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Vers un Paris créatif et festif ?

Vers l’instrumentalisation de la culture off dans les politiques

A. Vers un Paris créatif et festif ?

Paris jouit d’une réputation et d’un positionnement exceptionnels dans les champs artistique et culturel. Concentrant les principaux équipements d’envergure nationale, abritant la moitié des artistes français, bénéficiant d’un patrimoine architectural et urbain unique, les politiques culturelles de la Ville de Paris se sont surtout appuyées sur ces acquis, se contentant de les mettre en valeur. Dit autrement, Paris a longtemps joué la carte du patrimoine et de la culture institutionnelle délaissant la création et les expériences alternatives. Le changement de majorité municipale, en 2001, a insufflé de nouvelles orientations à cette politique, symbolisées par des événements festifs et la création de nouveaux lieux culturels.

Que révèlent ces évolutions politiques sur le peuplement de Paris, les attentes des habitants et leur interprétation par les élus ? Comment ces infléchissements rejoignent-ils les préoccupations de l’institution culturelle ministérielle ? Dans quelle mesure les nouvelles politiques culturelles s’inspirent-elles des expériences off ? La présentation des nouvelles politiques culturelles parisiennes permettra de présenter l’exemple des Pompes Funèbres emblématique de ces évolutions.

1. Evolution de la politique culturelle parisienne

La politique culturelle de la précédente mandature était marquée par une vision assez élitiste et une volonté de conforter le rayonnement artistique international de la capitale. Les trois objectifs de cette politique était : « accroître le rayonnement culturel, […] valoriser le

patrimoine municipal, […] permettre au plus grand nombre de Parisiens d’avoir accès

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Pour cette étude de cas, les acteurs clés des projets 104 et Pajol ont été interrogés ; les documents d’urbanisme, les décisions du Conseil de Paris, ainsi que les comptes-rendus des ateliers du marché de définition ont été consulté, et une revue de presse a été réalisée.

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facilement à la richesse et à la diversité culturelle de la Capitale »140. L’alternance politique, en 2001, est marquée par un infléchissement de cette politique : Bertrand Delanoë, nouveau maire socialiste, souhaite faire de la culture et des événements festifs des symboles de l’ensemble de sa politique. La majorité de gauche plurielle développe ainsi un autre projet culturel, articulé autour de quatre priorités141 : « Favoriser une création diverse, inscrire l’art dans la ville,

démocratiser l’accès à la culture, décentraliser ses différentes formes d’expression »

(Communication du Maire de Paris relative à la culture, conseil de Paris du 27 janvier 2003 (DAC 91)).

Beaucoup plus ambitieuse que la précédente, la politique de Christophe Girard, adjoint (vert puis socialiste) à la Direction des Affaires Culturelles, affirme l’aide à la création comme une priorité nouvelle et principale142. Le contexte de définition du projet de mandature aide à comprendre ces choix. La forte médiatisation des squats d’artistes parisiens qui mettent en lumière la carence en ateliers et les problèmes liés aux modalités d’attribution des ateliers- logements, les réflexions au sein du Ministère de la Culture sur les nouveaux espaces de la création, la personnalité même de l’adjoint143, et surtout la montée en puissance de la créativité et de l’innovation comme moteur du développement économique et l’évolution du peuplement de Paris expliquent la mise sur agenda du problème de la création à Paris. Notons également la volonté de « décentraliser » les lieux culturels. En effet, l’essentiel de l’offre culturelle parisienne et francilienne (voire nationale) est concentré dans les arrondissements centraux. Les secteurs périphériques, les plus peuplés, sont relativement pauvres en termes d’équipements culturels. Le redéploiement de l’offre sur ces secteurs parait judicieux, d’autant plus que cette « décentralisation » s’opère principalement dans des quartiers populaires. Toutefois, cette conception de la « décentralisation » s’arrête au boulevard périphérique….

2. La politique des nouveaux projets : symbole de la mandature

La municipalité souhaite mettre en oeuvre ses objectifs par la réalisation de nouveaux lieux culturels. Au sein de la Direction des Affaires Culturelles, une sous-direction a été créée, et a pour mission de mener à bien la maîtrise d’ouvrage de ces nouveaux projets. Le responsable de cette sous-direction est Philippe Hansebout, ancien sous-directeur à la politique du logement ; c'est-à-dire qu’à la tête de cette structure se trouve non pas un spécialiste de la culture mais un professionnel de la maîtrise d’ouvrage publique et de la construction, soulignant l’intention de la Ville de réaliser ces équipements dans le cadre de la mandature. Outre les Pompes

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Communication du Maire de Paris relative à la politique culturelle de la Ville au conseil de Paris du mois de mai 1996 (D.483).

