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Histoire du bâtiment et du projet

Vers l’instrumentalisation de la culture off dans les politiques

B. Le 104 : symbole culturel et politique

1. Histoire du bâtiment et du projet

a. De la privatisation des Pompes Funèbres à la requalification du bâtiment

Le bâtiment du 104, rue d’Aubervilliers, dans le 19ème arrondissement, a été construit entre 1874 et 1890 pour abriter le service des pompes funèbres, d’abord propriété de l’église catholique, puis de la municipalité en 1904, quand le service est devenu municipal. Un large panel d’activités et de corps de métiers était hébergé ici pour assurer les services funéraires : l’administration, l’accueil des familles, la fabrication des cercueils et du mobilier funéraire, l’entretien des draperies, les écuries de trois cent chevaux, les garages des corbillards, etc. Le site accueillait huit cents employés jusqu’en 1983, date de la fin du monopole des Pompes Funèbres municipales. La privatisation du service et le ralentissement de l’activité ont conduit à la fermeture du site en 1997.

Sous la mandature précédente, une opération de rénovation urbaine et de promotion immobilière a été envisagée. Le classement du site des Pompes Funèbres à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques en 1997 a permis à l’opposition municipale (dont le maire de l’arrondissement) et aux associations de stopper définitivement un tel projet. Ce bâtiment possède de réelles qualités architecturales, notamment ses grandes halles formant un passage entre les rues d’Aubervilliers et Curial. Comment les exploiter et les revaloriser ?

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Fig. 9. Le site des Pompes Funèbres, 104, rue d’Aubervilliers

Photo : Mairie de Paris. www.paris.fr

b. Les prémices : vers un lieu culturel

L’ensemble immobilier des Pompes Funèbres appartient à la Ville de Paris et représente une emprise foncière d’environ 30000m². Pour définir les usages possibles, diverses études ont été menées ; un comité de soutien s’est constitué, présidé par l’architecte A. Chemetov. Plusieurs idées ont été avancées, et très rapidement elles se sont situées dans la sphère culturelle : lieu de résidence d’artistes, ateliers en location, lieu de « fabrique » pour les arts de la rue…. D’après les entretiens réalisés, aucun autre type d’utilisation n’aurait été réellement envisagé. En 2000, préparant le programme socialiste pour les élections de 2001, Roger Madec (maire socialiste du 19ème arrondissement depuis 1995) fait visiter le site au candidat Bertrand Delanoë. Il semble que cette visite fut décisive car tous deux proposent d’en faire un lieu culturel et décident de l’inscrire dans leur projet de mandature. Après son élection, dans sa communication sur la politique culturelle au Conseil de Paris, le Maire présente, dès les premières lignes, le 104, rue d’Aubervilliers comme le symbole de sa nouvelle politique culturelle :

Le 104, rue d'Aubervilliers traduit bien cette volonté de soutenir des lieux collectifs où les artistes se rencontrent et établissent un lien direct avec les citoyens. La réhabilitation de cet espace exceptionnel des anciennes Pompes Funèbres sera dédiée à l'art vivant et à la pluridisciplinarité.

Intégré à la vie de son quartier, ce site ouvrira en 2006. Il aura évidemment une tonalité internationale, s'ouvrant à des créateurs de toute origine et accueillant un public, lui aussi, bien sûr, cosmopolite.

Communication du Maire de Paris relative à la culture, conseil de Paris du 27 janvier 2003 (DAC 91) (souligné par moi)

Il apparaît déjà que le projet du 104 n’est pas de créer un simple lieu culturel de plus. Il doit être un lieu où les artistes peuvent travailler ensemble, où le citoyen remplace le spectateur : le 104 veut s’adresser à un public plus large que le cercle étroit des habitués des lieux culturels parisiens, à l’ensemble des individus qui participent à la vie de la cité. Le spectateur, appelé ici citoyen, devient actif, il est en lien direct avec les artistes, et non plus seulement avec les œuvres. Le 104 doit rendre possible les rencontres entre les citoyens et les artistes. Le public ne viendra pas au 104 pour consommer un produit culturel, mais pour établir des liens, pour se

rencontrer, pour être citoyen d’un collectif. Le discours du Maire reprend des idées relevées par

le travail sur les « Nouveaux Territoires de l’Art », dont le 104 parait être une transcription municipale, une création par le in d’un lieu off.

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Par ailleurs, l’équipe socialiste souhaite fortement investir dans le secteur Stalingrad-Chapelle, particulièrement dégradé et négligé. Le projet du 104, s’il est avant tout un projet culturel, s’intègre totalement dans ce projet territorial.

En plus ça appartenait à la ville. C’est un endroit intéressant. Pour le coup, le bâtiment est chouette. Dans un quartier, nord-est parisien, où il n’y a pas grand- chose, et où le maire de Paris a décidé de concentrer, de concentrer non, mais en tous cas de mettre le paquet. Tous les ingrédients étaient réunis là : opportunité, surface, dans un secteur où il y a rien, où il y a des besoins

Frédéric Bourcier, Chargé de mission au cabinet du maire du 18ème arrondissement

Sans être véritablement formalisé, le projet de requalification du 104 en lieu culturel est intégré au projet de mandature ; il devrait ouvrir ses portes en 2008. Mais sous quelle forme ?

c. La mise en lumière lors des Nuits Blanches

Jusqu’en 2003, le projet du 104 est resté assez flou. Pour autant, il faut rapidement construire l’imaginaire de la mandature et faire connaître aux parisiens les projets en cours. Ainsi, lors de la première Nuit Blanche147, la nuit du 5 au 6 octobre 2002, un coup de projecteur particulier a été porté sur les Pompes Funèbres.

