• Aucun résultat trouvé

L’influence des associations d’habitants sur les projets urbains

Vers l’instrumentalisation de la culture off dans les politiques

C. Un quartier déprécié surinvest

3. L’influence des associations d’habitants sur les projets urbains

Ce secteur très dégradé et déprécié fait l’objet de plusieurs opérations de réhabilitation de l’habitat, de nature et d’opérateurs différents : une Opération programmée d’amélioration de l’habitat (Opah) sur le secteur la Chapelle ; plusieurs opérations de résorption d’habitat insalubre (Rhi : démolition-reconstruction) sur l’îlot Caillié, le passage Groix et l’impasse Dupuy, avec la création de logements sociaux et en accession sociale à la propriété (opérateurs : Siemp et Sagi). Outre les actions sur l’habitat, le secteur connaît aussi plusieurs projets de création d’équipements (Zac Pajol et Jardin d’Eole), où la mobilisation des habitants a été très influente voire décisive. Ces projets s’inscrivent, avec le 104, dans une dynamique globale de

173

Lors du Forum Social Européen de Saint Denis en octobre 2003, le collectif no-vox (les sans-voix : sans papiers, sans logement, sans travail…) ont envahi le bâtiment Point P, réclamant des locaux pour leurs activités associatives, au moment même où Usines Ephémères devait emménager. Le choix d’Usines Ephémères pour l’occupation et la

167

redynamisation du quartier174. Ils révèlent également la place des associations de riverains dans la « concertation ». Cette dernière n’est pas comprise comme un dialogue, une écoute des désirs et des besoins de l’ensemble des habitants, mais comme un moyen d’éviter les conflits et les recours contentieux sur un projet. La réalisation de certaines demandes des riverains est une manière d’accélérer les procédures et la mise en œuvre des opérations ; ce que les fonctionnaires de la ville interrogés expriment pudiquement par : « il y a un portage politique fort».

a. Un jardin après les trains

La Cour du Maroc est une large friche ferroviaire, avec quelques hangars désaffectés parfois squattés par des sans domicile fixe ou des drogués. Elle a été utilisée pendant les travaux du Rer Eole pour entreposer du matériel, provoquant de nombreuses nuisances sonores pour le voisinage. En 1992, déjà, Daniel Vaillant (chef de l’opposition socialiste de l’arrondissement et candidat aux élections législatives), avait proposé de transformer ce site en jardin à la fin des travaux d’Éole, d’en faire des « Jardins d’Éole ». Mais après la fin du chantier, la Sncf avait pour projet de céder le terrain à des entrepreneurs, en particulier à l’entreprise Tafanel, déjà implantée sur la parcelle limitrophe au nord. Les riverains se sont vivement opposés à ces projets en créant, en 1997, l’association « Les jardins d’Eole ». Par l’organisation de fêtes sur le site, la signature de pétitions, des lettres ouvertes, l’association n’a cessé de mettre D. Vaillant, élu maire en 1995, face à ses déclarations.

C’est avec le changement de majorité municipale en 2001 que ce projet de jardin renaît : le Jardin d’Eole devrait même devenir « le grand espace vert de la mandature ». Un processus de concertation a été mis en place, et, à l’issue d’un appel d’offre, l’équipe du paysagiste Corajoud a remporté le marché de réalisation de cet espace qui aura une double vocation : créer un espace vert de proximité et désenclaver le secteur en requalifiant le cadre de vie. Par la présence du Cirque Electrique avant le chantier, la requalification symbolique du secteur semble commencer : le nom de « jardin d’Eole » sera peut-être abandonné au profit de « jardin de la cour du Maroc », rappelant le nom du site du Cirque Electrique.

b. Cas particulier de la Zac Pajol

La plus grosse opération du secteur, tant en termes de surface que d’équipements créés, est la réalisation de la Zac Pajol, de l’autre coté des voies ferrées.

