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Si pour les fédéralistes argentins la province – leurs provinces – constitue la base de la civilisation rioplatense, deux questions se posent. Premièrement, comment expliquer la reconnaissance de Buenos Aires comme capitale, admise par beaucoup d’entre les fédéralistes462 ? Ensuite, est-ce la province ou la campagne qui occupe le centre ? La différenciation entre province et campagne implique deux ressentiments différents par rapport à l’identité, et montre une évolution dans la lecture du pays. Dans un cas l’opposition a lieu entre ville et campagne donc plutôt entre deux modes de vie ; dans l’autre cas l’antagonisme entre province et province, ou entre province et nation, reflète un enjeu politique.

Bonpland ne doute jamais du rôle de capitale attribué à Buenos Aires, car si elle n’est pas le centre de la civilisation, la ville s’affirme comme le cœur politique du Río de la Plata. Les nombreux séjours effectués à Montevideo par Bonpland ne font pas apparaître cette ville comme une concurrente sérieuse pour la cité porteña. Avant que Montevideo ne soit la nouvelle Troie, elle est Jéricho tandis que Buenos Aires est Jérusalem. La métaphore signée d’Ingres en 1836463 fait écho à la nouvelle Rome de Pradt464. Elle est significative de la prépondérance accordée à Buenos Aires malgré la naissance des Etats-provinces.

En 1835, la rupture épistolaire d’avec Buenos Aires au profit de la voie uruguayenne et brésilienne est due à des raisons pratiques avant tout465. Quant au

necessairement sur son passage mais surtout à Monsieur le Contre amiral Leblanc Convaincu qu’ainsi que vous il saura reconnaître le service que rend à la France Mr Castelli et ceux qu’il est porté à rendre. » Bonpland loue son goût pour la France et profite de son rôle d’intermédiaire entre Roger et Ferré.

462 La pratique fondatrice d’un centralisme porteño est constituée par l’attribution de facto des

pouvoirs en matière de politique étrangère, bien avant l’officialisation de ceux-ci.

463 AMFBJAD n° 614, J. Ingres à Bonpland, Salto, 10 juillet 1836.

464 Dominique Dufour, abbé de Pradt (1759-1837), commence sa carrière politique lors de la

réunion des Etats généraux de 1789 en tant que député du clergé du bailliage de Caux, en Auvergne. Siégeant à la Constituante, il émigre finalement en Belgique en novembre 1792. Il tient là un bureau d’affaires et commence sa carrière de publiciste par un pamphlet incitant les monarchistes à lutter contre les « vautours tricolores ». Revenu en grâce sous le Premier empire, il est nommé aumônier ordinaire de la cour. Bon serviteur du régime, sa carrière culmine en 1812 lorsqu’il devient ambassadeur de France à Varsovie. N’ayant pas répondu aux attentes de Napoléon pour qui la Pologne devait servir de base à l’invasion de la Russie, il est limogé de son poste puis, rallié aux Bourbons, évincé par ceux-ci. De retour en Auvergne, l’abbé gallican et libéral se montre favorable à un régime représentatif, ce qui lui vaut d’être surveillé durant la Restauration. Parmi ses nombreux essais, L’Europe et l’Amérique depuis le congrès d’Aix-la-

Chapelle publié en 1821 marque le début d’une série d’écrits sur le Nouveau Monde faisant de

l’abbé un spécialiste des questions politiques de ce continent.

rôle économique prépondérant qu’il attribue en 1836466 à Buenos Aires, une légitimité politique forte s’y ajoute avant 1839. Dans une note antérieure à décembre 1838 adressée à Peter Sheridan467, il évoque la « grande Capital de la republica argentina468 ». S’il rompt ses relations avec cette ville après 1837, les causes en sont avant tout politiques. Ainsi de ses relations avec Angelis arrivé en 1827 qui font long feu, probablement en raison de désaccords politiques et culturels469. En 1838, il change de débouché, préférant Montevideo et Porto Alegre en raison du blocus français qu’il approuve.

Mais surtout, Bonpland n’aime pas la mentalité porteña. La base de l’identité nationale est pour lui à l’intérieur du pays. Il ne reproche pas à l’instar de d’Orbigny « l’éducation efféminée de la classe bourgeoise à Buenos-Ayres470 » mais dès son arrivée dans les Provinces Unies du Río de la Plata, Bonpland adopte une position fortement conditionnée par le clivage ville-campagne et clairement en faveur de cette dernière471. Cette appréhension n’est pas sans rappeler celle de Humboldt en Nouvelle-Espagne, exprimée dans des termes similaires472 et surtout dans une perspective coloniale. La province, aux yeux du voyageur, devient progressivement un centre d’intérêt et de civilisation au fur et à mesure de son émergence en tant qu’entité politique, mais aussi lorsque le voyageur s’immerge et, comme c’est le cas pour Bonpland, s’identifie à la province.