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On peut ajouter à cela, une conception nouvelle (pour Paris) de la notion de patrimoine incluant désormais le patrimoine industriel, fortement portée par les Verts. Ceci sera très important dans un certain nombre de projets où la sauvegarde à tout prix du « patrimoine » deviendra l’argument prévalent toute considération urbaine, architecturale, programmatique et financière.

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La politique culturelle ne se limite pas à la réalisation de nouveaux lieux de création. Elle comprend également un large volet sur les pratiques amateurs, la lecture publique, les aides aux théâtres municipaux, etc.… qui sont des actions classiques dans le cadre des politiques culturelles locales. L’accent ici est mis sur les aspects novateurs, singuliers, symboliques et évocateurs de cette politique. Dans un autre registre, l’opération Paris, Capitale de la création fédère et publicise les professionnels de l’artisanat d’art et de la création.

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Christophe Girard a longtemps travaillé dans l’industrie du luxe. Il a acquis une vision plus large de la culture et de ses rapports avec les milieux économiques. Il a conscience des enjeux économiques de la culture, et accepte le recours aux capitaux privés (comme le mécénat). Il connaît aussi très bien les outils du marketing et de la communication, qu’il sait mobiliser pour médiatiser son action par l’organisation d’événements.

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Funèbres144, cette politique vise à réaliser ou à requalifier un certain nombre de lieux culturels145. Parmi les plus symboliques (et les plus coûteux), sont mis en avant la transformation du théâtre de la Gaîté Lyrique en espace dédié aux musiques actuelles et aux arts numériques ; du théâtre des Trois Baudets en « creuset pour la chanson française » ; de la maison des Métallos en centre culturel à vocation locale et associative146. De même, la requalification partielle temporaire du bâtiment Point P (quai de Valmy) en lieu de création et de diffusion artistique par l’association Usine Ephémère semble préfigurer le devenir possible de ce bâtiment (Lesage, 2004). D’autres projets ont été évoqués mais ne seront apparemment pas réalisés dans le cadre de cette mandature, comme la transformation du cinéma Louxor en lieu dédié aux cultures méditerranéennes.

Cette politique a également une dimension festive et événementielle dont les évènements-phares sont la Nuit Blanche et l’opération Paris Plage. La mise en œuvre de ces deux opérations n’est pas sous la responsabilité de la Direction des Affaires Culturelles, mais de la cellule « événementiel » du Cabinet du Maire. L’organisation même de ces évènements révèle leur dimension fortement politique par l’intérêt que leur porte le Maire. Ces deux opérations s’apparentent néanmoins plus à une stratégie de communication qu’à une politique publique, même si l’opération Paris Plage souhaite s’inscrire dans une politique de « réappropriation » de l’espace public des berges de Seine par les piétons, et plus largement dans le cadre de la politique de déplacement souhaitée par les Verts (Azevedo, Demare, 2004). Ces événements et les projets phares de la politique culturelle ressemblent à une politique de communication, car ces actions relèvent d’une logique de marketing urbain (Rosemberg, 2000). Qui sont les principaux destinataires de ces politiques ?

• Les parisiens (marketing interne) : malgré quelques réticences lors de la fermeture des voies sur berges la première année de Paris Plage, les événements ont connu une très forte fréquentation, relayée par de nombreux médias.

• Les investisseurs, touristes, habitants potentiels, et experts de gestion urbaine (marketing externe) : ces événements mettent en lumière le dynamisme et l’animation de la ville ; Paris se construit l’image d’une ville festive, ouverte, fonctionnant nuit et jour, où il fait bon se promener, habiter (si tant est que l’on cherche ce type d’animation : quels habitants seront séduits par ces opérations ? Les familles ?) et investir (la ville est bien organisée et ses services fonctionnent en continu). Les concepts de ces deux opérations se sont diffusés et ont été reproduites dans d’autres villes françaises et européennes (la Nuit Blanche à Rome, Paris Plage à Budapest).

En quoi le off inspire-t-il cette politique ? Au-delà, dans quelle mesure l’intervention urbaine dans la ville constituée ne nécessite-t-elle pas un alibi culturel pour contrecarrer les critiques et les oppositions ?

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Les termes « Pompes Funèbres » et « 104 » sont indistinctement utilisés pour désigner ce projet de requalification des pompes Funèbres en lieu culturel, à l’instar des différents acteurs rencontrés.

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Cette sous-direction a également en charge l’intervention artistique autour du tracé du tramway des Maréchaux. 146

Communication du Maire de Paris au conseil de Paris du 27 janvier 2003 : « Le projet culturel pour la mandature ».

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