(1) Histoire

Le site de la Zac Pajol est constitué principalement d’une vaste halle, d’un ancien bâtiment administratif (occupés par des associations et des artistes) et de terrains ferroviaires. En 1994, la Ville de Paris a ébauché un premier projet d’aménagement, centré sur la démolition de l’existant et la construction de six cent nouveaux logements et de très peu d’équipements. Les riverains ont vivement réagi et se sont organisés en association (association La Chapelle). Par la

gestion de cet espace est très controversé, d’autres associations se sentant lésées par des modalités d’attribution peu claires et un choix ne correspondant pas aux propositions du Conseil de Quartier.

174

La coordination des différents projets est assurée par la Direction de l’urbanisme. Mais chaque maître d’ouvrage délégué n’a que peu d’informations sur les projets et aucune réunion de coordination n’a lieu (Pajol : Semaest ; RHI : Siemp et Sagi ; cour du Maroc : Direction des parcs et jardins ; 104 : Direction des affaires culturelles et Direction architecture et patrimoine).

168

mobilisation de cette association, la Zac a été annulée, et le projet d’aménagement du secteur a été oublié.

Après l’élection de Bertrand Delanoë en 2001, les études d’aménagement ont été relancées. La première Zac a été supprimée pour en créer une nouvelle ; la Semaest (Société d’économie mixte d’aménagement de l’est parisien) a été mandatée pour concevoir et réaliser cette Zac. Une des premières propositions était de reloger les services fiscaux de l’arrondissement sur ce site. Mais cela a provoqué le mécontentement des associations de riverains qui, tout en étant conscientes d’un certain nombre de contraintes pour la Ville (notamment financières), s’opposent systématiquement à la réalisation de locaux d’activité:

Il y avait un projet de regroupement des services fiscaux […] ça aurait permis d’équilibrer l’opération en terme d’aménagement, mais ça répondait absolument pas aux besoins du quartier.

Jérôme Lazerge, association Cactus

Qu’est-ce que « les besoins du quartier » ? En quoi les associations de riverains sont-elles légitimes pour décider ce dont le quartier aurait besoin ? Nous verrons par la suite que les associations de riverains militent pour l’amélioration du cadre de vie entendu comme un apport de services et d’équipements valorisants pour le quartier et le refus de toute création de logements ou de bureaux. Cette vision de la ville et de l’aménagement du quartier Chapelle est très écoutée par la mairie qui, progressivement, change le programme en vue de la réalisation de quatre objectifs principaux : redynamiser le quartier, créer des « respirations » (notamment par la création d’un nouvel espace vert), répondre à la demande des habitants en créant des équipements de proximité, apporter la mixité dans la Zac. Se basant sur les conclusions d’états généraux de quartier réalisés en 2002 et sur les réflexions des conseils de quartiers, et cherchant à répondre aux demandes de certains acteurs économiques, le programme de la Zac est peu à peu établi autour des éléments suivants : une auberge de jeunesse de deux cent cinquante lits175, un espace vert de un hectare, un gymnase, un collège, un IUT, une bibliothèque, des locaux d’activité (6000m²), des locaux pour les services techniques de la ville et des « espaces

mutualisés », c'est-à-dire un pôle de restauration, un café, des salles de réunions et une salle de

spectacle communs au collège, à l’IUT, à l’auberge et aux habitants, dont la gestion serait déléguée à la Fuaj, afin de limiter les doublons.