Bonpland se forge une identité culturelle, géographique fondée sur l’Interior et le fleuve, base identitaire dans une province où passer un fleuve

466 A cet égard, Bonpland s’accorde avec la majorité de ses contemporains.

467 L’Irlandais Peter Sheridan, né vers 1793, arrive à Buenos Aires en 1817. Il est avec John Harrat

un des rares Européens à introduire des moutons en Argentine à partir des années 1820, les

estancieros locaux ne s’y intéressant que très peu. Il exporte la laine vers Liverpool, profitant des

faibles droits de douane sur cette marchandise ; cf. MURRAY Thomas, The Story of the Irish in

Argentina, New York, P. J. Kenedy & Sons, 1919, pp. 40-41, 54-65, 92-93, 123-126, 186-190,

199-203 ; BETHELL Leslie, Argentina since independence, Cambridge/New York, Cambridge University Press, 1993, p. 36.

468 AMFBJAD n° 1042, Bonpland à P. Sheridan, s. l., s. d.

469 Après 1837, Pedro de Angelis prend le parti de Rosas alors que Bonpland se range aux côtés de

Ferré. En outre, l’absence des sciences naturelles parmi les préoccupations de Pedro de Angelis peut avoir joué un rôle dans cet éloignement. Entre la politique et la science enfin, l’affaire Bacle est à prendre en compte puisqu’en 1834 Angelis obtient le monopole des lithographies

bonaerenses au détriment de Bacle ; cf. SABOR Josefa Emilia, Pedro de Angelis y los orígenes de la bibliografía argentina. Ensayo bio-bibliográfico, Buenos Aires, Solar, 1995, pp. 45-46, 73-78.

470 ORBIGNY Alcide d’, op. cit., p. 467.

471 Bonpland à J. Lebreton et à Acard, Buenos Aires, 18 novembre 1818, cité in RUIZ MORENO

Aníbal, RISOLIA Vicente A., d’ONOFRIO Rómulo, op. cit., pp. 60, 63.

472 HUMBOLDT Alexandre de, Essai politique sur le royaume de la Nouvelle Espagne, Paris, Utz,

signifie changer de continent473 et sur le lien avec les villes-ports. Lors de sa première halte sur la route des Missions, le 11 mai 1821, à la poste de Las Lomas, Bonpland échange quelques mots avec le responsable du lieu, un nommé Lopez :

Ce brave maître de Poste avait formé depuis peu de jours une plantation de la plante (cactus) qui produit la figue Morique et il nous a assuré que pour obtenir promptement des fruits et pour les avoir bons qu’il fallait planter les branches qui partaient ou plutot qui cette même année avaient porté fruit. La même chose arrive chez une multitude de plantes que nous cultivons et nos jardiniers se valent de cette connoissance quand ils greffent soit pour avoir des fleurs ou des fruits et je ne cite ce fait que pour montrer qu’il y a partout des observateurs.474

Le 14 mai 1821, Bonpland se voit confirmer par le maître de poste Varrios l’intuition selon laquelle la Palma negra et blanca sont la même plante. Il se félicite de son explication « très claire et très précise ».

Ces extraits sont caractéristiques de l’empathie première avec laquelle Bonpland accueille, en bon observateur lui aussi, les remarques de ses hôtes de fortune ; il témoigne aussi de l’humanisme sur lequel se fonde sa méthode d’investigation, en cherchant aux marges de la vie policée les marques universelles de la civilisation. Il existe d’ailleurs une communauté de pensée ici avec d’Orbigny475. Le récit ne met pas en exergue l’opposition entre civilisation et barbarie, mais désire plutôt démontrer la complémentarité qui existe entre les diverses approches d’un même problème. Par ailleurs, il prend note du remède d’une correntina âgée contre une diarrhée « qui avait resisté à tous les traitements de la faculté de médecine de B. ayres476 ». L’immersion de Bonpland n’est pas limitée au substrat social dominant ; il s’enracine beaucoup plus profondément dans la structure sociale. C’est ce qui fait son intérêt car il combine plusieurs niveaux d’immersion et s’adapte au fonctionnement de la société rioplatense. Cette immersion change relativement son prisme sur les traditionnelles problématiques de civilisations.

