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La municipalisation des politiques culturelles

Vers l’instrumentalisation de la culture off dans les politiques

C. La culture comme stratégie urbaine

1. La municipalisation des politiques culturelles

L’origine des politiques culturelles des villes s’articule autour de trois moments idéologiques et historiques (Saez, 2005b). Au XIXème et XXème siècles, la vie culturelle traditionnelle locale était organisée autour de quelques grandes institutions, lieux de sociabilité de la bourgeoisie. Au cours du XXème siècle, les associations d’éducation populaire ont portée une aspiration au partage culturel devenue de plus en plus légitime après le Front Populaire et la Libération. Depuis 1958, l’action volontariste de l’Etat de création de nouvelles institutions (Maison de la Culture) s’est faite en partenariat avec les collectivités locales. Dès lors, les politiques culturelles locales n’ont cessé de s’autonomiser et de définir leurs propres orientations

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politiques, même si celles-ci se contentent le plus souvent de singer les politiques nationales ou les stratégies d’autres villes.

a. La montée en puissance des collectivités locales

Dès les années 1960, certaines municipalités, plutôt à gauche, ont voulu se démarquer de la politique ministérielle en créant leurs propres lieux culturels (les centres culturels communaux), et en développant une ligne politique plus ancrée dans l’éducation populaire. Regroupées au sein de la Fédération Nationale des Centres Culturels Communaux, elles faisaient valoir leur capacité à proposer une politique différente, en opposition avec la vision élitiste de l’Etat. Au cours des années 1970, et surtout après 1977 et la conquête de nombreuses municipalités par la gauche, la tendance à la mise en œuvre de politiques locales, notamment culturelles, s’est amplifiée. Cette municipalisation des politiques culturelles articule trois types d’évolution : • L’institutionnalisation de l’intervention municipale, c'est-à-dire la création de services

dédiés à la culture au sein de l’administration municipale voire la nomination d’un adjoint à la culture ;

• Le volontarisme culturel municipal, par la hausse des budgets alloués à la culture et les subventions aux associations « culturelles » ;

• La formation d’un champ culturel local par la mise en relation et en réseaux des acteurs locaux du milieu culturel et des institutions culturelles déconcentrées (Drac) et locales. Cette municipalisation est encouragée par la démarche partenariale de l’Etat dans la mise en œuvre des Maisons de la Culture. La politique culturelle est un des champs d’action publique où ont été expérimentées la décentralisation et la contractualisation. Progressivement, de nouvelles compétences ont été développées au sein des administrations locales. Les municipalités ont acquis une autonomie de plus en plus importante vis-à-vis de l’Etat et de l’administration centrale grâce à l’apprentissage d’une triple expertise :

• La connaissance des milieux culturels et artistiques, de leur fonctionnement et de leurs acteurs ;

• La connaissance du fonctionnement de l’administration du Ministère, pour la mise en œuvre de projets et l’obtention de financements ;

• L’apprentissage des conditions techniques et économiques spécifiques du montage de projets culturels.

Aujourd’hui, la réalisation d’une politique culturelle locale met en présence de multiples réseaux d’acteurs, impliquant, selon Guy Saez, la mise en œuvre d’une véritable « gouvernance culturelle territoriale des villes » (Saez, 2003 : 202). Cette gouvernance culturelle met en présence des acteurs locaux (les élus et techniciens municipaux, les autres collectivités territoriales, les publics, les professionnels de la culture, les entreprises locales) et des représentants de l’administration centrale69. Ces derniers opèrent un double jeu : d’une part, ils traduisent les prescriptions du Ministère et assurent localement la mise en œuvre des politiques

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Selon Guy Saez, les groupes les plus influents dans ces réseaux d’acteurs sont : le groupe municipal (élus et personnels administratifs locaux) ; le groupe central (techniciens de l’administration centrale déconcentrée en matière de politique culturelle) ; le groupe professionnel (artistes et administrateurs d’institutions culturelles locales) ; le groupe des amateurs (publics) ; le groupe des coopérateurs territoriaux (représentants des autres collectivités territoriales) ; le groupe des investisseurs économiques (secteur économique du tourisme ou des industries culturelles, mécènes et sponsors) (Saez, 2003 : 204).