Afin de réaliser ce programme conséquent, la première solution envisagée était la plus simple et la moins coûteuse : démolir la halle et construire des bâtiments neufs. Techniciens et élus n’avaient pas ressenti le besoin de conserver cette halle sans valeur patrimoniale particulière et au volume imposant. C’était sans compter les associations de riverains qui voient à travers la Halle Pajol un symbole de l’histoire du quartier, soutenus en cela par les Verts, grands défenseurs du patrimoine industriel parisien. Lorsque, lors d’une réunion de concertation, le 12 décembre 2002, les urbanistes de la ville ont présenté trois scénarios d’un premier projet où la halle était plus ou moins partiellement détruite, un collectif d’associations a répliqué par une

175

La création de l’auberge de jeunesse répond à une demande de la Fédération Unies des Auberges de Jeunesse qui manque de structures d’accueil à Paris. Pour la Ville, l’auberge de jeunesse apporterait une nouvelle forme de mixité dans le quartier : des jeunes, venus du monde entier, circuleront et consommeront dans le quartier. L’auberge de jeunesse devient progressivement le pivot de l’opération, tant du point de vue des surfaces utilisées que du rôle de la Fuaj pour la gestion du site (les espaces mutualisés). Notons que le siège social de la Fuaj se situe rue Pajol.

169

présentation différente de la halle, la mettant en valeur et « prévisualisant » son devenir possible.

(2) Il faut sauver la cathédrale Pajol !

Plusieurs associations du quartier se sont regroupées au sein de la Coordination Espace Pajol (Cepa), et ont créé une « Cellule de prévisualisation du site Pajol » à laquelle participent des habitants (ayant par ailleurs des compétences particulières en architecture ou urbanisme). Déjà, lors du premier projet de Zac en 1994, les associations ont été très actives et ont fait annuler le projet. Echaudée par cette expérience, la Ville a rapidement considéré la Cepa comme un interlocuteur incontournable de la concertation. Un dialogue « de qualité » (d’après L. Heurteur) s’est établi entre la Cepa, la Semaest et la Mairie. Cette qualité du dialogue est possible car les interlocuteurs associatifs sont relativement compétents, très informés et surtout permanents et assidus : « c’est pas des gens qu’on peut rouler dans la farine » (Laurence Heurteur, chargée de mission à la Semaest). Les associations sont d’autant plus motivées qu’elles ont le sentiment que leur quartier a été délaissé et volontairement déprécié pendant des années. Selon elles, intervenir dans le quartier La Chapelle en exécutant les demandes des riverains est un devoir pour la ville. Le désengagement de la municipalité dans le quartier légitimerait aujourd’hui les associations et les habitants à prendre part aux décisions d’aménagement et justifierait des orientations d’aménagement choisies par eux. Ces orientations se heurtent pourtant à des réalités économiques et à des logiques d’aménagement globales. Selon la Cepa, la halle Pajol aurait des qualités architecturales, notamment de beaux volumes intérieurs et serait porteuse de l’image et de l’identité du quartier. Elle serait une sorte de cathédrale ferroviaire dans un quartier de cheminots [sic]. Ce besoin de conserver l’existant semble rejoindre une crainte vis-à-vis des constructions nouvelles et de l’architecture contemporaine.

Pourquoi est-ce que vous ne vouliez pas tout raser ?

Siska Pierard : c’est de la provoc’ là ? C’est une superbe cathédrale. Il y a des tas de choses à faire un petit peu originales. J’ai pas du tout envie qu’on nous casse ça pour nous mettre des immeubles neufs qui ne sont pas forcément de bonne qualité et qui vont totalement annihiler l’histoire du quartier. On est quand même un quartier qui a une histoire forte. Pourquoi détruire ça ? Non.

Vous me dites, c’est porteur de l’histoire du quartier. Mais quelle histoire ?

Jérôme Lazerge : l’histoire ferroviaire. Il faut savoir quand même qu’on est entre les deux faisceaux de la gare du nord et de la gare de l’est, qu’il y a énormément sur le nord du quartier, d’immeubles qui sont de la sablière, donc la société Hlm de la Sncf, que nombre d’habitants du quartier s’ils ne travaillent plus, ont travaillé à la Sncf. C’est leur histoire.