473 Lorsque Bonpland décide d’habiter Santa Ana, le Correntino Manuel Fernández se félicite de le

retrouver « bajo un mismo continente » ; AMFBJAD n° 1434, M. Fernández à Bonpland, Esquina, 28 avril 1838 ; cf. CHIARAMONTE Juan Carlos, op. cit., pp. 78-79.

474 AMFBJAD n° 2046, voyage aux Missions.

475 Les Indiens dotent tous les animaux d’un nom générique, et souvent d’un nom d’espèce. « Tous

sont bons naturalistes », dixit ORBIGNY Alcide d’, op. cit., tome I, p. 334.

Le premier signe de civilisation est aperçu après sa sortie du Paraguay à l’estancia du docteur Acosta, à travers quelques meubles et quelques livres477. Mais c’est après San Roque que tout lui annonce un pays civilisé478. Noguera est selon Bonpland le plus moderne des estancieros de la province ; ses corrals évalués à 1 500 piastres et sa maison qui offre les commodités de celle d’une grande ville font constater à Bonpland que « c’est celui qui se traite le mieux479 ». Car on constate un changement de jugement après sa détention vis-à-vis des mœurs ; sa sentence est lourde concernant un pays où il vaut mieux vivre seul qu’en société480. En 1832 il espère revenir en Europe « et y vivre au milieu de la civilisation481 ». En passant devant Purificación la même année, il aperçoit l’ancienne maison d’Artigas :

c’est bien d’un Español avec tant de monde et dans un laps de temps si grand de n’avoir pas terminé ce petit edifice et de n’avoir pas logé ses officiers et ses troupes d’une manière convenable482.

Le Paraná, axe fluvial primordial, demeure non cartographié, ce qui prolonge « une habitude de 3. siècles » funeste à l’activité économique qui, pour sa part, se développe de manière incalculable483. Doit-on attribuer à Bonpland les réflexions similaires émises par Darwin, lors de son voyage sur le Paraná ? Car l’Anglais, après avoir brossé le portrait de l’indolence espagnole sur ce point, regrette l’abandon dans lequel est laissé un pays tant vanté par Bonpland484. Sans aller jusqu’à affirmer l’influence de Bonpland, on s’aperçoit qu’il existe des points communs évidents, partagés d’ailleurs par l’ensemble des Européens, concernant la liberté de navigation.

477 « la maison sa distribution, son ameublement rapellent l’europe plus une petite bibliotheque qui

renfermant quelques livres de jurisprudence m’ont fait passer un heureux moment. Depuis 10 ans je n’avais pas vu un seul livre », AMFBJAD n° 1695, voyage de São Borja à Corrientes, 26 décembre 1831.

478 « les habitations sont plus raprochées et les terres cultivées. J’ai vu de la canne à sucre bien

petite, des champs de patate douce, très peu de mandioca », AMFBJAD n° 1695, voyage de São Borja à Corrientes, 4 janvier 1832.

479 AMFBJAD, n° 1719, voyage de Concordia à Curuzú Cuatiá, 23 mai 1837.

480 Bonpland à Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cité in HAMY Théodore Jules Ernest, op.

cit., p. 90.

481 AMFBJAD n° 567, Bonpland à F. Dickson, Buenos Aires, 27 mars 1832. 482 AMFBJAD n° 1698, voyage de Buenos Aires à São Borja, 25 octobre 1832.

483 Aussi « il serait digne d’un Gouvernement éclairé de faire lever un plan exact du Parana »,

AMFBJAD n° 1713, journal, Corrientes, octobre 1836.

484 DARWIN Charles, op. cit., tome I, pp. 152-153. L’auteur poursuit sa critique en dénonçant le

manque de maturité politique de ce pays, « comme tous les Etats espagnols de l’Amérique du Sud ».

Comme d’Orbigny, Bonpland nuance son propos. En 1836, à peu de distance de la frontière brésilienne, il rencontre un couple paraguayo-brésilien : « l’homme et la femme sont entièrement devenus Correntinos485 », constate-t-il sans en préciser les caractères. D’Orbigny les définit pour sa part apathiques et indolents dans le domaine de la mise en valeur des terres486. Il précise que les habitants du Sud de Corrientes sont plus joueurs, moins francs et simples que ceux du Nord et ont la haine de l’étranger ; ceux de Curuzú Cuatiá ont pris les mœurs brigands de l’Entre Ríos. Mais le voyageur leur concède un degré moindre de superstition et une douceur de caractère due peut-être au mélange avec les Guaranis487.

