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Les statuts actuels des occupants

Vers l’instrumentalisation de la culture off dans les politiques

D. Comment pérenniser l’occupation ?

1. Les statuts actuels des occupants

a. Des conditions d’occupation précaires et variées

Lors de l’arrivée des premiers occupants, le site du 91, quai de la Gare appartenait au domaine public ferroviaire de la Sncf. Le domaine public correspond aux lieux abritant des activités d’intérêt général ou accueillant du public dans le cadre de missions de service public. Le caractère de domanialité publique entraîne un certain nombre de prescriptions : l’inaliénabilité (il ne peut être cédé) et l’imprescriptibilité ou intangibilité (pour sortir du domaine public, il doit faire l’objet d’une procédure de déclassement). Les droits d’occupation du domaine public doivent être compatibles avec la prescription de protection du domaine public. Les locataires du 91, quai de la Gare ont donc signé avec la Sncf des conventions d’occupation du domaine public. Celles-ci ne leur accordent pas de droits réels sur les biens qu’ils occupent120 ; elles les confinent également dans une relative précarité puisque, pour un motif d’intérêt général, le propriétaire a la possibilité de résilier les conventions d’occupation. En contrepartie, le propriétaire doit verser une indemnisation à l’occupant pour réparer le préjudice lié à l’expulsion.

D’autre part, si les premiers locataires ont bénéficié de loyers attractifs et très bas, le gestionnaire a progressivement réévalué les loyers au fil du temps pour les nouveaux arrivants. Il existe une disparité forte des loyers en fonction de la date d’installation dans les lieux. Les plus anciens et les plus installés (voire, pour les artistes, les plus reconnus) paient des loyers beaucoup plus bas que les locataires les plus récents. Certaines pratiques illicites lors des transferts de baux semblent également avoir cours, comme la sous-location non déclarée et le paiement d’un « droit d’entrée ». Ces situations illégales génèrent des situations de précarité extrême et posent le problème du transfert des droits d’occupation : à qui accorder les nouveaux droits d’occupation ?

b. Changement de propriétaire et permanence des statuts

En 1997121, RFF est devenu le propriétaire de l’ensemble du domaine ferroviaire (réseaux et bâtiments) ; mais la Sncf est restée gestionnaire de certaines infrastructures, dont le bâtiment des Entrepôts Frigorifiques. Pour ce dernier, elle avait délégué, dès 1986, la gestion du bâtiment à un syndic de copropriété, la Sogamen (recouvrement des loyers, entretien courant, sécurité, gardiennage). La Sncf a toujours manifesté sa volonté de céder ce site ; d’autant plus que, jusqu’en 1997, le devenir du bâtiment était incertain. Ainsi, elle n’a pas réalisé d’investissements ni d’importants travaux de rénovation, se contentant d’interventions ponctuelles et d’une gestion intérimaire. En particulier, elle n’a pas effectué les travaux de mise aux normes de sécurité incendie ni cherché à régulariser les situations illégales.

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Cela signifie qu’ils ne peuvent ni céder ni transmettre le bien à leur descendance. 121

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Une des missions de RFF étant de valoriser le patrimoine ferroviaire, RFF souhaite vendre les Entrepôts Frigorifiques ; comme cela est prévu par la convention de création de Zac (droit de délaissement), elle met en demeure la Ville d’acheter le bâtiment, par lettre le 12 mars 1999. Par ses engagements précédents, la Ville est plus ou moins contrainte de le racheter, sans enthousiasme vu les conflits qui l’opposent aux associations. Le 5 octobre 2000, le Maire de Paris (Jean Tiberi) informe RFF par courrier de sa décision d’acquérir le bâtiment des Entrepôts Frigorifiques. Une lettre du 26 janvier 2001 précise les modalités de ce rachat. Suite à une évaluation du service des domaines, le 24 février 2003, le Conseil de Paris acte l’achat de l’ensemble immobilier situé 91, quai Panhard et Levassor pour un montant de 5,7 millions d’euros122. Ce prix intègre une remise d’un million d’euros correspondant au coût estimé des travaux de mise en conformité, non réalisés par le propriétaire précédent. A l’issue de cette cession, les conventions d’occupation ont été transférées, telles quelles, au nouveau propriétaire, la Ville. C'est-à-dire, les situations des différents occupants n’ont pas été renégociées ni régularisées, dans l’attente de la définition des nouveaux statuts. De plus, la Régie Immobilière de la Ville de Paris (Rivp) a été mandatée pour réaliser les travaux de mise en conformité et de sécurité incendie sur le bâtiment123.

c. Les artistes : créateur de valeur ?