Siska Pierard et Jérôme Lazerge, Association Cactus

La première revendication de la Cepa était de conserver et mettre en valeur la halle Pajol en y réalisant « un projet de dimension parisienne, « un projet phare », comme celui du 104, rue

d’Aubervilliers » (Compte-rendu de la réunion de concertation du 12 décembre 2002). Leur

modèle est celui de la requalification de l’usine Lu à Nantes en Lieu Unique (document présenté par la Cepa le 12 décembre 2002). La Cepa a progressivement (et à contrecœur) compris que réaliser un autre projet culturel phare à cent cinquante mètres du 104 rue d’Aubervilliers était incohérent et irréaliste. Par contre, l’idée de conserver la Halle a rapidement trouvé écho à la

170

mairie, qui en a fait l’objet de construction d’un compromis entre les demandes des associations, les besoins en équipements et les contraintes de la municipalité.

[Les élus] ont pris conscience qu’on ne pouvait pas démolir en totalité la halle, qu’il y avait effectivement des beaux volumes à l’intérieur, que ça pouvait donner un cachet au quartier.

Frédéric Bourcier, Chargé de mission au cabinet du maire du 18ème arrondissement

Ainsi, la Halle Pajol sera conservée en grande partie dans le projet final ; le surcoût pour la collectivité engendré par ce choix architectural n’émeut pas les associations :

Caffet nous le dit tous les jours, chaque fois qu’on se voit : vous savez, vous nous coûtez cher. Oui, on sait, on s’en fout !

Siska Pierard et Jérôme Lazerge, Association Cactus

Les responsables associatifs sont pourtant déçus car certaines travées seront détruites, qui plus est pour permettre la réalisation d’une partie du programme qu’ils ne jugent pas prioritaire : le gymnase176.

(3) Projet

La conservation d’une grande partie de la halle complique le projet car l’intégration de tous les éléments du programme parait impossible. Une solution innovante a été proposée : la réalisation d’une partie de l’espace vert sous la halle, créant un « forum paysager ». La halle sera divisée dans sa longueur en une partie construite (comprenant l’auberge de jeunesse, la bibliothèque, les espaces mutualisés) et une partie ouverte pour accueillir le jardin.

Cette Zac sera très déficitaire pour la Ville177, d’autant que les surfaces de locaux d’activités sont régulièrement réduites. D’une part, les associations demandent sans cesse que le programme de locaux d’activité soit réduit et que le bâtiment prévu soit redimensionné. Elles ne semblent pas comprendre l’intérêt de développer des activités économiques sur le secteur, tant pour la création d’emplois que pour l’animation et la circulation en journée sur le site. D’autre part, le secteur n’est pas très attractif pour les entreprises. La Semaest enregistre peu de demandes de locaux, et la seule piste sérieuse, pour l’instant, est un établissement médicalisé. Nos interlocuteurs ont défendu que la baisse du programme d’activité sur Pajol n’était pas liée à la difficulté d’attirer des entreprises mais aux demandes répétées des associations. Pourtant, cette question de la création de locaux d’activité est un point sensible dans plusieurs opérations d’aménagement car il soulève trois enjeux majeurs : l’équilibre financier de l’opération, la difficulté d’attirer des entreprises dans des zones sensibles et le refus de beaucoup d’association à la création de nouveaux bureaux à Paris.

Est-ce que vous avez des difficultés à trouver des entreprises pour venir s’installer sur ce secteur ?

C’est clair que personne ne vient taper à notre porte. Ca c’est sur.

Laurence Heurteur, chargée d’opération à la Semaest

Sans nul doute, le projet actuel est séduisant. Mais à quel prix ? Et pour la réalisation de quels intérêts ?

176

La question du gymnase sera développée plus loin. 177

La Halle Pajol est en cours de rachat par la Ville à RFF pour un montant de 33,5millions d’euros. Une des conditions de la transaction est le départ des occupants actuels ; la Ville ne souhaite pas assumer la responsabilité de leur délogement.

171

Fig. 11. La « cathédrale » Pajol

Source : Cyril Cavallé, http://carlos-regazzoni.blogspirit.com/

Fig. 12. Le principe du forum paysager

172

Outline

Documents relatifs