Au cours des années 1830, Bonpland apprend à nuancer ses propos. Un maître de poste provoque dès 1832 un commentaire élogieux de la part du voyageur qui insiste une nouvelle fois sur son degré de civilité488, tout comme Saint-Hilaire dix années plus tôt489. En 1837 la poste de San Lorenzo est digne d’éloges :

ainsi que de coutume j’ai été très bien traité […] la china de ce lieu représente parfaitement nos meilleurs aubergistes. l’homme seul qui voyage en Amérique peut aprecier ce que vaut un bon accueil, une bonne réception.490

Certes, toutes les postes ne se valent pas, mais une nuance existe au contraire d’autres récits, notamment par une relative absence de la généralisation et du jugement comparé entre l’individu et la société comme dans le cas du récit des Robertson qui reprennent l’image d’une civilisation dans son enfance, presque au

485 AMFBJAD n° 1711, voyage de São Borja à Corrientes, 16 septembre 1836.

486 ORBIGNY Alcide d’, op. cit., tome I, 1835, pp. 138, 143. Cette remarque concerne

l’assèchement des terres, et l’on peut penser que Bonpland soucieux de développement le rejoint sur ce point.

487Ibid., pp. 118, 123, 146, 180, 368-388, 413.

488 « Le maître de poste de Pay Ouvré est un de ces vieux mulâtres civilisés qui accueillent bien

les voyageurs. Ce brave homme me fit comble de politesse et m’obligea a dormir dans sa maison ». La nuit suivante il est accueilli avec la même hospitalité par des particuliers ; AMFBJAD n° 1695, voyage de São Borja à Corrientes, 31 décembre 1831 et 1er janvier 1832.

489 SAINT-HILAIRE Auguste de, Viagem ao Rio Grande do Sul (1820-1821), São Paulo, Itatiaia,

1974, pp. 19, 24.

490 AMFBJAD n° 1719, voyage de Concordia à Curuzú Cuatiá, 17 avril 1837. Les mêmes

impressions se retrouvent chez l’ensemble des voyageurs. Cf. par exemple DARWIN Charles, op.

stade de la barbarie, et encore plus tard par d’Orbigny qui évoque des vestiges de civilisation491.

Au contraire, le botaniste écrit de manière pointilliste ses remarques. A propos des Marques nouvellement installés près de l’Uruguay, il écrit sa joie de voir chez eux une bibliothèque, de la « moutarde de Maille », du « très beau sucre de betterave » et du « champagne délicieux492 ». C’est tout le contraire de d’Orbigny qui résume les mois passés dans la région de Corrientes par ce jugement laconique :

Je n’ai pas besoin de dire tout ce que j’ai souffert. Vous pouvez seulement vous en faire une idée, voyageant dans des lieux encore sauvages ou habités par des Indiens ou des Espagnols qui ne valent guère mieux.493

La faible dichotomie narratrice est certainement une caractéristique essentielle du récit légué par Bonpland. A la différence de ses contemporains494, peu de généralisation, peu de comparaisons avec l’Europe transparaissent dans ses journaux ; On ne peut s’empêcher de comparer ces annotations à celles de Humboldt, empreintes d’une volonté de classification qui donne à son récit toute sa profondeur ou bien encore, à la relation d’Auguste de Saint-Hilaire, désavouée par ailleurs par Bonpland495.

Les jugements vis-à-vis des festivités et du décorum, le regard porté sur les traditions culturelles sont importants à relever dans la mesure où ils sont significatifs du degré d’immersion et de compréhension des voyageurs. Ceux-ci se montrent la plupart du temps très critiques lorsqu’ils se trouvent confrontés aux

491 ROBERTSON John et William Parish, Cartas de Sudamérica, Buenos Aires, Emecé, 2000

(1843), pp. 54-59 ; ORBIGNY Alcide d’, Viaje por América meridional, Buenos Aires, Emecé, tome I, 1998, pp. 143-144.

492 Il décrit aussi des roues en fonte et des plaques de tôle pour couvrir les maisons et en relève leur

« curiosité » ; AMFBJAD n° 1717, voyage dans la province de Corrientes, 11 juin 1837.