Comme pour l’opération Paris Plage, Nuit Blanche n’est pas organisé par une direction, mais piloté directement par le cabinet de Christophe Girard (pour Paris Plage, c’est le cabinet du Maire). La programmation artistique avait été déléguée, en 2002, à Jean Blaise, directeur du Lieu Unique à Nantes et organisateur du Festival des Allumés à Nantes (autre événement festif nocturne)148. Lors de la première édition, en 2002, beaucoup étaient frileux, et peu de partenaires (hors institutions municipales) se sont engagés dans l’opération. Le nombre de manifestations était limité et elles étaient éparpillées dans la ville. Des performances artistiques ont eu lieu dans une vingtaine de sites et certains musées ont ouvert leurs portes une partie de la nuit. Cette Nuit a surtout été l’occasion pour les parisiens de découvrir des lieux nouveaux (dont la Gaîté Lyrique) ou sous un angle atypique (les façades de la Bibliothèque Nationale de France) (Acker, 2003). Parmi l’éclectisme et la dispersion, un site proposait une programmation plus importante et plus variée : les Pompes Funèbres du 104, rue d’Aubervilliers. Huit manifestations étaient proposées dans ce site inconnu, et ont attiré 7000 visiteurs (Acker, 2003). Cela n’est pas fortuit : parmi les quelques lieux ouverts au public, on remarque les (futurs) nouveaux projets culturels (la Gaîté Lyrique, le 104, le Point P). De plus, étant inconnus (ou méconnus) des parisiens, ils ont suscité une curiosité plus grande. La presse nationale a encouragé cette curiosité et a appelé à la découverte de ses lieux puisque, outre la présentation des œuvres et manifestations proposées, les nouveaux sites étaient décrits au lecteur :

On s’agglutine rue Curial […] pour pénétrer dans les anciennes Pompes Funèbres. […] L’endroit est magique. Les murs sont décrépis. On marche sur des pavés.

« La Nuit Blanche victime de son succès », Le Monde, 8 octobre 2002

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Nuit Blanche est un événement artistique nocturne qui propose, le temps d’une nuit, de nombreuses performances artistiques dans des bâtiments parisiens et des lieux publics. Depuis 2002, elle a été rééditée tous les ans.

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Il est à noter que l’agence de communication des deux événements (Nuit Blanche et Paris Plage) est la même (Carat Culture).

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Trois sites exceptionnels à visiter

La nuit blanche permet à trois édifices de trouver ou de retrouver une vie « exceptionnelle ». […] L’avenir des Pompes Funèbres de Paris n’est pas encore fixé, mais on sait que ces énormes bâtiments […] auront une vocation culturelle. L’occupation visuelle et musicale de ces édifices de fer et de brique, le temps d’une Nuit Blanche, donnera sans doute un avant-goût de leur destination future.

[…] Il s’agit en effet d’un véritable quartier, avec neuf halles métalliques reliées par des cours et des rues intérieures.

« Trois sites exceptionnels à visiter », Le Monde, 5 octobre 2002

Les cultures actuelles jouent en grande pompe

[…] L’espace est immense. De vastes nefs majestueuses semblent avoir été désertées par le temps, vides […] soit le volume de la grande halle de La Villette. […] on erre, on furète, saisi par la beauté de cette friche industrielle. […] Il ne faut pas que ces neuf halles métalliques disparaissent.

« Les cultures actuelles jouent en grande pompe », L'Humanité, 5 octobre 2002

Cet événement est l’occasion pour la Ville de faire connaître ses projets et ses sites, de donner une visibilité, et de les ancrer dans la mémoire parisienne comme des lieux où « il se passe quelque chose d’intéressant » et où « il va se passer quelque chose » :

Des lieux en attente de réhabilitation comme la Sudac ou les anciennes Pompes Funèbres seront ouverts pour la Nuit blanche. Une façon de « tester » de futurs sites ?

Christophe Girard : C’est effectivement le moment de montrer aux Parisiens ces endroits fermés qui appartiennent à leur patrimoine. Les anciennes Pompes Funèbres, qu’on va ouvrir avec des animations pendant Nuit blanche, deviendront en effet le grand lieu culturel de la mandature à l’horizon 2005-2006.

Interview de Christophe Girard in « Les concepteurs du projet parisien racontent », Libération, 5 octobre 2002

Je pense surtout à la première nuit blanche, où les sites qui étaient ouverts, ce n’était pas n’importe quels sites. Est-ce que ça, ça a été réfléchi comme tel ?

Oui, bien sur.

Les sites qui ont été mis en valeur pendant la première nuit blanche, c’était : le 104, la gaîté lyrique…

C’est des sites sur lesquels la ville veut attirer le regard, sur lesquels elle a des projets. Et c’est des sites qui sont vacants. Sur lesquels on peut faire quelque chose. C’est des sites qu’on peut visiter. Parce qu’il y a des sites sur lesquels on a des projets mais qu’on ne peut pas visiter parce qu’ils sont dangereux. Donc c’est des choix qui sont très réfléchis, mais à différents niveaux.

Caroline Tissier, chef de projets, Direction de l’Urbanisme, Ville de Paris

Après cette mise en exposition du site, la mise en œuvre rapide du projet s’impose, malgré une définition encore floue. Comment le choix des modalités de mise en œuvre participe-t-il à la conception du projet ?

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