrice Joséphine. En outre, explique-t-il en 1853,

me trouvant à Paris, tout était disposé pour ma présentation à la grande famille maçonnique ; mais des circonstances particulières, qu’il est inutile de rapporter, me privèrent de cet avantage si désiré254.

Enfin, son expérience américaine forgée en compagnie d’un des plus grands esprits de son temps l’amène à proposer ses services pour favoriser les mouvements indépendantistes hispano-américains. Cette offre est révélatrice en ce qu’elle reflète à la fois une adhésion à l’empire napoléonien en même temps qu’une envie de s’engager dans le processus initié outre-Atlantique.

comptoir à la ville coloniale : la France et ses Nouveaux Mondes américains. Bilan historiographique et perspectives de recherche (c. 1990-2001) », in GIRALDO Manuel Lucena (coord.), Las tinieblas de la memoria, Debates y perspectivas. Cuadernos de historia y ciencias

sociales, n° 2, 2002, pp. 141-171. Or, ce champ de recherche est encore en friche en ce qui

concerne le Río de la Plata.

251 Certes l’héritage du siècle des Lumières est révolutionnaire et l’enseignement qu’il reçoit est

façonné par les principes du XVIIIe siècle. Mais politiquement Bonpland n’est pas un homme de

l’Ancien Régime, sa culture politique étant par définition contemporaine.

252 Cf. FOUCAULT Philippe, op. cit., p. 20. 253 DHOMBRES Nicole et Jean, op. cit.

Son engagement bonapartiste se confirme en 1815 lorsqu’il propose de nouveau ses services à l’empereur dans des circonstances politiques pourtant nettement plus défavorables. Cette proposition s’explique par ses rencontres avec les Américains en la personne de Bolívar dès 1804 puis surtout avec les émissaires présents en Europe en 1814 et 1815. Dès lors, Bonpland développe une admiration pour la grandeur napoléonienne dont il espère retrouver des héritiers dans le Nouveau Monde. Il propose de se rendre en Amérique espagnole afin d’y affermir la présence française :

L’Empereur étant à Bayonne en 1808 et voulant faire le bonheur des Espagnols envoya des députés sur les divers points de l’Amérique Espagnole. […] Je suis autorisé à croire que les députés qui ont été envoyés en Amérique eussent réussi si ils avaient déjà été connus dans le pays. […] convaincu que je pourrais être utile à mon pays à l’Empereur et enfin à l’amérique j’offris alors mes services à l’Empereur255.

Ce rapport rédigé durant les Cent-Jours est un plaidoyer conciliant patriotisme et américanisme. Très tôt en relation avec les indépendantistes américains, le Français espère resserrer les liens entre son gouvernement et les nations émergentes. Mais après son arrivée à Buenos Aires il ne s’implique pas politiquement auprès des dirigeants, préférant se cantonner au rôle qui lui convient plus de passeur culturel, fidèle en cela à l’héritage du siècle des Lumières.

En 1825, le témoignage de l’émissaire brésilien Correa da Cámara auprès de Francia conforte l’idée d’un Bonpland de plus en plus bonapartiste à mesure qu’il s’éloigne de l’épopée napoléonienne. Le Brésilien rencontre un homme isolé, enfermé dans une prison à ciel ouvert. Le récit qu’il en fait est d’autant plus important qu’il s’agit du seul témoignage direct permettant d’analyser l’état d’esprit dans lequel se trouve le Français lors de sa détention. Concernant particulièrement sa vision du Premier empire, Correa da Cámara écrit :

Cet homme professe publiquement être un partisan fervent de Napoléon et il pleure en repensant à ces temps heureux256.

255 AMFBJAD n° 1263, Mémoire historique sur l’émancipation de l’Amérique hispanique, s.l.,

1815.

256 Cité in RAMOS R. Antonio, La política del Brasil en el Paraguay bajo la dictadura del Dr.

Outre la détresse dans laquelle se trouve Bonpland, cette citation nous renseigne sur l’attachement de celui-ci au régime impérial. D’ailleurs, cette détresse peut tout à fait expliquer la nostalgie qui s’empare de lui, les souvenirs aidant certainement à supporter dix années de claustration.

Peut-être est-ce au cours de cette période que son bonapartisme s’amplifie et s’idéalise. A ce titre, la réaction de Bonpland alimente d’une manière particulière la formation de la légende napoléonienne. Construisant sa propre représentation, il demeure dès lors attaché à l’empire napoléonien comme le montre une note évoquant, en 1840, le « grand homme de notre siècle257 ». Lors d’un autre témoignage recueilli en 1845, Bonpland résidant alors à São Borja alors que la Guerra Grande déchire les provinces argentines, il accueille un voyageur français dans un petit salon où pour toute décoration figurent les portraits de Napoléon Ier et Joséphine258. Les témoignages de ses contemporains révèlent un attachement sans faille259. Il est tout à fait plausible qu’en développant cette culture bonapartiste, Bonpland développe aussi la culture du grand homme et du sauveur. Ceci n’est pas incompatible avec des opinions républicaines, l’historiographie ayant démontré les continuités entre la Révolution française et l’empire napoléonien.

Une preuve supplémentaire est présentée alors que la paix est rétablie dans le Río de la Plata et que de l’autre côté de l’Atlantique le Second empire voit le jour. La coïncidence des événements pousse Bonpland à s’adresser à Napoléon III le 12 janvier 1854 :

Je serais heureux Sire de pouvoir présenter à votre Majesté les travaux que j’ai faits dans l’Amérique du Sud comme j’ai eu l’honneur d’offrir à sa Majesté l’Empereur et roy ceux que j’ai faits dans les régions équinoxiales […]. Je visiterais les restes de l’incomparable Malmaison et peut-être serais-je assez heureux pour voir l’homme étonnant qui par son intelligence sans égale et l’énergie de son caractère a sceut rétablir l’Empire, maintenir la paix en Europe et emploie tous ses puissants efforts pour faire jouir le vieux monde d’un avenir tranquille.

257 AMFBJAD n° 1733. Voyage dans le Paraná. Paraná. 13 mai 1840. 258 B*** Armand de (ROY Just Jean Etienne), op. cit., p. 315.

259 En 1850, le docteur Chauvisé lui écrit ce qu’il pense de Louis-Napoléon Bonaparte : « je crains

de blesser vos affections en vous parlant avec trop peu de respect d’un nom [que] vous voulez voir entourer de considération », Chauvisé à Bonpland, Alegrete, 17 février 1850 ; AMFBJAD n° 1175, Chauvisé à Bonpland, à São Borja, Alegrete, 17 février 1850.

Puisse, Votre Majesté, étendre ses bienfaits sur ces régions {les bords du Plata et de l’Uruguay} si riches par leurs productions , si bonnes à habiter et dans lesquelles le commerce français trouve un débouché si avantageux à l’industrie de notre Pays.260

Tout est résumé ici. La nostalgie, la filiation, l’allégeance, la confiance, la protection et la participation de Napoléon III aux destinées des deux mondes atteste d’une culture politique idéaliste et transatlantique.