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nationales ; d’autre part, ils participent à la diffusion et à la généralisation d’innovations locales dans l’ensemble du pays.

b. Les politiques culturelles locales : une politique d’offre

Parallèlement à la constitution d’un appareil administratif de la culture au sein des institutions municipales, un certain nombre d’évolutions sociales influencent le volontarisme municipal en matière culturelle dès les années 1970 :

• le changement démographique des villes : plus de personnes diplômées, montée en puissance des nouvelles classes moyennes et accroissement de la population étudiante, • la chute des conformismes, la banalisation des avant-gardes, l’émergence des mouvements

sociaux et expériences communautaires,

• la large diffusion des industries culturelles et des biens de consommation culturels (média, chaînes hifi, télévision, vidéo….) qui produisent une culture de masse mercantile et commerciale, mais qui permettent également à tous d’accéder aux grandes œuvres (les disques d’opéras, les vidéos de grands films, la mise en images ou en ondes d’œuvres littéraires…).

Tout cela concourt à une demande culturelle plus large et diversifiée. Ainsi, le premier objectif des politiques locales est de disposer d’une large gamme d’équipements en proposant un panel vaste et éclectique de services culturels, pour satisfaire les goûts et attentes de populations variées. Les grandes villes multiplient leurs offres de services culturels par le « jeu du catalogue », répertoriant les éléments « indispensables » d’une offre culturelle de qualité, digne d’une grande ville (Friedberg, Urfalino, 1984). Plus les villes sont grandes, plus leur offre culturelle est vaste et diversifiée, plus elles sont dotés en équipements culturels de toute nature, souvent concentrés dans les villes centre des agglomérations (Lucchini, 2002). Toutefois, l’éclectisme et la diversité de l’offre locale ne signifie pas l’originalité et la spécialisation : à taille comparable, on retrouve plus ou moins les mêmes équipements dans toutes les villes. Toutefois, certaines villes fondent leurs activités culturelles et leur réputation sur des événements spécifiques70. Autrement dit, les responsables locaux comprennent qu’un corpus d’équipements culturels « universel » est nécessaire pour assurer une qualité culturelle indispensable à la vie de la Cité ; mais aussi qu’un événement ou un équipement spécifique leur garanti une meilleure visibilité. Parallèlement, la culture, ou plutôt l’animation socioculturelle, est mobilisée dans le cadre de la politique de la ville dans des quartiers défavorisés (voir les travaux du Cerat, notamment : Chaudoir, De Maillard, 2004). Les villes ont en charge également une partie de la formation et de l’enseignement artistique (écoles de musiques, conservatoires municipaux), la lecture publique (bibliothèques), le soutien aux pratiques amateurs. Dans ce modèle « intégrationniste » ciblant les habitants, la culture est considérée comme un élément de l’identité locale et comme un ciment civique (Griffiths, 1995).

Certaines municipalités ont également mis en place une forme originale de politique de soutien à la production via la création plus massive d’ateliers-logements pour les artistes. Ceux-ci sont financés par les politiques de logement social et sont attribués à des artistes professionnels (c'est-à-dire inscrits à la maison des artistes). Par ce biais des artistes sont logés au cœur

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d’immeuble d’habitat social dans une démarche de mixité, instrumentalisant ainsi leur présence dans une politique urbaine de mixité sociale. Beaucoup critiquent ce système car ils favorisent des artistes déjà installés et reconnus puisque pour être inscrit à la maison des artistes, il faut que 50% de ses revenus soient le fruit de l’activité artistique stricto sensu. La dimension sociale du système est aussi détournée d’une autre manière : il n’y a pas d’obligation de poursuivre l’activité artistique une fois le logement obtenu, et d’autre part, une hausse conséquente des revenus d’un artiste reconnu n’engendre pas l’arrêt du bénéfice d’un logement social. Cela fait partie des dérives que les artistes débutants ou squatters dénoncent.

Progressivement, les responsables locaux prennent conscience que la culture est porteuse d’enjeux nouveaux pour leur territoire ; leurs politiques culturelles évoluent en conséquence vers une instrumentalisation de la culture pour promouvoir le développement économique local et construire une image de marque positive de la ville. Il ne s’agit plus seulement d’offrir des services aux habitants, mais de rendre la ville attractive pour attirer de nouveaux habitants, dans ce qui s’apparente à une politique ciblée de peuplement.

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