493 A. d’Orbigny aux professeurs administrateurs du Muséum, 16 septembre 1828, cité in

BERAUD Gilles (éd.), MIRET Enric, DORY Daniel (coll.), op. cit., p. 35.

494 Et à la différence de nombreux auteurs attribuant à Bonpland des intentions non vérifiables, et

bien souvent anachroniques. L’utilisation du manuscrit n° 1653 par Guillermo Furlong en est un bon exemple. En effet, l’auteur utilise les propos tenus dans celui-ci pour justifier l’attitude du naturaliste lors de son voyage de 1820-1821. Or, si nous admettons la postériorité de ce document, il s’agit alors d’une faute de jugement. S’il faut reconnaître la carence documentaire de cette période, il ne faut surtout pas déplacer les sources, au risque de perdre tout le sens de l’expérience de Bonpland. Sachons tirer parti rarement des rares témoignages de voyageurs parvenus jusqu’à nous sans avoir été remaniés par la publication ; FURLONG Guillermo, « En el centenario de Aimé Bonpland, 1858-1958 », in Anales de la Academia de Ciencias Exactas Físicas y Naturales

argentina de Geografía, tome XV, n° 2, 1958, pp. 64-65.

495 Bonpland à Humboldt, Buenos Aires, 12 juillet 1832, cité in HAMY Jules Théodore Ernest, op.

coutumes étrangères. Les divertissements de la fête « que ne justifieraient pas l’ignorance et la grossièreté des siècles de barbarie », les solennités transatlantiques du 25 mai sont perçus par d’Orbigny comme une « espèce de parodie des mœurs et des usages de l’ancien monde sur le territoire du nouveau496 ». La compréhension de ces rituels sociaux sont encore définies comme des soirées « à demi barbares » s’expliquant par « l’état relatif de la civilisation497 ». Au contraire, Bonpland trouve la fête de Mercedes donnée à Corrientes « brillante498 », et même si les toasts portés à Curuzú Cuatiá au soir du 24 mai 1837 sont médiocres, les menuets fastidieux – danses locales mieux exécutés – la commission chargée des décorations « avait surpasé les desirs de tout le monde499 » ; à Salto le bal en l’honneur de Ferré est jugé « très bien500 ». Les parallèles avec l’Europe vont jusqu’à comparer les lieux les plus symboliques :

Sta Lucia est le versaille, le Meudon, le Montmorency de Montevideo.

C’est le Lieu d’adoption pour les bains, les promenades des riches501. L’opposition classique et lapidaire entre sauvagerie et civilisation fait place à une perception fine de la part du botaniste.

CONCLUSION

Le Français, confronté aux conflits internes et externes du Río de la Plata, construit son discours américaniste à partir d’une utopie partagée par l’Europe et les républiques de la Plata, de la reconnaissance de ces républiques par la France et de la confrontation entre la France et un gouvernement rioplatense. Entre persistances et changements, Aimé Bonpland se confronte et s’adapte à l’américanisme rioplatense en gestation. La combinaison de sa dimension internationale, nationale et provinciale permet de relier réseaux, discours et pratiques grâce à la position médiane du savant. Son réseau français, mais aussi une partie de ses interlocuteurs américains, le confortent dans sa perception d’une

496 ORBIGNY Alcide d’, op. cit., tome I, 1835, p. 135. 497Ibid., pp. 137, 204, 210.

498 AMFBJAD n° 1711, voyage de São Borja à Corrientes, 24 septembre 1836. 499 AMFBJAD n° 1719, voyage de Concordia à Curuzú Cuatiá, 24-25 mai 1837.

500 AMFBJAD n° 1743, journal, voyage de Santa Ana à l’Entre Ríos, 18 septembre 1842. 501 AMFBJAD n° 1740, voyage de Montevideo à Corrientes, Santa Lucía, 1er janvier 1841.

France devant servir de modèle et ayant le devoir de l’imposer au Río de la Plata. Entouré de bonapartistes et surtout imprégné de cette culture politique, son discours se fige autour des valeurs véhiculées par le Premier empire. Dans ses pratiques politiques il adopte une posture pragmatique, commençant à s’engager localement et assez faiblement vis-à-vis des autorités correntinas. Si aucune source ne prouve qu’un rôle politique est joué par le savant auprès de son pays, il se rapproche très fortement d’Aimé Roger avec lequel il projette – sans succès – une entreprise économique. En ce sens il tente de faire ce qu’il écrit en 1815, à