Le prix d’achat par la Ville est important pour les occupants car le montant des loyers futurs (ou des prix de ventes s’il y avait lieu) serait basé sur ce prix, afin d’assurer l’équilibre financier de l’achat et de la maintenance du bâtiment. Or les associations contestent l’estimation réalisée par les services fonciers. Selon elles, la valeur du bâtiment n’excède pas 10 millions de Francs (1,5 millions d’euros). Elles considèrent que le prix concédé par la ville ferait bénéficier RFF des améliorations et travaux de confort et d’habitabilité du bâtiment effectués par les occupants124. Elles s’estiment d’autant plus lésées que selon elles, la valeur du bâtiment est appréciée par leur présence et leurs activités : la qualité et la nature de leurs activités valoriseraient le bâtiment.

[M. Gérard (association des locataires)] considère la rareté de ce bâtiment comme le résultat de la destruction massive sur le territoire parisien des sites de production. Il rappelle qu’en 1998, les sommes liées aux travaux d’aménagement intérieur, additionnées aux loyers payés par les occupants aveint été estimées à 55MF. Au sujet du prix de vente, il rappelle qu’une décote de 30% est usuellement pratiquée par les experts immobiliers quand il s’agit d’un immeuble vendu occupé. Au pur sens économique, le prix actuel du bâtiment est forcément dû à la qualité des acteurs du « 91 quai de la Gare » et des travaux réalisés : il est aussi lié aux actions et réactions possibles de ces mêmes acteurs. »

Compte rendu de la réunion de groupe de travail le 15 novembre 2000 (surligné dans le document).

Ce qu’ils n’arrivent pas à comprendre, c’est qu’ici, encore une fois, on est arrivé spontanément, sur une annonce, que rien n’a été prévu, que nous avons tout prévu et tout financé, tout financé intégralement, ce bâtiment a pris de la valeur avec notre argent et notre travail puisque c’était rien. C’était vide et inutilisable au début. […]

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Décision DAUC 20. Lors des débats afférents à cette question, on peut remarquer une tension au sein de la majorité entre les Verts « parisiens » et le conseil du 13ème arrondissement, Verts compris.

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Décision du conseil de Paris du 16 juin 2003, DAC 36. Le coût des travaux est estimé à 1,5 millions d’euros (soit 500 000 euros de plus qu’au moment de la vente).

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Nous, on a coûté zéro centime à la collectivité. C’est exceptionnel. Ce bâtiment valait un franc. Un franc symbolique à l’époque. C’était le prix de la Sncf. Après, ils ont eu l’idée de louer, donc tout d’un coup ça valait déjà quelque chose. Après nous, on a mis 18millions de francs dans les travaux. Donc, ça valait encore plus. Et tout d’un coup, ça valait 42 millions que la Ville a payés pour l’acheter à RFF. C’est parce qu’on a mis du pognon dedans. Sinon, il n’y avait que la valeur du terrain, pas le bâtiment. Le bâtiment était inutilisable, inutilisable. Donc, tout ça, il faut le remémorer. Qui a donné la valeur à ce lieu, et culturel, et économique et de tout point de vue ? Et qu’est-ce qui fait que le lieu est rentable ? Donc, quand la Ville dit : on vous donne un contrat sur trois ans, on a dit non. On a rien signé, on attend, et on discute. Parce que c’est inacceptable ce qu’ils proposent, inacceptable

Jean Paul Réti, fondateur et ex-président d’Apld 91, (souligné par moi)

Lors de nos entretiens, les responsables associatifs ont également développé un autre discours pour minimiser le coût pour la collectivité. Il s’agit de calculer le bilan financier de la gestion quotidienne du bâtiment sans prendre en compte l’amortissement du coût d’investissement. Ainsi, il apparaît que le bilan Loyers/Charges de fonctionnement est excédentaire ; ce que les associations traduisent par « rentable ».

[…] en s’appuyant sur des dossiers que la Ville a fait faire, […] ici, on est rentable. Donc on ne coûte rien à la Ville, on rapporte de l’argent à la Ville. […] on montre que si on fait un truc recettes/dépenses, hors achat puisque l’achat pour la Ville c’est un placement, elle pourra vendre plus cher si elle veut, donc, or achat, le quotidien, les entrées et les sorties, la Ville gagne de l’argent, même avec un taux d’impayés. Si on fait, si on prend d’autres modes de calculs intégrant d’ailleurs des travaux non financés hors ce que la Ville a récupéré de la SNCF, ça reste encore excédentaire. C’est intéressant, ça. Donc, pour le prix au m², on dit à la Ville : analysons ces documents, il en sortira le prix au m².

Jacques Limousin, président de l’Association des Locataires

Ces (obscurs) calculs résultent-ils d’une incompétence ou d’une incompréhension de la part des associations ? Ou s’agit-il plutôt de stratégies ayant pour objectif de minimiser le montant futur des loyers125 ?

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